Vu le recours, enregistré au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat le 21 juin 1996, présenté par le MINISTRE DE L'ECONOMIE ET DES FINANCES ; le ministre demande au Conseil d'Etat d'annuler l'article 3 du dispositif d'un arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy, du 6 mars 1996, rejetant son recours aux fins de réformation d'un jugement du tribunal administratif de Lille, du 8 juin 1993, en ce qu'il a accordé à la Société industrielle et financière des chantiers de France-Dunkerque une réduction des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles la Société métallurgique et navale Dunkerque-Normandie, aux droits de laquelle elle est venue, a été assujettie au titre de chacune des années 1978 et 1979 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Fabre, Conseiller d'Etat,
- les observations de la SCP Vier, Barthélemy, avocat de la Société industrielle et financière des chantiers de France-Dunkerque (S.I.F.C.F.D.),
- les conclusions de M. Courtial, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'en vertu des dispositions du 3 de l'article 38 du code général des impôts, rendu applicables en matière d'impôt sur les sociétés par l'article 209 du même code, les produits et travaux en cours doivent figurer à l'actif du bilan pour leur prix de revient ; qu'aux termes de l'article 38 nonies de l'annexe III audit code, dans la rédaction issue du décret du 28 octobre 1965, applicable en l'espèce, le "coût réel" constitutif de ce prix de revient est, " ... Pour les produits semi-ouvrés, les produits finis et les emballages commerciaux fabriqués, ... le coût d'achat des matières utilisées, augmenté de toutes les charges directes ou indirectes de production. Ces coûts sont fournis par la comptabilité analytique ..." ; que les charges directes ou indirectes de production ainsi visées comprennent, notamment, l'ensemble des frais et charges que l'entreprise assume en raison de l'emploi de ses salariés, dans la mesure où la comptabilité analytique, tenue selon les règles fixées par le plan comptable général, emporte rattachement de ces frais et charges aux opérations de production ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis à la cour administrative d'appel que la Société métallurgique et navale Dunkerque-Normandie, aux droits de laquelle vient la Société industrielle et financière des chantiers de France-Dunkerque, et qui était issue de la fusion, en 1977, de la Société métallurgique de Normandie et de la Société des chantiers de France-Dunkerque a, au cours de chacun des exercices clos en 1978 et 1979, versé au personnel repris de cette dernière société, devenu celui de sa "division navale", une prime qu'elle s'était engagée à lui allouer durant trois années, pour compenser la perte, prévisible en raison de la probabilité de ses résultats déficitaires, de l'avantage précédemment retiré par ce personnel de l'application d'un accord de participation aux fruits de l'expansion de l'entreprise ; qu'à l'issue d'une vérification de comptabilité, l'administration a rapporté les sommes versées de ce fait, et selon elle constitutives d'une charge de production, à la valeur des travaux en cours devant figurer à l'actif du bilan de la société ; que, pour rejeter, par l'arrêt attaqué, l'appel formé devant elle par le ministre du budget contre un jugement du tribunal administratif de Lille, en ce que celui-ci a accordé à la Société industrielle et financière des chantiers de France-Dunkerque la décharge des droits supplémentaires d'impôt sur les sociétés résultés de ce redressement, la cour administrative d'appel de Nancy s'est fondée sur ce que, trouvant son origine dans la fusion de sociétés intervenue en 1977, la prime litigieuse avait constitué, pour l'entreprise, une charge sans lien avec la production ; qu'en statuant ainsi, au seul vu des circonstances qui ont entraîné l'allocation de la prime et sans rechercher si les modalités de son attribution conduisaient ou non, selon les règles de la comptabilité analytique, à la rattacher aux opérations de production, la cour administrative d'appel a, sur ce point, entaché son arrêt d'une erreur de droit ; que le MINISTRE DE L'ECONOMIE ET DES FINANCES est, dès lors, fondé à demander que l'article 3, portant rejet des conclusions de son recours, du dispositif dudit arrêt soit annulé ;
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler immédiatement l'affaire au fond, et de statuer sur les conclusions de l'appel formé par le ministre du budget devant la cour administrative d'appel de Nancy ;
Considérant que la prime versée, dans les conditions susindiquées, par la Société métallurgique et navale Dunkerque-Normandie aux employés de sa "division navale" au cours de ses exercices clos en 1978 et 1979 a revêtu le caractère d'un complément de salaire dû aux intéressés, en vertu d'un engagement pris à leur égard par la société ; que, par suite, en admettant même que, comme l'affirme la Société industrielle et financière des chantiers de France-Dunkerque le montant en ait été fixé indépendamment de tout objectif de production ou d'accroissement de la productivité, ladite prime a, néanmoins, constitué une charge que les règles de la comptabilité analytique conduisent à rattacher aux opérations de production effectuées au cours des exercices de son versement, et, par voie de conséquence, au prix de revient des travaux en cours devant figurer à l'actif des bilans de clôture de ces exercices, dans toute la mesure où les salariés qui en ont bénéficié étaient affectés à la réalisation de ces opérations ou travaux ; que, si la Société industrielle et financière des chantiers de France-Dunkerque allègue qu'ont également bénéficié de la prime des salariés de la "division navale" affectés à des tâches d'administration générale et dont elle est fondée à soutenir en droit que la rémunération ne constituait pas un élément du prix de revient analytique des productions, elle n'apporte en fait à cet égard aucune précision ou justification utile ; que le ministre du budget est, dès lors, fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a prononcé la décharge des droits supplémentaires d'impôt sur les sociétés résultés du redressement susanalysé ;
Sur l'application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant que les dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante en l'instance de cassation, soit condamné à verser à la Société industrielle et financière des chantiers de France-Dunkerque la somme que celle-ci demande au titre des frais exposés devant le Conseil d'Etat et non compris dans les dépens ;
Article 1er : L'article 3, portant rejet des conclusions du recours présenté par le ministre du budget, du dispositif de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy du 6 mars 1996, et les articles 3 et 4 du dispositif du jugement du tribunal administratif de Lille du 8 juin 1993 sont annulés.
Article 2 : Les droits inclus dans les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles la Société métallurgique et navale Dunkerque-Normandie avait été assujettie au titre de l'année 1978 et de l'année 1979 à raison des bases respectives de 8 451 724 F et 3 258 704 F, correspondant à la réintégration de "travaux en cours", ainsi que les majorations qui avaient été appliquées à ces droits, sont remis à la charge de cette société.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et à la Société industrielle et financière des chantiers de France-Dunkerque.