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17/05/2000 | FRANCE | N°164738

France | France, Conseil d'État, 5 / 7 ssr, 17 mai 2000, 164738


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 17 janvier 1995 et 16 mai 1995 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour le DEPARTEMENT DE LA DORDOGNE, représenté par le président du conseil général en exercice ; le DEPARTEMENT DE LA DORDOGNE demande au Conseil d'Etat d'annuler sans renvoi l'arrêt du 14 novembre 1994 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux, réformant le jugement du 24 juillet 1992 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a condamné le département requérant à verser à Mme Z... la somme de 101 16

3 F portant intérêts au taux légal à compter du 6 septembre 1990 e...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 17 janvier 1995 et 16 mai 1995 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour le DEPARTEMENT DE LA DORDOGNE, représenté par le président du conseil général en exercice ; le DEPARTEMENT DE LA DORDOGNE demande au Conseil d'Etat d'annuler sans renvoi l'arrêt du 14 novembre 1994 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux, réformant le jugement du 24 juillet 1992 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a condamné le département requérant à verser à Mme Z... la somme de 101 163 F portant intérêts au taux légal à compter du 6 septembre 1990 en réparation des conséquences dommageables de l'accident survenu le 11 avril 1984 à M. X..., son fils, sur la route départementale 710 dans la commune d'Annesse et Beaulieu, d'une part, a ramené à 51 745 F avec intérêts au taux légal à compter du 6 septembre 1990 la somme mise à la charge du département requérant, d'autre part, a rejeté le surplus de ses conclusions ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Sanson, Maître des Requêtes,
- les observations de Me Parmentier, avocat du DEPARTEMENT DE LA DORDOGNE et de la SCP Vier, Barthélemy, avocat de Mme Z...,
- les conclusions de M. Chauvaux, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que M. X..., circulant à moto le 11 avril 1984 sur la route départementale 710 dans la commune d'Annesse et Beaulieu (Dordogne), est décédé des suites de ses blessures après avoir heurté un camion conduit par M. Y..., appartenant à la société DISCOB et assuré par la société Yokshire Insurance ; que, par un arrêt du 1er juin 1989, la cour d'appel de Bordeaux a évalué le préjudice de Mme Z..., mère de M. X..., à 50 000 F au titre de sa douleur morale et à 3 490 F au titre des frais d'obsèques, soit au total 53 490 F ; qu'estimant que l'accident était dû pour moitié à l'imprudence de M. X..., elle a condamné in solidum le conducteur du camion, son employeur et l'assureur du véhicule à verser à Mme Z... une indemnité de 26 475 F ; que la cour administrative d'appel de Bordeaux, statuant sur un appel dirigé contre un jugement du tribunal administratif de Bordeaux, a estimé que l'accident était dû pour un tiers à l'imprudence de la victime et pour les deux tiers au département, responsable de l'entretien de la voirie ; qu'elle a fixé le montant du préjudice à 75 000 F au titre de la douleur morale et à 3 490 F au titre des frais d'obsèques, soit au total 78 490 F ;
Considérant qu'en imputant partiellement au DEPARTEMENT DE LA DORDOGNE la responsabilité de l'accident dont a été victime M. X... au motif "qu'il ressort du procès-verbal dressé par les services de gendarmerie que dans le virage où des traces du dérapage de la moto ont été relevées, le revêtement de la chaussée présentait des déformations en creux et en bosses sur 25 mètres environ, sans qu'aucun panneau ne signalât le danger ; que cet état de fait est à l'origine de l'accident et constitue un défaut d'entretien normal de la voie publique, de nature à engager la responsabilité du DEPARTEMENT DE LA DORDOGNE", la cour administrative d'appel de Bordeaux a suffisamment motivé sa décision et n'a pas commis d'erreur dans la qualification juridique des faits ainsi constatés ; qu'en estimant "que toutefois, la victime, qui empruntait cette route quotidiennement depuis un mois, n'a pas fait la preuve de toute la prudence nécessaire pour adapter la conduite de son véhicule aux dangers de la chaussée dont elle connaissait l'existence", la cour a répondu au moyen tiré par le département de ce que la victime avait commis une faute ;
Considérant qu'après avoir fait mention, ainsi qu'il a été rappelé ci-dessus des éléments relatifs à l'état de la chaussée, la cour a pu, dans son appréciation souveraine des faits, juger qu'il existait un lien de causalité entre le défaut d'entretien normal de l'ouvrage et l'accident dont a été victime M. X... ; que l'appréciation souveraine à laquelle la cour s'est livrée en estimant que l'accident était imputable à concurrence des deux tiers au défaut d'entretien normal de l'ouvrage départemental, et d'un tiers à l'imprudence de M. X..., n'est pas susceptible, en l'absence de dénaturation des pièces du dossier, d'être contestée devant le juge de cassation ;

Considérant que la cour administrative d'appel de Bordeaux, statuant sur l'indemnisation due à Mme Z..., mère de la victime, après avoir constaté "que, par un arrêt en date du 1er juin 1989 devenu définitif, la cour d'appel de Bordeaux a condamné in solidum M. Y..., la société DISCOB et la compagnie d'assurances Yorkshire Insurance à verser à Mme Z... la somme de 26 475 F en réparation des conséquences dommageables de l'accident dont son fils a été victime", a conclu qu'"il y a lieu de déduire du préjudice global fixé à 78 490 F la somme de 26 745 F déjà versée à Mme Z... et de fixer en conséquence l'indemnité due par le DEPARTEMENT DE LA DORDOGNE à la somme de 51 745 F" ; qu'en déduisant ainsi l'indemnisation accordée à Mme Z... par le juge judiciaire du montant total du préjudice que le juge administratif avait arrêté sans tenir compte du partage de responsabilité qu'elle avait décidé entre le département et la victime, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit ; que le DEPARTEMENT DE LA DORDOGNE est fondé à demander l'annulation, sur ce point, de l'arrêt attaqué ;
Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la loi susvisée du 31 décembre 1987,le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut "régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie" ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond ;
Considérant qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par Mme Z... en le fixant à 75 000 F au titre de la douleur morale résultant pour elle du décès de son fils et à 3 490 F pour les frais d'obsèques, soit au total 78 490 F ; que, compte tenu du partage de responsabilité entre le département et la victime, Mme Z... a droit à ce que son préjudice soit réparé à hauteur de 52 326,60 F ; que Mme Z... ayant déjà reçu une somme de 26 745 F en réparation des conséquences dommageables de l'accident de son fils, en exécution de l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux en date du 1er juin 1989, l'indemnité due à l'intéressée par le DEPARTEMENT DE LA DORDOGNE doit être fixée à 25 581, 60 F ; que le jugement du tribunal administratif de Bordeaux en date du 21 juillet 1992 doit en conséquence être réformé ; qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de rejeter les conclusions incidentes présentées par Mme Z... devant la cour administrative d'appel et tendant à ce que le DEPARTEMENT DE LA DORDOGNE soit déclaré entièrement responsable de l'accident survenu à son fils ;
Article 1er : L'article 1er de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux en date du 14 novembre 1994 est annulé en tant qu'il fixe à 51 745 F l'indemnité due à Mme Z... par le DEPARTEMENT DE LA DORDOGNE.
Article 2 : La somme de 101 163 F que le DEPARTEMENT DE LA DORDOGNE a été condamné à verser à Mme Z... par le jugement du tribunal administratif de Bordeaux en date du 21 juillet 1992 est ramenée à 25 581,60 F, avec intérêts au taux légal à compter du 6 septembre 1990.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux en date du 21 juillet 1992 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête du DEPARTEMENT DE LA DORDOGNE et les conclusions de l'appel incident de Mme Z... devant la cour administrative d'appel de Bordeaux sont rejetés.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au DEPARTEMENT DE LA DORDOGNE, à Mme Lisiane Z... et au ministre de l'équipement, des transports et du logement.


Synthèse
Formation : 5 / 7 ssr
Numéro d'arrêt : 164738
Date de la décision : 17/05/2000
Sens de l'arrêt : Annulation partielle
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Recours en cassation

Analyses

- RJ1 RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - REPARATION - PREJUDICE - CARACTERE INDEMNISABLE DU PREJUDICE - AUTRES CONDITIONS - CAPréjudice déjà partiellement indemnisé en application d'un jugement du juge judiciaire - Modalités de calcul de l'indemnité due par l'administration - Déduction de la somme déjà versée de la part de préjudice imputable à l'administration compte tenu du partage de responsabilité (1).

60-04-01-04, 60-04-03-07 Motard victime d'un accident de la route. Décision du juge judiciaire évaluant le préjudice subi par sa mère à 50 000 francs au titre de la douleur morale et 3 490 francs au titre des frais d'obsèques, jugeant que le dommage est imputable pour moitié à l'imprudence de la victime et pour l'autre moitié à l'autre véhicule impliqué dans l'accident et condamnant in solidum le conducteur de ce véhicule, son employeur et son assureur à payer à l'ayant-droit de la victime une somme de 26 475 francs. Juge administratif évaluant le préjudice à 75 000 francs au titre de la douleur morale et 3 490 francs au titre des frais d'obsèques et estimant que le dommage est imputable pour les deux tiers au département en raison du défaut d'entretien de la voie publique et pour le tiers restant à l'imprudence de la victime. Commet une erreur de droit la cour administrative d'appel qui, pour calculer l'indemnité due par le département, déduit la somme déjà versée en exécution du jugement du juge judiciaire du montant total du préjudice subi, soit 78 490 francs, alors que cette indemnité doit être calculée en déduisant la somme déjà versée de la seule part du préjudice imputable à l'administration compte tenu du partage de responsabilité, soit 52 326,60 francs. Condamnation du département au paiement d'une indemnité de 25 581,60 francs et non de 51 745 francs ainsi que l'avait jugé la cour administrative d'appel.

- RJ1 RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - REPARATION - EVALUATION DU PREJUDICE - MODALITES DE FIXATION DES INDEMNITES - CAPréjudice déjà partiellement indemnisé en application d'un jugement du juge judiciaire - Déduction de la somme ainsi versée de l'indemnité due par l'administration - Existence - Modalités (1).


Références :

Loi 87-1127 du 31 décembre 1987 art. 11

1. Ab. jur. 1978-11-03, CHR de Rouen, p. 425 ;

Rappr. 1987-03-27, S.A. "Société de pavage et des asphaltes de Paris et l'Asphalte" (SPAPA), T. p. 948


Publications
Proposition de citation : CE, 17 mai. 2000, n° 164738
Publié au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Genevois
Rapporteur ?: M. Sanson
Rapporteur public ?: M. Chauvaux
Avocat(s) : Me Parmentier, SCP Vier, Barthélemy, Avocat

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2000:164738.20000517
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