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27/10/2000 | FRANCE | N°214022

France | France, Conseil d'État, 6 / 4 ssr, 27 octobre 2000, 214022


Vu le recours enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 2 novembre 1999, présenté par le MINISTRE DE L'INTERIEUR ; le MINISTRE DE L'INTERIEUR demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt en date du 16 septembre 1999 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a annulé le jugement du 5 novembre 1997 du tribunal administratif de Melun et son arrêté du 4 décembre 1996 décidant l'expulsion de M. Abdullah Ozaslan du territoire national et a condamné l'Etat à verser à M. Ozaslan une somme de 5 000 F en application de l'article L.8-1 du code des tribu

naux administratifs et des cours administratives d'appel ;
2°) ...

Vu le recours enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 2 novembre 1999, présenté par le MINISTRE DE L'INTERIEUR ; le MINISTRE DE L'INTERIEUR demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt en date du 16 septembre 1999 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a annulé le jugement du 5 novembre 1997 du tribunal administratif de Melun et son arrêté du 4 décembre 1996 décidant l'expulsion de M. Abdullah Ozaslan du territoire national et a condamné l'Etat à verser à M. Ozaslan une somme de 5 000 F en application de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
2°) de rejeter l'appel formé par M. Ozaslan devant la cour administrative d'appel de Paris ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée ;
Vu la loi du 11 juillet 1979 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Vu le décret n° 63-766 du 30 juillet 1963 modifié par le décret n° 91-1177 du 24 décembre 1997 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. de la Verpillière, Conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Lamy, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que pour annuler l'arrêté du MINISTRE DE L'INTERIEUR du 4 décembre 1996 ordonnant l'expulsion du territoire français de M. Ozaslan, ressortissant turc, sur le fondement de l'article 23 de l'ordonnance susvisée du 2 novembre 1945, la cour administrative d'appel de Paris a fait droit au moyen tiré de la violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Considérant qu'aux termes des stipulations de cet article 8 : "1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui" ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la décision d'expulsion est motivée à titre principal par le meurtre dont M. Ozaslan s'est rendu coupable sur la personne de son épouse en 1991 et pour lequel il a été condamné à dix ans de réclusion criminelle ; qu'en estimant que cette décision portait au droit de l'intéressé au respect de sa vie familiale une atteinte disproportionnée aux nécessités de l'ordre public aux motifs que M. Ozaslan, arrivé en France en 1973 à l'âge de dix-huit ans, avait vécu pendant dix ans avec une ressortissante française, dont il a eu un enfant également de nationalité française âgé de 14 ans à la date de la mesure contestée, et avec laquelle il s'est marié en octobre 1996 et qu'il était, par ailleurs, père de deux enfants mineurs nés de son premier mariage en 1983 et 1987 vivant en France et sur lesquels il exerce l'autorité parentale à la suite d'un arrêt de la cour d'appel de Grenoble le rétablissant dans ses droits, la cour d'appel administrative d'appel de Paris a inexactement qualifié les faits de l'espèce au regard des stipulations précitées ; qu'il en résulte que le MINISTRE DE L'INTERIEUR est fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;
Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la loi susvisée du 31 décembre 1987, le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut "régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie" ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond ;
Considérant qu'aux termes du dernier alinéa de l'article 24 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 susvisée : "Un procès-verbal enregistrant les explications de l'étranger est transmis, avec l'avis motivé de la commission, à l'autorité administrative compétente pour statuer" ; qu'il ressort des pièces du dossier que le moyen tiré de ce que les explications de M. Ozaslan n'auraient pas été communiquées au ministre manque en fait ;

Considérant qu'en se fondant, pour prononcer l'expulsion de M. Ozaslan, sur le meurtre qu'il a commis et sur l'ensemble du comportement de l'intéressé, le MINISTRE DE L'INTERIEUR a suffisamment motivé sa décision et satisfait ainsi aux exigences de la loi du 11 juillet 1979 ;
Considérant que si, à la suite du meurtre perpétré sur la personne de son épouse, M. Ozaslan a reconstitué une vie familiale avec la concubine, dont il avait eu précédemment un enfant et qu'il a épousée en secondes noces, cette circonstance ne suffit pas à faire regarder la mesure d'expulsion prise à son encontre et motivée principalement par le crime dont il a été reconnu coupable, comme ayant porté une atteinte excessive au droit au respect de sa vie familiale ;
Considérant qu'en estimant que, eu égard au meurtre qu'il a commis, la présence de M. Ozaslan constituait une menace grave pour l'ordre public, le MINISTRE DE L'INTERIEUR n'a pas entaché son appréciation d'erreur manifeste ;
Considérant que le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. Ozaslan n'est pas fondé à demander l'annulation du jugement, en date du 5 novembre 1997, par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté d'expulsion du 4 décembre 1996 ;
Sur les conclusions de M. Ozaslan tendant à l'annulation de la mesure d'assignation à résidence et à l'octroi d'un titre de séjour :
Considérant que si M. Ozaslan demande, par voie de conséquence de l'annulation de l'arrêté ordonnant son expulsion du territoire français, que soit annulée la mesure d'assignation à résidence à laquelle il est soumis et qu'il soit enjoint à l'administration de lui délivrer un titre de séjour, la présente décision, qui rejette les conclusions de M. Ozaslan contre l'arrêté d'expulsion, n'entraîne aucune mesure d'exécution ;
Sur les conclusions de M. Ozaslan tendant à l'application des dispositions de l'article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :
Considérant que les dispositions de l'article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à payer à M. Ozaslan la somme qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 16 septembre 1999 est annulé.
Article 2 : La requête présentée par M. Ozaslan devant la cour administrative d'appel de Paris est rejetée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'intérieur et à M. Abdullah Ozaslan.


Synthèse
Formation : 6 / 4 ssr
Numéro d'arrêt : 214022
Date de la décision : 27/10/2000
Sens de l'arrêt : Annulation rejet
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Recours en cassation

Analyses

DROITS CIVILS ET INDIVIDUELS - CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME - DROITS GARANTIS PAR LA CONVENTION - DROIT AU RESPECT DE LA VIE FAMILIALE (ART - 8) - VIOLATION - EXPULSION - CAEtranger ayant reconstitué une vie familiale à la suite du meurtre de sa première épouse - Absence de violation.

26-055-01-08-02-02, 335-02-04 Si, à la suite du meurtre perpétré sur la personne de son épouse, l'intéressé a reconstitué une vie familiale avec la concubine dont il avait eu précédemment un enfant et qu'il a épousée en secondes noces, cette circonstance ne suffit pas à faire regarder la mesure d'expulsion prise à son encontre et motivée principalement par le crime dont il a été reconnu coupable, comme ayant porté une atteinte excessive au droit au respect de sa vie familiale.

ETRANGERS - EXPULSION - DROIT AU RESPECT DE LA VIE FAMILIALE - CAAtteinte excessive - Absence - Etranger ayant reconstitué une vie familiale à la suite du meurtre de sa première épouse.


Références :

Arrêté du 04 décembre 1996
Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel L8-1
Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 04 novembre 1950 art. 8
Loi 79-587 du 11 juillet 1979
Loi 87-1127 du 31 décembre 1987 art. 11
Ordonnance 45-2658 du 02 novembre 1945 art. 23, art. 8, art. 24


Publications
Proposition de citation : CE, 27 oct. 2000, n° 214022
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Genevois
Rapporteur ?: M. de la Verpillière
Rapporteur public ?: M. Lamy

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2000:214022.20001027
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