Vu la requête, enregistrée le 2 décembre 1994 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Germain X..., lieutenant-colonel de l'armée de terre, demeurant ... ; M. X... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 28 septembre 1994 par laquelle le ministre de la défense n'a pas agréé son recours tendant à l'annulation de deux bulletins de note établis les 29 septembre 1993 et 24 mars 1994 au titre de l'année 1993 et à la révision d'une mention figurant sur le bulletin de note établi le 27 mai 1992 au titre de l'année 1992 ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir les deux bulletins de note précités établis au titre de l'année 1993 et la mention "quitte à utiliser des voies peu réglementaires" figurant sur le bulletin de note établi au titre de l'année 1992 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 72-662 du 13 juillet 1972 modifiée portant statut général des militaires ;
Vu le décret n° 74-338 du 22 avril 1974 modifié relatif aux positions statutaires des militaires des carrière ;
Vu le décret n° 75-675 du 28 juillet 1975 modifié portant règlement de discipline générale dans les armées ;
Vu le décret n° 83-1252 du 31 décembre 1983 relatif à la notation des militaires ;
Vu l'arrêté ministériel du 15 mars 1985 relatif à la notation des militaires en cas de détachement ou de mutation ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Méda, Maître des Requêtes,
- les conclusions de M. Savoie, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que M. X..., qui demande l'annulation de la décision du 28 septembre 1994, annulée et remplacée par la décision du 26 octobre 1994 ayant le même objet, doit être regardé comme demandant l'annulation de cette dernière décision ;
Sur la recevabilité de la requête :
Considérant que M. X..., lieutenant colonel de l'armée de terre, demande, d'une part, l'annulation de deux bulletins de notation établis au titre de 1993, l'un par le colonel commandant les éléments français au Cambodge, l'autre par le général directeur du personnel militaire de l'armée de terre, d'autre part, l'annulation de certains éléments des appréciations générales figurant sur son bulletin de notation au titre de 1992 ;
Considérant que l'article 13 du règlement de discipline générale des armées ne s'applique pas en matière de notation des militaires, laquelle relève de règles statutaires ; que le recours préalable formé par M. X... en application de ces dispositions doit, dès lors, être regardé comme un recours hiérarchique de droit commun ; que ce recours a été formé le 30 juin 1994 contre le bulletin de notation au titre de 1992 établi le 27 mai 1992 et contre les bulletins de notation au titre de 1993 établis les 29 septembre 1993 et 24 mars 1994 ; qu'en l'absence de mention des voies et délais de recours dans la notification de ces dernières décisions, le délai de recours contentieux n'avait pas couru à la date du recours hiérarchique, lequel n'était donc pas tardif ; qu'il suit de là que, contrairement à ce que soutient le ministre de la défense, la requête par laquelle M. X... demande l'annulation de la décision du 26 octobre 1994 du chef d'état-major de l'armée de terre rejetant son recours hiérarchique n'est pas tardive ;
Sur les conclusions dirigées contre le bulletin de notation pour 1992 :
Considérant que la notation d'un militaire, qui comprend, en vertu de l'article 25 de la loi du 13 juillet 1972, une note chiffrée et des appréciations générales, a un caractère indivisible ; qu'ainsi les conclusions de M. X... qui tendent seulement à l'annulation d'une partie des appréciations générales ne sont pas recevables ;
Sur les conclusions dirigées contre le bulletin de notation pour 1993 établi par le colonel commandant les éléments français au Cambodge :
Considérant que la décision de notation prise au premier degré ne constitue pas une notation définitive et doit être regardée comme une mesure préparatoire de la notation définitive ultérieure ; que, par suite, les conclusions de la requête de M. X... dirigées contre ce bulletin de notation qui n'a pas le caractère d'acte faisant grief, ne sont pas recevables ;
Sur les conclusions dirigées contre le bulletin de notation établi le 24 mars 1994 au titre de 1993 :
Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 12 du décret du 22 avril 1974 modifié, relatif aux positions statutaires des militaires de carrière : "Les militaires peuvent être placés en service détaché ( ...) 5° Auprès d'Etats étrangers ou d'organismes internationaux soit pour remplir une mission publique, soit pour dispenser un enseignement" ; qu'aux termes de l'article 15 du même décret, les militaires en service détaché : "( ...) sont en outre soumis à l'ensemble des règles régissant la fonction qu'ils exercent par l'effet de leur détachement, notamment en ce qui concerne la notation./ Les fiches annuelles de notation des militaires en service détaché sont transmises au ministres des armées ( ...)" ;
Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 6 du décret du 31 décembre 1983 relatif à la notation des militaires : "Des arrêtés du ministre chargé des armées précisent les modalités de notation annuelle des militaires en service détaché" ; que selon l'article 1er de l'arrêté du 15 mars 1985 relatif à la notation des militaires en cas de détachement ou de mutation : "Les militaires de carrière ( ...) placés en service détaché au titre de l'article 12 du décret du 22 avril 1974 ( ...) sont notés par les seules autorités dont ils relèvent dans leur emploi de détachement./ Les feuilles de note sont transmises au ministre chargé des armées à une date fixée par l'armée ou le service d'appartenance des intéressés, permettant la prise en compte de la notation dans le travail d'avancement annuel" ;
Considérant que, par des arrêtés successifs du ministre de la défense, M. X..., alors chef d'escadrons de l'arme blindée et cavalerie, a été placé, du 22 juillet 1992 au 19 novembre 1993, en position de service détaché auprès de l'Organisation des Nations Unies (Autorité provisoire des Nations Unies au Cambodge) pour occuper un emploi d'administrateur principal ; qu'après avoir fait l'objet, dans cette position, d'un bulletin de notation au titre de la période du 1er juillet 1992 au 30 juin 1993, signé par le représentant spécial du secrétaire général des Nations Unies au Cambodge, il a fait l'objet pour la même période d'un bulletin de notation en premier et dernier ressort signé le 24 avril 1994 par le directeur du personnel militaire de l'armée de terre ; que les dispositions précitées de l'arrêté du 15 mars 1985 ne pouvaient, en tout état de cause, s'appliquer à M. X..., détaché auprès d'un organisme étranger ; que, par suite, M. X... pouvait légalement faire l'objet d'une notation en premier et dernier ressort par le directeur du personnel militaire de l'armée de terre au vu d'un rapport établi par son supérieur hiérarchique dans l'organisme auprès duquel il était détaché ;
Mais considérant que le bulletin de notation établi le 24 avril 1994 par le directeur du personnel militaire de l'armée de terre fait apparaître une note chiffrée et des appréciations générales présentant un décalage très important avec la note chiffrée et les appréciations proposées, dans son rapport, par le représentant spécial du secrétaire général del'Organisation des Nations Unies, responsable de l'autorité provisoire des Nations Unies au Cambodge au sein de laquelle l'intéressé servait en position de service détaché ; qu'aucune justification de cet écart n'est apportée ; qu'ainsi le bulletin attaqué est entaché d'erreur manifeste d'appréciation et doit, par suite, être annulé ;
Article 1er : Le bulletin de notation de M. X... établi le 24 mars 1994 et la décision du ministre de la défense en date du 26 octobre 1994, en tant qu'elle rejette le recours de M. X... contre ce bulletin, sont annulés.
Article 2 : Les conclusions de la requête de M. X... dirigées contre le bulletin de notation établi le 27 mai 1992 et contre le bulletin de notation établi le 29 septembre 1993 sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. Germain X... et au ministre de la défense.