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03/05/2000 | FRANCE | N°172201

France | France, Conseil d'État, 9 / 10 ssr, 03 mai 2000, 172201


Vu le recours, enregistré le 24 août 1995 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le MINISTRE DE L'ECONOMIE ET DES FINANCES ; le MINISTRE DE L'ECONOMIE ET DES FINANCES demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt en date du 27 juin 1995 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux, après avoir annulé le jugement du 10 mars 1993 du tribunal administratif de Poitiers en tant qu'il avait omis de statuer sur le moyen soulevé par la S.A. Leroy-Somer relatif à l'application de l'article 145 du code général des impôts, d'une part, a accordé à ladite socié

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Vu le recours, enregistré le 24 août 1995 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le MINISTRE DE L'ECONOMIE ET DES FINANCES ; le MINISTRE DE L'ECONOMIE ET DES FINANCES demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt en date du 27 juin 1995 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux, après avoir annulé le jugement du 10 mars 1993 du tribunal administratif de Poitiers en tant qu'il avait omis de statuer sur le moyen soulevé par la S.A. Leroy-Somer relatif à l'application de l'article 145 du code général des impôts, d'une part, a accordé à ladite société la décharge de l'impôt sur les sociétés auquel elle a été assujettie au titre de l'année 1980 à concurrence d'une somme de 178 150 F, d'autre part, a rejeté le recours du ministre ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention du 28 juillet 1967 entre la République française et les Etats-Unis d'Amérique en matière d'impôts sur le revenu et la fortune, publiée par décret n° 68-797 du 23 août 1968 ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Vu le décret n° 63-766 du 30 juillet 1963 modifié notamment par le décret n° 88-905 du 2 septembre 1988 et par le décret n° 97-1177 du 24 décembre 1997 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de Mme Guilhemsans, Maître des Requêtes,
- les observations de Me Guinard, avocat de la S.A. Leroy-Somer,
- les conclusions de M. Courtial, Commissaire du gouvernement ;

Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 219 du code général des impôts relatif au calcul de l'impôt sur les sociétés, dans sa rédaction applicable à l'année d'imposition en litige : "I ... Le taux de l'impôt est fixé à 50 %. Toutefois : a) Sous réserve des dispositions de l'article 39 sexdecies : Le montant net des plus-values à long terme autres que celles visées à l'article 39 quindecies II fait l'objet d'une imposition séparée au taux de 15 % dans les conditions prévues aux articles 39 quindecies I et 209 quater ..." ; qu'aux termes de l'article 39 duodecies du même code, applicable en matière de détermination des bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 : "1. Par dérogation aux dispositions de l'article 38, les plus-values provenant de la cession d'éléments de l'actif immobilisé sont soumises à des régimes distincts suivant qu'elles sont réalisées à court ou à long terme. 2. Le régime des plus-values à court terme est applicable : a. Aux plus-values provenant de la cession d'éléments acquis ou créés depuis moins de deux ans ; ... 3. Le régime des plus-values à long terme est applicable aux plus-values autres que celles définies au 2." ;
Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 1583 du code civil : "La propriété est acquise de droit à l'acheteur à l'égard du vendeur, dès qu'on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n'ait pas encore été livrée et le prix payé" ; qu'aux termes de l'article 265 de la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés dans sa rédaction, alors en vigueur : "Les droits du titulaire d'un titre nominatif sont établis par une inscription sur les registres de la personne morale émettrice. La transmission du titre nominatif ne peut s'opérer à l'égard des tiers et de la personne morale émettrice que par un transfert sur ces registres" ;
Considérant qu'il résulte des textes précités que la date à laquelle la cession de titres nominatifs d'une société générant une plus-value imposable doit être regardée comme réalisée est, indépendamment de ses modalités de paiement, celle à laquelle s'opère entre les parties le transfert de propriété ; que ce transfert de propriété a lieu, sauf dispositions contractuelles contraires, à la date où un accord intervient sur la chose et le prix, même si ce transfert n'est opposable aux tiers qu'à compter de sa date d'inscription au registre de la société émettrice ou du jour auquel elle a été informée de la cession, s'il est antérieur à cette date ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la S.A. Leroy-Somer a acquis le 6 septembre 1978, de la société américaine Semix Inc., 128 571 actions de cette société ; que, par une convention en date du 19 juin 1980, la S.A. Leroy-Somer a acquis une licence exclusive d'exploitation des droits des brevets de la marque Semix, en contrepartie, d'une part, de la remise à la société Semix de 54 832 actions acquises le 6 septembre 1978 et d'autre part, du paiement à cette société de 60 000 dollars par an ; que les titres susmentionnés ont été remis par la S.A. Leroy-Somer à la société Semix le 17 septembre 1980, ce transfert étant inscrit le 18 septembre dans les registres de la société émettrice ; que le ministre du budget a fait appel du jugement du 10 mars 1993 du tribunal administratif de Poitiers déchargeant la S.A. Leroy-Somer des suppléments d'impôt sur les sociétés auxquels elle avait été assujettie à raison de l'application à la plus-value réalisée à cette occasion du taux de 50 % applicable aux plus-values à court terme, en soutenant que la durée de détention des actions en cause avait été inférieure à deux ans, le transfert de leur propriété à la société Semix étantintervenu dès le 19 juin 1980, date de l'accord des parties sur la chose et le prix ; qu'en inférant de ce que l'inscription du transfert d'actions sur les registres de la société émettrice avait été faite le 18 septembre 1980, que la S.A. Leroy-Somer doit être regardée comme ayant détenu ces titres pendant plus de deux ans, la Cour a commis une erreur de droit ; que le MINISTRE DE L'ECONOMIE ET DES FINANCES est dès lors, fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;
Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la loi susvisée du 31 décembre 1987, le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut "régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie" ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond ;
Sur le recours du ministre :
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le MINISTRE DE L'ECONOMIE ET DES FINANCES est fondé à soutenir que le tribunal administratif de Poitiers a commis une erreur de droit en jugeant que le transfert de la propriété de titres nominatifs intervient à la date de l'inscription de ce transfert dans les registres de la société émettrice ;
Considérant, toutefois, qu'il y a lieu, par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens de la S.A. Leroy-Somer devant le tribunal administratif ;

Considérant qu'il ressort des termes de l'accord du 19 juin 1980 entre les sociétés Leroy-Somer et Semix, que la S.A. Leroy-Somer, en levant l'option, et la société Semix ont opéré à cette date, par accord sur la chose et sur le prix, la cession des titres prévue en contrepartie de la licence exclusive d'exploitation consentie ; que si le IV de cet accord prévoyait que les titres en cause seront "transférés et livrés" par la S.A. Leroy-Somer à la société Semix dans les quinze jours de la demande de cette dernière, cette stipulation n'avait pas pour objet de transférer la propriété des titres, mais de fixer les modalités de leur livraison ; que le MINISTRE DE L'ECONOMIE ET DES FINANCES est, dès lors, fondé à soutenir que la S.A. Leroy-Somer doit être regardée comme ayant détenu les titres de la société Semix pendant une durée inférieure à 2 ans et que les plus-values réalisées lors de la cession de ces titres doivent être imposées selon le régime des plus-values à court terme ;
Sur l'appel incident :
Considérant qu'aux termes de l'article 145 du code général des impôts : "Le régime fiscal des sociétés mères, tel qu'il est défini aux articles 146 et 216, est applicable aux sociétés françaises par actions ou à responsabilité limitée qui détiennent, dans le capital d'autres sociétés revêtant l'une de ces formes, des participations satisfaisant aux conditions ci-après : ... c. Les titres de participations doivent avoir été souscrits à l'émission. A défaut, la personne morale participante doit avoir pris l'engagement de les conserver pendant un délai de deux ans ..." ; qu'aux termes de l'article 54 de l'annexe II audit code : "Les personnes morales doivent se conformer aux obligations suivantes ( ...) : 1°) Elles doivent prendre l'engagement de conserver pendant deux ans au moins la pleine propriété des titres. Toutefois, cet engagement n'est pas exigé en ce qui concerne : a. Les titres que la personne morale justifie avoir conservés pendant cette durée ; b. Les actions ou parts d'intérêts souscrites ou attribuées à l'émission ..." ;
Considérant qu'ainsi qu'il a été dit plus haut, la S.A. Leroy-Somer ne justifie pas avoir conservé ses actions dans la société Semix pendant un délai d'au moins deux ans ; qu'elle ne soutient pas avoir pris l'engagement de le faire, non plus qu'avoir souscrit ces actions à l'émission ; qu'elle n'est, dès lors, pas fondée à soutenir qu'elle devait dans l'imposition de la plus-value litigieuse, bénéficier du régime fiscal des sociétés mères prévu à l'article 216 du code général des impôts ;
Considérant qu'aux termes de l'article 12 de la convention franco-américaine du 28 juillet 1967, alors en vigueur : "Un résident d'un Etat contractant n'est imposable que dans cet Etat à raison des gains provenant de la vente ou de l'échange d'éléments de biens en capital" ; que, dès lors, la S.A. Leroy-Somer n'est pas fondée à soutenir que la plus-value litigieuse, qui ne constitue pas un revenu distribué, ne devait pas être imposée en France en application de l'article 22 de cette convention relatif au pays d'imposition des dividendes ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le MINISTRE DE L'ECONOMIE ET DES FINANCES est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a déchargé la S.A. Leroy-Somer du supplément d'impôt sur les sociétés mis à sa charge, en droits et pénalités, au titre de l'année 1980, à raison de la réintégration d'une plus-value de 8 794 310 F dans ses bases imposables au taux de 50 % ;
Considérant que les dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas, dans la présente espèce, la partie perdante, soit condamné à payer à la S.A. Leroy-Somer la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux en date du 27 juin 1995 et le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 10 mars 1993, sont annulés.
Article 2 : La demande de la S.A. Leroy-Somer devant le tribunal administratif de Poitiers, son recours incident devant la cour administrative d'appel de Bordeaux et ses conclusions devant le Conseil d'Etat tendant à l'application de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991, sont rejetés.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et à la S.A. Leroy-Somer.


Synthèse
Formation : 9 / 10 ssr
Numéro d'arrêt : 172201
Date de la décision : 03/05/2000
Sens de l'arrêt : Annulation rejet
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux fiscal

Analyses

19-04-02-01-03-03 CONTRIBUTIONS ET TAXES - IMPOTS SUR LES REVENUS ET BENEFICES - REVENUS ET BENEFICES IMPOSABLES - REGLES PARTICULIERES - BENEFICES INDUSTRIELS ET COMMERCIAUX - EVALUATION DE L'ACTIF - PLUS ET MOINS-VALUES DE CESSION -CACession de titres nominatifs - Date de la cession - Accord sur la chose et le prix, sauf dispositions contractuelles contraires, quelle que soit par ailleurs la date d'inscription au registre des mouvements.

19-04-02-01-03-03 La date à laquelle la cession de titres nominatifs d'une société générant une plus-value imposable doit être regardée comme réalisée est, indépendamment de ses modalités de paiement, celle à laquelle s'opère entre les parties le transfert de propriété. Celui-ci a lieu, sauf dispositions contractuelles contraires, à la date à laquelle un accord intervient sur la chose et sur le prix, même si ce transfert n'est opposable aux tiers qu'à compter de sa date d'inscription au registre de la société émettrice ou du jour où elle en est informée s'il est antérieur.


Références :

CGI 219, 39 duodecies, 209, 145, 216
Code civil 1583
Loi 66-537 du 24 juillet 1966 art. 265
Loi 87-1127 du 31 décembre 1987 art. 11
Loi 91-647 du 10 juillet 1991 art. 75


Publications
Proposition de citation : CE, 03 mai. 2000, n° 172201
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Genevois
Rapporteur ?: Mme Guilhemsans
Rapporteur public ?: M. Courtial

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2000:172201.20000503
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