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17/12/1999 | FRANCE | N°202871

France | France, Conseil d'État, 1 / 4 ssr, 17 décembre 1999, 202871


Vu la requête, enregistrée le 21 décembre 1998 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par Mme Nadia X..., demeurant ... ; Mme X... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir les décisions du directeur général de l'Agence du médicament du 27 octobre 1998 de suspendre pour une durée d'un an les décisions d'autorisation de mise sur le marché du 27 septembre 1965 modifiées le 21 juin 1984 pour les produits homéopathiques unitaires préparés à partir des souches "luesinum, medorrhinum, morbilinum, pertussinum et psorinum" ;
2°) d'

annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du ministre de l'emploi et de la so...

Vu la requête, enregistrée le 21 décembre 1998 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par Mme Nadia X..., demeurant ... ; Mme X... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir les décisions du directeur général de l'Agence du médicament du 27 octobre 1998 de suspendre pour une durée d'un an les décisions d'autorisation de mise sur le marché du 27 septembre 1965 modifiées le 21 juin 1984 pour les produits homéopathiques unitaires préparés à partir des souches "luesinum, medorrhinum, morbilinum, pertussinum et psorinum" ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du ministre de l'emploi et de la solidarité du 28 octobre 1998 portant interdiction de la prescription, de l'importation, de la fabrication, de la préparation, de la distribution en gros, du conditionnement, de l'exploitation, de la mise sur le marché, de la publicité, de la délivrance au détail à titre gratuit ou onéreux et de l'utilisation des médicaments homéopathiques fabriqués à partir de souches homéopathiques d'origine humaine et de ces souches elles-mêmes ;
3°) de condamner l'Etat au paiement de la somme de 80 000 F pour "préjudice sur patientelle par voie de rumeur publique organisée" ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu la loi n° 98-535 du 1er juillet 1998 ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Eoche-Duval, Maître des Requêtes,
- les conclusions de Mme Boissard, Commissaire du gouvernement ;

Sur les conclusions dirigées contre les décisions du directeur général de l'Agence du médicament en date du 27 octobre 1998 :
Sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir soulevées par le directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé :
Considérant qu'en vertu des articles L. 601 et L. 605-3° du code de la santé publique, l'autorisation de mise sur le marché d'un médicament fabriqué industriellement peut être suspendue par l'Agence du médicament dans les conditions prévues par décret en Conseil d'Etat ; qu'aux termes des deux premiers alinéas de l'article R. 5319 du même code : "Le directeur général de l'Agence du médicament peut, par décision motivée indiquant les voies et délais de recours, suspendre pour une période ne pouvant pas excéder un an, ou retirer une autorisation de mise sur le marché. ( ...) Ces décisions interviennent lorsqu'il apparaît que la spécialité pharmaceutique est nocive dans les conditions normales d'emploi ou que l'effet thérapeutique fait défaut ou que la spécialité n'a pas la composition qualitative et quantitative déclarée" ; qu'aux termes du troisième alinéa du même article : "L'autorisation de mise sur le marché est également suspendue ou retirée par le directeur général de l'agence : a) Lorsqu'il apparaît que les renseignements fournis à l'occasion de la demande d'autorisation de mise sur le marché sont erronés, que les conditions prévues à la présente section ne sont pas ou ne sont plus remplies ou que les contrôles n'ont pas été effectués ; b) Lorsque l'étiquetage ou la notice du médicament ou du produit ne sont pas conformes aux prescriptions de la présente section" ; enfin, qu'aux termes du quatrième alinéa de cet article : "Sauf en cas d'urgence, la suspension ou le retrait mentionnés à l'alinéa précédent ne peuvent intervenir qu'après communication des griefs au titulaire de l'autorisation de mise sur le marché et, dans le cas prévu au b), que si celui-ci, mis en demeure de régulariser la situation du médicament ou du produit, n'a pas donné suite à cette mise en demeure dans le délai fixé par le directeur général de l'agence" ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que les décisions litigieuses ont été prises sur le fondement des deux premiers alinéas de l'article R. 5139 du code de la santé publique et non sur celui de son troisième alinéa ; que, par suite, le moyen tiré de ce que les décisions litigieuses n'auraient pas satisfait aux exigences formulées au quatrième alinéa de l'article R. 5139, qui ne concernent que les décisions de suspension ou de retrait d'autorisation de mise sur le marché prises en application du troisième alinéa, est inopérant ; qu'est également inopérant le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article R. 5143-20 du code de la santé publique qui ont trait aux décisions relatives à l'enregistrement des médicaments homéopathiques non soumis à la procédure d'autorisation de mise sur le marché ;

Considérant qu'eu égard aux mesures de précaution qui s'imposent en matière de santé publique, le directeur général de l'Agence du médicament n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en estimant que, compte tenu des risques de transmission de virus conventionnels et d'agents pathologiques non conventionnels présentés par les produits biologiques d'origine humaine, la sécurité d'emploi des médicaments concernés par la mesure de suspension, lesquels sont fabriqués à partir de souches d'origine humaine, n'était pas garantie ;
Considérant que le fait que d'autres médicaments n'auraient pas fait l'objet des mêmes mesures de suspension d'autorisation que les produits en cause n'est pas de nature à faire regarder les décisions litigieuses comme prises en méconnaissance du principe d'égalité ;
Considérant que le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi ;
Considérant qu'il suit de là que les conclusions de Mme X... tendant à l'annulation desdites décisions doivent être rejetées ;
Sur les conclusions aux fins de condamnation de l'Etat au paiement de la somme de 80 000 F en raison du préjudice invoqué par la requérante :
Considérant que les conclusions tendant à la condamnation de l'Etat au paiement de la somme de 80 000 F en réparation du préjudice qui serait résulté pour la requérante de la perte de clientèle pour cause de "rumeur publique" n'ont été précédées d'aucune demande adressée à l'autorité administrative et, par conséquent, d'aucune décision susceptible de lier le contentieux ; que, dès lors, ces conclusions sont irrecevables ;
Sur les conclusions dirigées contre l'arrêté du ministre de l'emploi et de la solidarité du 28 octobre 1998 :
Sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir soulevée par le ministre de l'emploi et de la solidarité :
Considérant que l'article L. 665-15-1, ajouté au code de la santé publique par l'article 10-I de la loi n° 96-542 du 28 mai 1996, dispose que : "Dans l'intérêt de la santé publique, le ministre chargé de la santé peut, par arrêté, suspendre ou interdire la transformation, l'importation, l'exportation, la distribution, la cession ou l'utilisation d'un élément ou produits du corps humain. Il peut également en restreindre les utilisations" ; que l'article L. 665-16 du même code exclut cependant du champ d'application de ces dispositions les produits du corps humain correspondant à un usage contraire, dont la liste est établie par décret en Conseil d'Etat ; que le décret n° 95-904 du 4 août 1995 a établi cette liste ;

Considérant que l'article 19 de la loi n° 98-535 du 1er juillet 1998, relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme, a abrogé les dispositions de l'article L. 665-15-1 du code de la santé publique, ainsi que la référence faite à cet article par l'article L. 665-16 du même code ; que cette abrogation n'était cependant susceptible de produire effet qu'à compter de la date d'entrée en vigueur de la loi du 1er juillet 1998, telle qu'elle est définie par son article 29 ; qu'en ce qui concerne les dispositions de la loi qui sont relatives à l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé et au nombre desquelles figure celle qui attribue à cette agence des pouvoirs analogues à ceux que l'article L. 665-15-1 du code précité a conférés au ministre chargé de la santé, l'article 29 de la loi a prévu une entrée en vigueur à la date de publication du décret nommantle directeur général de la nouvelle agence et "au plus tard le 31 décembre 1998" ; qu'ainsi, et alors que le décret portant nomination du directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé n'a été publié au Journal officiel que le 9 mars 1999, le ministre chargé de la santé pouvait encore faire usage des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 665-15-1 du code de la santé publique à la date du 28 octobre 1998, à laquelle il a pris l'arrêté attaqué, qui porte interdiction de la prescription, de l'importation, de la fabrication, de la préparation, la distribution en gros, du conditionnement, de l'exploitation, de la mise sur le marché, de la publicité, de la délivrance au détail à titre gratuit ou onéreux et de l'utilisation des médicaments homéopathiques fabriqués à partir de souches homéopathiques d'origine humaine et de ces souches elles-mêmes ;
Considérant qu'en vertu des dispositions précitées de l'article L. 665-15-1 du code de la santé publique, le ministre chargé de la santé peut, notamment, restreindre l'utilisation d'éléments ou produits du corps humain ; qu'à ce titre, il peut, dans l'intérêt de la santé publique, interdire, comme il l'a fait par son arrêté du 28 octobre 1998, la prescription des médicaments fabriqués industriellement à partir de souches homéopathiques d'origine humaine ; qu'ainsi, Mme X... n'est pas fondée à soutenir que les interdictions prononcées par l'arrêté du 28 octobre 1998 seraient dépourvues de base légale ;
Considérant qu'en estimant, compte tenu des précautions qui s'imposent en matière de protection de la santé publique, que la prescription, l'importation, la fabrication, la préparation, la distribution en gros, le conditionnement, l'exploitation, la mise sur le marché, la publicité, la délivrance au détail, à titre gratuit ou onéreux et l'utilisation des médicaments homéopathiques ci-dessus mentionnés et des souches servant à leur fabrication, devaient être interdits, eu égard au risque de transmission de virus conventionnels et d'agents pathologiques non conventionnels présenté par les produits biologiques d'origine humaine dont il s'agit, l'auteur de l'arrêté du 28 octobre 1998 n'a pas entaché sa décision d'une appréciation manifestement erronée, au regard des dispositions de l'article L. 665-15-1 du code de la santé publique ;

Considérant que le fait que d'autres produits n'auraient pas fait l'objet des mêmes mesures restrictives que les produits en cause n'est pas de nature à faire regarder l'arrêté litigieux comme pris en méconnaissance du principe d'égalité ;
Considérant que si la requérante soutient qu'en prononçant une mesure d'interdiction plus étendue que celle résultant des décisions du directeur de l'Agence du médicament du 27 octobre 1998, l'auteur de l'arrêté attaqué aurait méconnu les dispositions de l'article L. 567-4 du code de la santé publique, ce moyen doit être écarté dès lors que, ainsi qu'il a été dit ci-dessus et, en tout état de cause, ledit arrêté a été pris sur le fondement de l'article L. 665-15-1 et non sur celui des dispositions de l'article L. 567-4 qui donnent pouvoir au ministre de la santé publique, en cas de menace grave pour la santé publique, de s'opposer aux décisions du directeur de l'Agence du médicament prises en application de l'article L. 601 ;
Considérant, enfin, que la circonstance que l'arrêté litigieux ne prononce pas l'interdiction d'exportation des produits concernés par la mesure, ainsi que l'y autorisaient les dispositions de l'article L. 665-15-1 du code de la santé publique, est sans influence sur sa légalité ;
Considérant que le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme X... n'est pasfondée à demander l'annulation de l'arrêté du 28 octobre 1998 ;
Article 1er : La requête de Mme X... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme Nadia X..., au directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé et au ministre de l'emploi et de la solidarité.


Type d'affaire : Administrative

Analyses

61-01-01 SANTE PUBLIQUE - PROTECTION GENERALE DE LA SANTE PUBLIQUE - POLICE ET REGLEMENTATION SANITAIRE.


Références :

Code de la santé publique L601, L605, R5319, R5139, R5143-20, L665-15-1, L665-16, L567-4
Décret 95-904 du 04 août 1995
Loi 96-542 du 28 mai 1996 art. 10
Loi 98-535 du 01 juillet 1998 art. 19, art. 29


Publications
Proposition de citation: CE, 17 déc. 1999, n° 202871
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Eoche-Duval
Rapporteur public ?: Mme Boissard

Origine de la décision
Formation : 1 / 4 ssr
Date de la décision : 17/12/1999
Date de l'import : 05/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 202871
Numéro NOR : CETATEXT000008056756 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;1999-12-17;202871 ?
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