Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 30 mars et 30 juillet 1992 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour le PORT AUTONOME DE NANTES-SAINT-NAZAIRE, dont le siège est ..., représenté par son directeur en exercice ; le PORT AUTONOME DE NANTES-SAINT-NAZAIRE demande que le Conseil d'Etat :
1°) annule le jugement en date du 30 janvier 1992 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la délibération du 25 juin 1990 par laquelle le conseil municipal de Bouguenais (Loire-Atlantique) a approuvé la révision du plan d'occupation de sols de la commune ;
2°) annule pour excès de pouvoir cette délibération ;
3°) condamne la commune de Bouguenais à lui verser la somme de 50 000 F sur le fondement de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de l'urbanisme ;
Vu le code du domaine public fluvial ;
Vu le code des ports maritimes ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-984 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de Mme de Margerie, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Gatineau, avocat du PORT AUTONOME DE NANTES-SAINT-NAZAIRE,
- les conclusions de M. Honorat, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que, par délibération en date du 25 juin 1990, le conseil municipal de la commune de Bouguenais (Loire-Atlantique) a approuvé la révision du plan d'occupation des sols de la commune ; qu'aux termes du règlement de ce plan, les dispositions antérieurement applicables au secteur de Cheviré Lavigne, qui admettaient l'implantation d'activités industrielles liées au trafic portuaire, ont été remplacées par des dispositions n'autorisant, d'est en ouest de ce secteur, que des activités commerciales, artisanales et des activités économiques légères liées au fleuve, pour une zone NAeb, des activités de sport et de loisir, pour une zone NDc, un port de plaisance pour une zone NAep, un espace naturel pour une zone NDa, et, au sud de ces quatre zones, un plan d'eau et des activités de loisir pour une zone NDea ; que le PORT AUTONOME DE NANTES-SAINT-NAZAIRE demande l'annulation de cette délibération en tant qu'elle porte sur ces cinq zones ;
Sur la légalité externe :
Considérant que l'article R. 123-11 du code de l'urbanisme dispose que "le plan d'occupation des sols rendu public est soumis par le maire à une enquête publique ( ...) ; un arrêté du maire précise : 1) l'objet de l'enquête ( ...), 2) les nom et qualité du commissaire-enquêteur ( ...), 3) les jours et heures, et le ou les lieux où le public pourra prendre connaissance du dossier ( ...), 4) ( ...) le ou les lieux, les jours et heures où le commissaire-enquêteur ( ...) se tiendra à la disposition du public ( ...), 5) le lieu où le public pourra adresser ses observations écrites ( ...). Un avis portant ces indications à la connaissance du public est, par les soins du maire, publié en caractères apparents dans deux journaux régionaux ou locaux diffusés dans le département, quinze jours au moins avant le début de l'enquête et rappelé de même dans les huit premiers jours de celle-ci. Il est publié par voie d'affiches et éventuellement par tous autres procédés dans la ou les communes concernées" ;
Considérant que, par arrêté en date du 16 janvier 1990, publié dans les conditions prescrites ci-dessus, le maire de Bouguenais a prévu que l'enquête publique préalable à la révision du plan d'occupation des sols se déroulerait du 12 février au 14 mars 1990 et fixé aux 16 février, 13 et 14 mars 1990 les dates auxquelles le commissaire-enquêteur se tiendrait à la disposition du public ; que l'avis d'enquête n'ayant pas fait l'objet d'un rappel dans le délai prévu par les dispositions susmentionnées, le maire de Bouguenais a, par un nouvel arrêté, prorogé l'enquête publique jusqu'au 7 avril suivant à midi et fixé au 6 avril une nouvelle permanence au cours de laquelle le public pourrait être reçu par le commissaire-enquêteur ; que ce nouvel arrêté a fait l'objet d'une publication dans les journaux locaux les 10, 11, 14, 16, 17 et 18 mars 1990 ; que si l'une de ces publications a été entachéed'une erreur purement matérielle fixant la date de clôture de l'enquête publique au 27 avril, cette erreur a été immédiatement rectifiée ; que les circonstances susmentionnées n'ont pas eu pour effet de priver le public des garanties prévues par l'article R. 123-11 susrappelé et n'ont pas entaché d'irrégularité la procédure suivie ;
Considérant qu'aucune disposition législative ou réglementaire ni aucun principe général du droit n'impose que les auteurs d'un plan d'occupation des sols recueillent l'accord préalable de la personne publique affectataire d'une dépendance du domaine public pour instituer sur celui-ci un emplacement réservé en application du 8°) de l'article L. 123-1 du code de l'urbanisme ; qu'ainsi le moyen tiré de ce que la commune de Bouguenais n'aurait pas recueilli l'accord du PORT AUTONOME DE NANTES-SAINT-NAZAIRE avant d'instituer des emplacements réservés à son profit sur les terrains affectés audit port, à supposer leur appartenance au domaine public établie, ne peut être accueilli ;
Sur la légalité interne :
Considérant que l'article L. 110 du code de l'urbanisme dispose "qu'afin d'aménager le cadre de vie, de gérer le sol de façon économe ( ...) les collectivités publiques harmonisent, dans le respect réciproque de leur autonomie, leurs prévisions et leurs décisions d'utilisation de l'espace" ; que l'article L. 121-10 du même code dispose "que les documents d'urbanisme déterminent les conditions permettant, d'une part, de limiter l'utilisation de l'espace ( ...) et, d'autre part, de prévoir suffisamment de zones réservées aux activités économiques et d'intérêt général" ; que l'article L. 123-1 du même code dispose que "les plans d'occupation des sols ( ...) doivent délimiter des zones urbaines ou à urbaniser ( ...) et déterminer des zones d'affectation des sols selon l'usage principal qui doit en être fait ou la nature des activités dominantes qui peuvent y être exercées" et que ces plans "doivent" respecter les servitudes d'utilité publique affectant l'utilisation du sol ainsi que les dispositions nécessaires à la mise en oeuvre des projets d'intérêt général relevant de l'Etat, de la région du département ou d'autres intervenants" ; que le 8° du même article prévoit que les plans d'occupation des sols peuvent "fixer les emplacements réservés aux voies et ouvrages publics, aux installations d'intérêt général ainsi qu'aux espaces verts" ;
Sur le moyen tiré de l'incompatibilité des dispositions du règlement du plan d'occupation des sols avec l'affectation domaniale du secteur considéré :
Considérant que l'appartenance de terrains au domaine public ne constitue pas en soi un obstacle à ce qu'ils fassent l'objet de prévisions et de prescriptions édictées par un plan d'occupation des sols ; que si un plan d'occupation des sols ne peut sans erreur manifeste d'appréciation soumettre des terrains inclus dans le domaine public à des prescriptions incompatibles avec l'affectation qui leur est effectivement donnée pour l'exécution notamment du service public portuaire, la seule inclusion dans la circonscription du PORT AUTONOME DE NANTES-SAINT-NAZAIRE par le décret du 23 novembre 1983 de terrains sans affectation précise n'entache pas, par elle-même, d'illégalité les dispositions du règlement du plan d'occupation des sols de la commune de Bouguenais qui seraient incompatibles avec l'affectation future de ces terrains à une activité portuaire ; que ces dispositions ne sauraient avoir pour effet de contraindre le port autonome à donner aux terrains jusqu'alors sans affectation précise compris dans son périmètre une destination autre que l'activité portuaire ; que, dans le cas où les prévisions du plan d'occupation des sols rendraient impossible l'affectation ultérieure que seul le port autonome peut décider, de certains de ces terrains à l'activité portuaire, il appartiendrait, le cas échéant, au préfet, dans les conditions prévues à l'article R. 123-5 du code de l'urbanisme, de porter à la connaissance du maire les projets d'intérêt général, au sens de l'article L. 121-12 du même code, dont la mise en oeuvre exige la mise en conformité du plan d'occupation des sols en cours d'élaboration ou de révision ;
Considérant que, par suite, le requérant ne saurait utilement se prévaloir de la domanialité publique des terrains litigieux qui n'ont pas encore reçu d'affectation et ne saurait davantage invoquer l'article L.111-2 du code des ports maritimes, qui n'a pas pour objet de régir l'élaboration des règles d'urbanisme ;
Sur le moyen tiré de la méconnaissance d'un projet d'intérêt général :
Considérant qu'aux termes de l'article R. 121-13 du code de l'urbanisme : "Constitue un projet d'intérêt général ( ...) tout projet ( ...) répondant aux conditions suivantes ( ...) 2°) avoir fait l'objet a) ( ...) d'une délibération ou d'une décision ( ...) arrêtant le principe et les conditions de réalisation du projet, et mise à la disposition du public ( ...)" ;
Considérant que ni le schéma d'aménagement approuvé en 1970, ni les décisions relatives à l'étendue de la circonscription du port ou à sa domanialité, ni le "livre blanc" du 28 juin 1982 ne peuvent être regardés par leur objet, et par la généralité de leurs prévisions, comme arrêtant le principe et les conditions de réalisation d'un projet d'intérêt général au sens de l'article R. 121-13 précité ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que le "plan d'aménagement du port", adopté par le conseil d'administration du port le 15 septembre 1989, ait vu ses conditions de réalisation précisées, ni ait été mis à la disposition du public ; qu'à cet égard, la circonstance que le plan d'occupation des sols de la commune de Bouguenais permît avant sa révision l'exercice d'activités portuaires du type de celles prévues par le plan d'aménagement n'est pas de nature à faire regarder ces dispositions comme équivalentes à la mise à la disposition du public du plan d'aménagement qui leur est postérieur ; qu'ainsi, le moyen tiré de ce que le PORT AUTONOME DE NANTES-SAINT-NAZAIRE pouvait se prévaloir de l'existence d'un projet d'intérêt général au sens de l'article R. 121-13 précité doit être écarté ;
Sur le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 110 du code de l'urbanisme :
Considérant que, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, l'éventuelle incompatibilité entre l'affectation domaniale de certains terrains compris dans les zones du plan d'occupation des sols dont le PORT AUTONOME DE NANTES-SAINT-NAZAIRE conteste les dispositions, d'une part, et l'absence d'un projet d'intérêt général, d'autre part, excluent en tout état de cause que les dispositions critiquées du plan d'occupation des sols puissent être regardées comme ayant été adoptées en violation des dispositions de l'article L. 110 du code de l'urbanisme susrappelé ;
Sur le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 121-10 du code de l'urbanisme :
Considérant que les dispositions régissant les zones du plan d'occupation des sols critiquées par le PORT AUTONOME DE NANTES-SAINT-NAZAIRE ne méconnaissent pas les objectifs de l'article L. 121-10 du code de l'urbanisme susrappelées ;
Sur le moyen tiré d'une erreur manifeste d'appréciation :
Considérant qu'en affectant le secteur critiqué, situé en bord de fleuve et demeuré à l'état naturel, issu pour partie de travaux de remblaiement, à des activités de loisir, à la préservation d'espaces naturels, ou à la création d'un plan d'eau, et, en ce qui concerne la zone NAeb, à des activités économiques, la commune n'a entaché son appréciation du choix des règles applicables à chacune des zones d'aucune erreur manifeste ;
Sur le moyen tiré de la violation de l'article L. 123-1 du code de l'urbanisme :
Considérant qu'aucun des usages prévus par les dispositions du règlement du plan d'occupation des sols applicables aux zones contestées, qui se bornent à caractériser les usages possibles de ces zones, n'imposait de réserver des emplacements particuliers à l'implantation d'ouvrages ou d'installations ; qu'ainsi, le PORT AUTONOME DE NANTES-SAINT-NAZAIRE n'est pas fondé à soutenir que le plan d'occupation des sols aurait, par les dispositions attaquées, méconnu les dispositions susrappelées de l'article L. 123-1 du code de l'urbanisme ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le PORT AUTONOME DE NANTES-SAINT-NAZAIRE n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la délibération du 25 juin 1990 par laquelle le conseil municipal de Bouguenais a approuvé la révision du plan d'occupation des sols ;
Sur les conclusions du PORT AUTONOME DE NANTES-SAINT-NAZAIRE et de la commune de Bouguenais relatives à l'application de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de la loi du 10 juillet 1991 et de condamner le PORT AUTONOME DE NANTES-SAINT-NAZAIRE à verser la somme de 25 000 F à la commune de Bouguenais au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Considérant que les dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que la commune de Bouguenais, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamnée à verser au PORT AUTONOME DE NANTES-SAINT-NAZAIRE la somme qu'il demande au titre des frais qu'il a exposés et non compris dans les dépens ;
Article 1er : La requête du PORT AUTONOME DE NANTES-SAINT-NAZAIRE est rejetée.
Article 2 : Le PORT AUTONOME DE NANTES-SAINT-NAZAIRE versera à la commune de Bouguenais la somme de 25 000 F au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au PORT AUTONOME DE NANTES-SAINT-NAZAIRE, à la commune de Bouguenais et au ministre de l'équipement, des transports et du logement.