Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 3 septembre 1996 et 2 janvier 1997 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la S.A.R.L. "EVASION 2000", dont le siège est ... ; la S.A.R.L. "EVASION 2000" demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 2 juillet 1996 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa requête aux fins de réduction du complément de taxe sur la valeur ajoutée qui lui a été assigné au titre de la période du 1er janvier 1982 au 31 décembre 1984, des suppléments d'impôt sur les sociétés auxquels elle a été assujettie au titre de chacune des années 1982, 1983 et 1984, et des pénalités ajoutées à ces impositions ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Fabre, Conseiller d'Etat,
- les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de la S.A.R.L. "EVASION 2000",
- les conclusions de M. Courtial, Commissaire du gouvernement ;
Sur l'étendue du litige :
Considérant que, par décision du 20 avril 1999, postérieure à l'introduction du pourvoi de la S.A.R.L. "EVASION 2000", le directeur des services fiscaux de Paris-Centre a prononcé d'office le dégrèvement d'une fraction, s'élevant à 30 096 F des majorations appliquées au complément de taxe sur la valeur ajoutée assigné à cette société au titre de la période du 1er janvier 1982 au 31 décembre 1984 ; qu'à concurrence de ce dégrèvement, qui procède de la reconnaissance du bien-fondé du moyen tiré par la requérante de ce que la cour administrative d'appel aurait dû faire application d'office, en sa faveur, des dispositions de la loi du 8 juillet 1987 modifiant le taux des pénalités fiscales, les conclusions du pourvoi sont devenues sans objet, et qu'il n'y a lieu d'y statuer ;
Sur le surplus des conclusions du pourvoi :
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis à la cour administrative d'appel que les compléments de taxe sur la valeur ajoutée et les suppléments d'impôt sur les sociétés contestés par la S.A.R.L. "EVASION 2000" ont été établis, d'une part, au titre des sous-périodes coïncidant avec les années 1982 et 1984 et au titre de l'année 1982, suivant la procédure de la rectification d'office, et, d'autre part, au titre de la sous-période coïncidant avec l'année 1983 et au titre de chacune des années 1983 et 1984, suivant la procédure de la taxation d'office, eu égard à la souscription de déclarations tardives ;
En ce qui concerne les impositions établies suivant la procédure de la rectification d'office :
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi ;
Considérant que, pour juger que l'administration établissait avoir régulièrement fait application de la procédure de la rectification d'office alors prévue par l'article L. 75 du livre des procédures fiscales en raison d'un défaut de valeur probante de la comptabilité de la S.A.R.L. "EVASION 2000", la cour administrative d'appel s'est, notamment, fondée sur la circonstance, selon elle invoquée par le service et non contredite par la société, que celle-ci n'aurait pu présenter au vérificateur ses "livres de compte" ; qu'il ressort des pièces du dossier que l'administration n'a, cependant, jamais contesté que la comptabilité présentée par la société était, formellement, régulière et complète ; que la requérante, par suite, est fondée à soutenir que l'arrêt attaqué est, sur ce point, entaché d'une dénaturation des pièces du dossier ; que ledit arrêt, dès lors, doit être annulé en tant que la Cour a statué sur les impositions susindiquées, établies par voie de rectification d'office ;
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, par application de l'article 11, deuxième alinéa, de la loi du 31 décembre 1987, de régler l'affaire au fond en ce qui concerne les impositions dont s'agit et les pénalités correspondantes ;
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
Considérant qu'il est établi par l'administration que la S.A.R.L. "EVASION 2000", qui exerce une activité de fabrication de "prêt-à-porter", a enregistré dans sa comptabilité, au cours, notamment, des années 1982 et 1984, de nombreux paiements censés correspondre à des travaux à façon effectués pour elle, mais en justification desquels elle a présenté des factures émanant de six sociétés dont il est avéré que, dans leurs relations avec leurs clients, elles n'exécutaient pas detravaux elles-mêmes, et se bornaient à délivrer des factures, soit destinées à donner une apparence de régularité au règlement de prestations fournies par des ateliers de confection clandestins, soit faisant mention de prestations purement fictives ; qu'il est constant que la S.A.R.L. "EVASION 2000" n'a pu, en outre, présenter aucun document, tel que bon de livraison, livre de coupe ou fiche technique de fabrication, de la nature de ceux qui sont normalement établis entre donneur d'ordres et façonniers, et qui puisse corroborer la réalité, par elle alléguée, des prestations mentionnées sur ces factures ; qu'ainsi, l'administration apporte la preuve que, n'étant pas assortie de pièces justificatives probantes, la comptabilité de la S.A.R.L. "EVASION 2000" a pu à bon droit être écartée, et la procédure de la rectification d'office régulièrement mise en oeuvre à son encontre ;
Sur le bien-fondé des impositions :
Considérant que, d'une part, en vertu des dispositions combinées des articles 272-2 et 283-4 du code général des impôts et de l'article 223-1 de l'annexe II à ce code, un contribuable n'est pas en droit de déduire de la taxe sur la valeur ajoutée dont il est redevable à raison de ses propres opérations la taxe mentionnée sur une facture établie à son nom par une personne qui ne lui a fourni aucune marchandise ou prestation de services ou dont il ne peut ignorer qu'elle n'est pas le véritable fournisseur d'une marchandise ou d'une prestation effectivement livrée ou exécutée ; que, d'autre part, seul peut être déduit du bénéfice industriel et commercial net, au titre des charges visées au 1 de l'article 39 du code général des impôts, le coût facturé de marchandises ou de prestations de services qui ont réellement été livrées ou rendues à l'entreprise ;
Considérant que la S.A.R.L. "EVASION 2000", à laquelle il incombe d'apporter la preuve d'une exagération des impositions, régulièrement établies par voie de rectification d'office, qu'elle conteste, ne fournit aucun élément corroborant ses allégations selon lesquelles les factures émises à son nom par les sociétés qui, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, se sont avérées ne pas effectuer, elles-mêmes, de travaux de confection auraient, néanmoins, correspondu à des prestations qui lui ont effectivement été rendues, et qu'elle croyait avoir été exécutées par ces sociétés ; qu'elle n'établit pas, par suite, que c'est à tort que l'administration n'a pas admis la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée portée sur ces factures de la taxe dont elle-même était redevable à raison de ses propres opérations ; qu'elle n'établit pas davantage, en l'absence de justification de la réalité des prestations, que c'est à tort que l'administration n'a pas admis la déduction du montant desdites factures en vue de déterminer son bénéfice net imposable à l'impôt sur les sociétés ; que la S.A.R.L. "EVASION 2000" n'est, dès lors, pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement dont elle fait appel, le tribunal administratif a rejeté sa demande en décharge des droits qui lui ont été assignés de ce fait ;
Sur les pénalités :
Considérant que les droits litigieux ont été assortis des majorations prévues, aux articles 1729 et 1731 du code général des impôts, lorsque "la mauvaise foi du redevable est établie" ;
Considérant, en premier lieu, qu'en se référant, dans sa lettre du 30 janvier 1987 faisant part à la S.A.R.L. "EVASION 2000" de son intention de lui appliquer les pénalités litigieuses, à l'utilisation répétée qu'elle avait faite de factures irrégulières, l'administration a, contrairement à ce que soutient la requérante, suffisamment motivé l'établissement de ces pénalités ;
Considérant, en second lieu, que l'administration, à laquelle il incombe d'apporter la preuve du bien-fondé de l'application de ces sanctions, établit que la S.A.R.L. "EVASION 2000" a enregistré dans sa comptabilité des factures émanant de sociétés n'exerçant aucune activité réelle, et n'a pas été en mesure de justifier de la matérialité des prestations au paiement desquelles ces factures auraient servi ; que la S.A.R.L. "EVASION 2000" ne saurait, par suite, soutenir que l'administration n'a pas établi sa mauvaise foi et que c'est à tort que les premiers juges ne lui ont pasaccordé la réduction des majorations contestées au seul montant des indemnités ou des intérêts de retard ;
En ce qui concerne les impositions établies par voie de taxation d'office :
Sur le bien-fondé des droits principaux :
Considérant que, s'agissant d'impositions dont il n'était pas contesté qu'elles avaient régulièrement été établies par voie de taxation d'office, la cour administrative d'appel n'a, contrairement à ce que soutient la S.A.R.L. "EVASION 2000", aucunement méconnu les règles qui gouvernent la dévolution de la charge de la preuve en jugeant qu'il lui incombait d'établir la réalité des prestations mentionnées sur les factures dont, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, l'administration n'a tenu compte, ni pour la détermination de ses droits à déduction de taxe sur la valeur ajoutée, ni pour l'évaluation des charges déductibles de ses bénéfices imposables ; que la cour administrative d'appel a, sans commettre d'erreur de droit et dans l'exercice de son souverain pouvoir d'appréciation, jugé cette preuve non apportée, notamment par les seuls assujettissement apparent à la taxe sur la valeur ajoutée et inscription régulière au registre de commerce des sociétés facturières ; qu'enfin, la requérante ne saurait, en tout état de cause, utilement invoquer, sur ce point, les stipulations, inapplicables dans un litige ayant trait à l'assiette de l'impôt, de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Sur les pénalités :
Sans qu'il soit besoin d'examiner sur ce point les autres moyens du pourvoi ;
Considérant qu'il appartient à l'administration, si, comme en l'espèce, elle a fait application des majorations prévues, aux articles 1729 et 1731 du code général des impôts, lorsque "la mauvaise foi du redevable est établie", d'apporter la preuve de cette mauvaise foi ; qu'en se fondant, pour écarter le moyen tiré par la S.A.R.L. "EVASION 2000" de ce que lesdites majorations n'étaient pas fondées, sur ce qu'il résultait de l'instruction qu'elle avait en toute connaissance de cause utilisé des factures irrégulières et participé ainsi à un système de fraude, sans rechercher si l'administration apportait effectivement la preuve d'une telle circonstance, la cour administrative d'appel a méconnu les règles qui gouvernent, en la matière, la dévolution de la charge de la preuve ; que la S.A.R.L. "EVASION 2000" est, par suite, fondée à demander l'annulation sur ce point de l'arrêt attaqué ;
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, par application de l'article 11, deuxième alinéa, de la loi du 31 décembre 1987, de régler l'affaire au fond en ce qui concerne les majorations afférentes aux droits établis par voie de taxation d'office ;
Considérant qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, la S.A.R.L. "EVASION 2000" n'est fondée, ni à soutenir que l'administration aurait insuffisamment motivé, dans sa lettre du 30 janvier 1987, sa décision de lui appliquer les pénalités litigieuses, ni à prétendre que l'administration n'établit pas sa mauvaise foi ; que, par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ne lui ont pas accordé la réduction des majorations contestées au seul montant des indemnités ou des intérêts de retard ;
Sur l'application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant que les dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, soit condamné à verser à la S.A.R.L. "EVASION 2000" la somme que celle-ci réclame, en remboursement des fraisexposés par elle et non compris dans les dépens ;
Article 1er : Il n'y a lieu de statuer sur les conclusions de la requête de la S.A.R.L. "EVASION 2000" à concurrence d'une fraction, s'élevant à 30 096 F, des pénalités comprises dans l'avis de mise en recouvrement qui lui a été décerné le 4 novembre 1987.
Article 2 : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 2 juillet 1996 est annulé en tant, 1° que la Cour a statué sur les compléments de taxe sur la valeur ajoutée et pénalités assignés à la S.A.R.L. "EVASION 2000" au titre des sous-périodes coïncidant avec les années 1982 et 1984, et sur le supplément d'impôt sur les sociétés et les pénalités auxquels elle a été assujettie au titre de l'année 1982, 2° que la Cour a statué sur les pénalités ajoutées au complément de taxe sur la valeur ajoutée assigné à la société au titre de la sous-période coïncidant avec l'année 1983 et aux suppléments d'impôt sur les sociétés auxquels elle a été assujettie au titre de chacune des années 1983 et 1984.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête et les conclusions tendant à la décharge des droits et pénalités mentionnés à l'article 2 ci-dessus de la requête présentée devant la cour administrative d'appel de Paris par la S.A.R.L. "EVASION 2000" sont rejetés.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la S.A.R.L. "EVASION 2000" et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.