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07/01/2000 | FRANCE | N°199001

France | France, Conseil d'État, 1 / 4 ssr, 07 janvier 2000, 199001


Vu la requête, enregistrée le 19 août 1998 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par le DEPARTEMENT DE L'ARDECHE, représenté par son président en exercice habilité par une délibération de la commission permanente du conseil général en date du 31 août 1998 ; le DEPARTEMENT DE L'ARDECHE demande que le Conseil d'Etat :
1°) annule la décision en date du 20 avril 1998 par laquelle la commission centrale d'aide sociale a annulé la décision du 29 novembre 1996 de la commission départementale d'aide sociale de l'Ardèche confirmant la décision de la commis

sion d'aide sociale de Vals-les-Bains du 5 juillet 1996 refusant la pris...

Vu la requête, enregistrée le 19 août 1998 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par le DEPARTEMENT DE L'ARDECHE, représenté par son président en exercice habilité par une délibération de la commission permanente du conseil général en date du 31 août 1998 ; le DEPARTEMENT DE L'ARDECHE demande que le Conseil d'Etat :
1°) annule la décision en date du 20 avril 1998 par laquelle la commission centrale d'aide sociale a annulé la décision du 29 novembre 1996 de la commission départementale d'aide sociale de l'Ardèche confirmant la décision de la commission d'aide sociale de Vals-les-Bains du 5 juillet 1996 refusant la prise en charge des frais d'hébergement de Mlle Pauline Callot au foyer à double tarification de Saint-Jean-de-Moirans (Isère) dit "La Maison des Isles" et a, par ailleurs, fixé le domicile de secours de l'intéressée pour la prise en charge desdits frais à compter du 9 janvier 1995 dans le DEPARTEMENT DE L'ARDECHE ;
2°) décide que Mlle Callot a acquis son domicile de secours dans le département du Rhône ;
3°) ordonne la prise en charge des frais de séjour de Mlle Callot à "La Maison des Isles" par le département du Rhône ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la famille et de l'aide sociale ;
Vu le code du travail ;
Vu la loi n° 75-535 du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Donnat , Auditeur,
- les conclusions de Mme Maugüé, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'aux termes des dispositions du dernier alinéa de l'article 129 du code de la famille et de l'aide sociale : "Le demandeur, accompagné de la personne ou de l'organisme de son choix, est entendu lorsqu'il le demande" ; que ces dispositions font obligation à la commission centrale d'aide sociale de mettre les parties intéressées à même d'exercer cette faculté et, soit de les avertir de la date de la séance à laquelle l'affaire sera examinée, soit de les inviter à lui faire connaître s'ils ont l'intention de présenter des observations orales pour qu'en cas de réponse affirmative de leur part, elles les avertisse de la date de la séance ; qu'il est constant que le DEPARTEMENT DE L'ARDECHE, défendeur à l'instance devant la commission centrale d'aide sociale, n'a pas été mis à même d'exercer la faculté d'être présent à l'audience et, s'il le souhaitait, d'y être entendu ; que le DEPARTEMENT DE L'ARDECHE est, par suite, fondé à soutenir que la décision de la commission centrale d'aide sociale en date du 20 avril 1998, statuant sur la détermination du domicile de secours de Mlle Callot et sur la prise en charge de ses frais de placement au foyer de Saint-Jean-de-Moirans, a été prise à la suite d'une procédure irrégulière et à en demander l'annulation ;
Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la loi du 31 décembre 1987, le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut "régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie" ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond ;

Considérant que Mlle Callot, née le 23 octobre 1973 à Aubenas (Ardèche), qui résidait chez ses parents à Vals-de-Moirans (Ardèche), a été placée, dès son plus jeune âge, dans divers établissements spécialisés pour enfants lourdement handicapés avant d'être admise le 9 janvier 1995 au foyer "La Maison des Isles" à Saint-Jean-de-Moirans dans l'Isère, conformément à une décision de la commission technique d'orientation et de reclassement professionnel (COTOREP) du Rhône du 18 octobre 1994 confirmée par la suite par une décision de la COTOREP de l'Isère du 18 mai 1995 ; que, par une décision du 21 novembre 1995, la commission d'admission à l'aide sociale de Lyon III a rejeté la demande de Mlle Callot tendant à être admise au bénéfice de l'aide sociale pour les frais d'hébergement afférents à son séjour à "La Maison des Isles" ; que le président du conseil général du département du Rhône a, le 16 février 1996, rejeté la réclamation formée par Mlle Callot contre la décision du 21 novembre 1995 ; que, saisies à leur tour par Mlle Callot, la commission d'admission à l'aide sociale de Vals-les-Bains, par une décision du 5 juillet 1996, puis la commission départementale d'aide sociale de l'Ardèche, par une décision en date du 29 novembre 1996, ont refusé égalementd'admettre l'intéressée à l'aide sociale pour son placement à "La Maison des Isles" ;
Sur les conclusions de Mlle Callot et de "La Maison des Isles" tendant à l'annulation de la décision de la commission départementale d'aide sociale de l'Ardèche en date du 29 novembre 1996 et à ce que le DEPARTEMENT DE L'ARDECHE prenne en charge au titre de l'aide sociale les frais d'hébergement de Mlle Callot à "La Maison des Isles" :
Considérant, en premier lieu, que pour rejeter la demande d'admission au bénéfice de l'aide sociale présentée par Mlle Callot, la commission départementale d'aide sociale de l'Ardèche s'est fondée sur ce que, par une décision du 24 juin 1994, soit antérieure aux décisions susmentionnées des COTOREP du Rhône et de l'Isère des 18 octobre 1994 et 18 mai 1995, la COTOREP de l'Ardèche avait prononcé l'orientation de Mlle Callot en maison d'accueil spécialisée (MAS) ; que, toutefois, par un arrêt en date du 17 mars 1998, confirmant un jugement du tribunal du contentieux de l'incapacité de Lyon en date du 6 mars 1997, la cour nationale de l'incapacité et de la tarification de l'assurance des accidents du travail a rejeté un recours du DEPARTEMENT DE L'ARDECHE en estimant que les COTOREP du Rhône et de l'Isère étaient bien compétentes pour prononcer l'orientation de Mlle Callot et qu'elles avaient pu valablement, par leurs décisions des 18 octobre 1994 et 18 mai 1995, orienter l'intéressée à "La Maison des Isles" de Saint-Jean-de-Moirans ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'en vertu de l'article 192 du code de la famille et de l'aide sociale, sous réserve des dispositions spécifiques à l'aide médicale et à l'exception des prestations qui sont à la charge de l'Etat énumérées par l'article 35 de la loi du 22 juillet 1983 : "Les dépenses d'aide sociale sont mises à la charge du département dans lequel les bénéficiaires ont leur domicile de secours" ;

Considérant que, dans sa rédaction issue de la loi du 6 janvier 1986, le premier alinéa de l'article 193 du code précité dispose que : "Nonobstant les dispositions des articles 102 à 111 du code civil, le domicile de secours s'acquiert par une résidence habituelle de trois mois dans un département postérieurement à la majorité ou à l'émancipation, sauf pour les personnes admises dans les établissements sanitaires ou sociaux ou accueillies habituellement, à titre onéreux ou au titre de l'aide sociale, au domicile d'un particulier agréé ou faisant l'objet d'un placement familial, en application des articles 1er, 3 et 5 de la loi n° 89-475 du 10 juillet 1979 relative à l'accueil par des particuliers, à leur domicile, à titre onéreux, de personnes âgées ou handicapées, qui conservent le domicile de secours qu'elles avaient acquis avant leur entrée dans l'établissement ( ...)" ; qu'en vertu du 1° de l'article 194 dudit code, le domicile de secours se perd par une absence ininterrompue de trois mois postérieurement à la majorité ou à l'émancipation sauf si celle-ci est motivée par un séjour dans un établissement sanitaire ou social ;
Considérant que si l'établissement "La Maison des Isles" de Saint-Jean-de-Moirans a été transformé illégalement en 1993 en foyer dit "à double tarification" sur le fondement des deux circulaires ministérielles des 14 février 1986 et 3 juillet 1987 relatives à la mise en place d'un programme expérimental d'établissements d'hébergement elles-mêmes illégales, cette transformation n'a pas fait perdre à l'établissement son caractère de foyer pour personnes handicapées au sens de l'article 3 de la loi du 30 juin 1975 ; que, par suite, dès lors qu'il s'agit d'un établissement sanitaire et social au sens des dispositions précitées de l'article 193 du code de la famille et de l'aide sociale, le séjour de Mlle Callot plus de trois mois en son sein est resté sans effet sur son domicile de secours ; que si Mlle Callot a fait, au cours de l'année 1995, de nombreux et brefs séjours au domicile de son père à Lyon, il ne résulte pas del'instruction que l'intéressée aurait résidé de façon habituelle au moins trois mois audit domicile et qu'elle aurait ainsi acquis un domicile de secours dans le département du Rhône ; qu'enfin, le fait que le foyer "La Maison des Isles" a pris en charge à titre provisoire les frais d'hébergement de Mlle Callot pour les premiers mois de son séjour dans l'établissement est sans incidence sur la détermination du domicile de secours de l'intéressée ; qu'il résulte de ce qui précède que Mlle Callot a conservé pendant son séjour à "La Maison des Isles" le domicile de secours qu'elle avait au moment de son admission et dont il n'est pas contesté qu'il était situé dans le DEPARTEMENT DE L'ARDECHE ; qu'il appartenait, dès lors, à ce département de prendre en charge, au titre de l'aide sociale, les frais d'hébergement de Mlle Callot au foyer dit "La Maison des Isles" de Saint-Jean-de-Moirans ;
Sur le point de départ de la prise en charge des frais d'hébergement à "La Maison des Isles" :

Considérant qu'aux termes de l'article 18 du décret du 11 juin 1954, dans sa rédaction issue du décret du 25 novembre 1987 : "Les demandes tendant à obtenir le bénéfice de l'aide sociale prévue aux chapitres V et VI du code de la famille et de l'aide sociale prennent effet au premier jour de la quinzaine suivant la date à laquelle elles ont été présentées./ Toutefois, pour la prise en charge des frais d'hébergement des personnes accueillies dans un établissement social ou médico-social, habilité à recevoir des bénéficiaires de l'aide sociale ou dans un centre de long séjour, la décision d'attribution de l'aide sociale peut prendre effet à compter du jour d'entrée dans l'établissement si la demande a été déposée dans les deux mois qui suivent ce jour" ;
Considérant que si en vertu des dispositions combinées de l'article 124-3 du code de la famille et de l'aide sociale et du deuxième alinéa précité de l'article 18 du décret du 11 juin 1954, la prise en charge des frais d'hébergement au titre de l'aide sociale peut prendre effet à compter de la date d'entrée dans l'établissement à condition que l'aide ait été demandée dans les deux mois après cette date, ces dispositions ne sont pas applicables lorsque, antérieurement à l'entrée dans l'établissement, l'intéressée bénéficiait déjà et à un même titre de l'aide sociale ; que, dans ce cas, la prise en charge des frais d'hébergement prend effet à compter de la date d'entrée dans l'établissement ; qu'il ne ressort toutefois pas des pièces du dossier que Mlle Callot bénéficiait déjà de l'aide sociale avant son admission au foyer "La Maison des Isles" ; que sa demande d'aide sociale n'a pas été adressée dans les deux mois suivant son admission au foyer ; que, par suite, conformément aux dispositions du premier alinéa de l'article 18 du décret du 11 juin 1954 précité, les frais d'hébergement de Mlle Callot dans ledit établissement doivent être pris en charge à compter du premier jour de la quinzaine suivant le 4 avril 1995, date à laquelle l'intéressée avait présenté sa demande d'aide sociale au département du Rhône, soit le 16 avril 1995 ;
Sur les conclusions de Mlle Callot dirigées contre les décisions de la commission d'admission de Lyon III du 21 novembre 1995 et du président du conseil général du Rhône du 16 février 1996 :
Considérant, en premier lieu, que les présidents des conseils généraux n'ont aucune compétence pour annuler ou réformer les décisions des commissions d'admission à l'aide sociale prises sur le fondement des dispositions de l'article 125 du code de la famille et de l'aide sociale ; que, par suite, le président du conseil général du département du Rhône était tenu de rejeter la réclamation formulée par Mlle Callot à l'encontre de la décision de la commission d'admission à l'aide sociale du 21 novembre 1995 ; qu'ainsi, les moyens soulevés par l'intéresséeà l'appui des conclusions dirigées contre cette décision sont inopérants ; que lesdites conclusions doivent, dès lors, être rejetées ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'en vertu des dispositions de l'article 128 du code de la famille et de l'aide sociale, les décisions des commissions d'admission à l'aide sociale peuvent faire l'objet de recours devant la commission départementale d'aide sociale ; qu'ainsi, les conclusions de Mlle Callot dirigées contre la décision de la commission d'admission à l'aide sociale de Lyon III du 21 novembre 1995 ressortissent à la compétence de la commission départementale d'aide sociale du Rhône ; que, toutefois, il résulte de tout ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de procéder au renvoi du jugement de ces conclusions et qu'elles doivent être immédiatement rejetées ;
Sur les conclusions incidentes de Mlle Callot présentées devant le Conseil d'Etat :
Considérant que si Mlle Callot demande que le Conseil d'Etat inflige au DEPARTEMENT DE L'ARDECHE une amende pour recours abusif, de telles conclusions ne sont pas recevables ;
Considérant que les autres conclusions de Mlle Callot tendant à la condamnation du DEPARTEMENT DE L'ARDECHE à lui verser des dommages et intérêts en réparation du préjudice moral qu'elle aurait subi du fait du comportement de celui-ci qui sont nouvelles en cassation sont elles aussi irrecevables ;
Article 1er : La décision de la commission centrale d'aide sociale en date du 20 avril 1998 est annulée.
Article 2 : Les décisions de la commission départementale d'aide sociale de l'Ardèche en date du 29 novembre 1996 et de la commission d'admission à l'aide sociale de Vals-les-Bains du 5 juillet 1996 sont annulées.
Article 3 : Le domicile de secours de Mlle Callot pendant son séjour au foyer "La Maison des Isles" de Saint-Jean-de-Moirans est fixé dans le DEPARTEMENT DE L'ARDECHE.
Article 4 : Mlle Callot est admise au bénéfice de l'aide sociale pour la prise en charge des frais d'hébergement afférents à son séjour au foyer "La Maison des Isles" de Saint-Jean-de-Moirans à compter du 16 avril 1995.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête présentée par Mlle Callot devant la commission centrale d'aide sociale est rejeté.
Article 6 : Les conclusions incidentes présentées par Mlle Callot sont rejetées.
Article 7 : La présente décision sera notifiée au DEPARTEMENT DE L'ARDECHE, au département du Rhône, à Mlle Pauline Callot, au foyer "La Maison des Isles" de Saint-Jean-de-Moirans et au ministre de l'emploi et de la solidarité.


Synthèse
Formation : 1 / 4 ssr
Numéro d'arrêt : 199001
Date de la décision : 07/01/2000
Type d'affaire : Administrative

Analyses

04-02-04 AIDE SOCIALE - DIFFERENTES FORMES D'AIDE SOCIALE - AIDE SOCIALE AUX PERSONNES HANDICAPEES.


Références :

Circulaire du 14 février 1986
Circulaire du 03 juillet 1987
Code de la famille et de l'aide sociale 129, 192, 193, 194, 124-3, 125, 128
Loi 75-535 du 30 juin 1975 art. 3
Loi 87-1127 du 31 décembre 1987 art. 11


Publications
Proposition de citation : CE, 07 jan. 2000, n° 199001
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Donnat
Rapporteur public ?: Mme Maugüé

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2000:199001.20000107
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