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08/11/2000 | FRANCE | N°200837

France | France, Conseil d'État, 08 novembre 2000, 200837


Vu la requête enregistrée le 22 octobre 1998 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. Guy X..., demeurant ... ; M. COTTIN demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt n° 97NT02626-97NT02627 du 28 mai 1998 en tant que par ledit arrêt, la cour administrative d'appel de Nantes, réformant le jugement n° 94-2870 du 31 juillet 1995 du tribunal administratif de Nantes, a limité à 370 000 F le montant de l'indemnité que le syndicat mixte de l'orchestre philharmonique des Pays-de-Loire est condamné à lui payer en réparation des pertes de revenu consé

cutives au licenciement illégal de son emploi de musicien-professeur...

Vu la requête enregistrée le 22 octobre 1998 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. Guy X..., demeurant ... ; M. COTTIN demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt n° 97NT02626-97NT02627 du 28 mai 1998 en tant que par ledit arrêt, la cour administrative d'appel de Nantes, réformant le jugement n° 94-2870 du 31 juillet 1995 du tribunal administratif de Nantes, a limité à 370 000 F le montant de l'indemnité que le syndicat mixte de l'orchestre philharmonique des Pays-de-Loire est condamné à lui payer en réparation des pertes de revenu consécutives au licenciement illégal de son emploi de musicien-professeur ;
2°) de condamner le syndicat mixte de l'orchestre philharmonique des Pays-de-Loire à lui verser une somme de 8 000 F au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
Vu la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
Vu le décret-loi du 29 octobre 1936 ;
Vu le décret n° 91-298 du 20 mars 1991 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Vu le décret n° 63-766 du 30 juillet 1963 modifié par le décret n° 97-1177 du 24 décembre 1997 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Delion, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Richard, Mandelkern, avocat de M. Guy X... et de la SCP Nicolay, de Lanouvelle, avocat du syndicat mixte de l'orchestre philharmonique des Pays-de-Loire,
- les conclusions de M. Austry, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. COTTIN, recruté à compter du 1er avril 1972 par contrat de trois ans renouvelable par tacite reconduction comme musicien-professeur par l'orchestre philharmonique des Pays-de-Loire (OPPL) a refusé les nouvelles modalités d'emploi que lui proposait, en application d'une délibération du 8 avril 1993, le syndicat mixte de gestion de cet orchestre et que l'intéressé a fait l'objet d'une mesure de licenciement prenant effet au 1er septembre 1993 ; que s'il a, par la voie du recours pour excès de pouvoir, attaqué la délibération susévoquée et obtenu son annulation, il n' a pas contesté la mesure de licenciement le concernant mais a réclamé, d'une part, le versement d'une indemnité de licenciement, d'autre part, le paiement des salaires qu'il n'avait pu percevoir en raison de la décision prise par le syndicat mixte de mettre fin à son contrat ; que, saisi du litige né du refus du syndicat mixte de donner satisfaction à ces demandes, le tribunal administratif de Nantes a, par un jugement du 31 juillet 1995, déclaré qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur la demande d'indemnité de licenciement présentée, celle-ci d'un montant de 160 722,28 F ayant été versée en cours d'instance par le syndicat mixte, et a accordé à l'intéressé l'indemnisation de la perte de ses salaires jusqu'à la date du jugement soit à concurrence de 294 556,11 F ; qu'en appel, et sur requête de M. COTTIN, la cour administrative d'appel de Nantes a le 28 mai 1998 confirmé le jugement susanalysé en tant qu'il prononçait le non-lieu à statuer sur l'indemnité de licenciement et l'a réformé, en ce qui concerne l'indemnisation de la perte de salaires, pour prendre en compte la période allant jusqu'à la première date de renouvellement contractuellement prévue qui suivait la date du licenciement ; que la cour a porté ainsi l'indemnisation dont il s'agit à la somme de 370 000 F ;
Considérant que M. COTTIN conteste, par la voie du recours en cassation, l'arrêt ainsi rendu par la cour administrative d'appel de Nantes en tant que, par cet arrêt, la cour administrative d'appel n'a pas pris en compte, pour le calcul de la perte de salaires indemnisable, la période allant jusqu'à la date à laquelle il aurait normalement été amené à faire valoir ses droits à la retraite et que, par la voie du recours incident, le syndicat mixte conteste le même arrêt en tant qu'il l'a condamné à verser une indemnité au titre du préjudice subi par M. COTTIN à raison de la perte de salaire résultant de l'irrégularité de la décision de licenciement dont ce dernier a fait l'objet ;
Sur le pourvoi de M. COTTIN et le recours incident de l'orchestre philharmonique des Pays-de-Loire :
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi ;

Considérant qu'aux termes de l'article 1er du décret-loi du 29 octobre 1936 relatif aux cumuls de retraites, de rémunérations et de fonctions : "Sauf dispositions statutaires particulières et sous réserve des droits acquis par certains personnels en vertu de textes législatifs ou réglementaires antérieurs, la réglementation sur les cumuls : - d'emplois ( ...) s'applique aux ( ...) agents ( ...) des collectivités locales et organismes suivants : 1°) Administrations de l'Etat, des départements et territoires d'outre-mer, des offices et établissements publics de ces collectivités à caractère administratif ( ...) ; qu'aux termes de l'article 7 de ce même décret-loi : "Nul ne peut exercer simultanément plusieurs emplois rémunérés sur les budgets des collectivités visées par l'article 1er. Est considérée comme emploi pour l'application des règles posées au présent titre toute fonction qui, en raison de son importance, suffirait à occuper normalement à elle seule l'activité d'un agent, et dont la rémunération, quelle que soit sa dénomination, constituerait, à raison de sa quotité, un traitement normal pour ledit agent ( ...) ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le syndicat mixte avait invoqué, à l'appui de l'appel qu'il avait formé contre le jugement par lequel le tribunal administratif de Nantes l'avait condamné à verser à M. COTTIN une somme au titre de l'indemnisation de la perte de salaires, un moyen tiré de la situation irrégulière dans laquelle se trouvait M. COTTIN au regard des dispositions précitées de l'article 7 du décret du 29 octobre 1936 ; qu'en jugeant que cette circonstance, à la supposer établie, n'aurait pas eu pour conséquence de supprimer ou de réduire le droit à indemnisation auquel pouvait prétendre M. COTTIN, alors que ce dernier ne pouvait, s'il se trouvait effectivement en situation irrégulière au regard de la réglementation des cumuls, continuer à occuper légalement l'emploi dont il aurait été illégalement privé, la cour a commis une erreur de droit ; que le syndicat mixte est dès lors fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il statue sur les conclusions de M. COTTIN tendant au versement d'une indemnité en sus de l'indemnité de licenciement et l'indemnité de préavis ; qu'il y a lieu d'annuler l'arrêt attaqué dans cette mesure et de rejeter, par voie de conséquence, les conclusions de la requête présentée par M. COTTIN devant le juge de cassation ;
Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la loi susvisée du 31 décembre 1987, le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut "régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie" ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond sur le point susindiqué ;
Sur le principe de la responsabilité du syndicat mixte :

Considérant, d'une part, que, par une décision du 28 mars 1997, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a confirmé le jugement du 9 mars 1995 par lequel le tribunal administratif de Nantes a annulé la délibération précitée du 8 avril 1993 ; que l'illégalité fautive entachant ladite délibération est de nature à engager la responsabilité du syndicat mixte de l'orchestre philharmonique des Pays-de-Loire, lequel ne peut utilement se prévaloir ni de la circonstance que l'intéressé n'aurait pas déféré au juge de l'excès de pouvoir la décision de licenciement le concernant, ni de celle qu'il aurait refusé un emploi à temps complet, ni du fait qu'il n'aurait pas demandé sa réintégration postérieurement à l'annulation de la délibération susvisée du 8 avril 1993 ;
Considérant, d'autre part, que si le syndicat mixte soutient que le droit à indemnisation de M. COTTIN doit être réduit ou supprimé en raison de la situation de cumul irrégulier dans laquelle il se trouvait au regard des dispositions de l'article 7 précité, il résulte de l'article 3 du même décret qu'est exclue de son champ d'application la production des oeuvres artistiques ; que ces dispositions font, dès lors, obstacle à ce que puissent être opposées à M. COTTIN, qui exerçait l'activité de musicien au sein de l'orchestre philharmonique des Pays-de-Loire, les dispositions de l'article 7 précité ; que, par suite, le syndicat mixte ne peut utilement se prévaloir,à l'appui de ses conclusions tendant à ce qu'il soit déchargé de tout ou partie de sa responsabilité, de ce que l'intéressé était en infraction aux règles de cumul prescrites par cet article ;
Considérant qu'en admettant même que les dispositions de l'article 8 du décret du 20 mars 1991 en vertu desquelles un fonctionnaire territorial ne peut occuper un ou plusieurs emplois permanents à temps non complet que si la durée totale de service qui en résulte n'excède pas de plus de 15 % celle afférente à un emploi à temps complet soient applicables aux musiciens d'orchestre, il ne résulte pas de l'instruction qu'en l'espèce, et eu égard à la spécificité de son activité de musicien d'orchestre, M. COTTIN aurait méconnu ces dispositions ;
Sur le montant de l'indemnité :
Considérant que le contrat conclu pour une durée déterminée antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi susvisée du 26 janvier 1984 entre une collectivité locale ou un établissement public relevant de ladite collectivité et un agent, qui a été reconduit en vertu d'une clause de tacite reconduction, ne comporte pas de terme certain et de date fixe ; qu'il doit dès lors être regardé comme un contrat à durée indéterminée ;

Considérant que M. COTTIN ayant été recruté à compter du 1er avril 1972 en qualité de professeur à l'école nationale de musique de Nantes par un contrat de trois ans et ce contrat ayant été reconduit à plusieurs reprises en vertu d'une clause de tacite reconduction, il résulte de ce qui précède qu'il était titulaire d'un contrat à durée indéterminée, ne comportant par conséquent plus de terme certain, au moment où il a été procédé à son licenciement ; que, par suite, c'est à tort que le tribunal administratif de Nantes qui s'est référé aux rémunérations auxquelles aurait pu prétendre l'intéressé en exécution de son contrat de trois ans, n'a pas fait, pour évaluer le préjudice subi par M. COTTIN, application des règles relatives à la rupture dans des conditions irrégulières d'un contrat à durée indéterminée ;
Considérant qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. COTTIN ;
Considérant que la délibération du comité du syndicat mixte prévoyant la suppression progressive des emplois à temps incomplet au sein de l'orchestre, en application de laquelle a été prise la décision de licencier M. COTTIN, a été annulée par le juge administratif pour un motif tiré du vice de la procédure précédant l'adoption de la délibération annulée, qui résultait du défaut de consultation du comité technique paritaire ; que, par ailleurs, M. COTTIN a perçu une indemnité de licenciement équivalant à un an de traitement qui constitue la réparation normale de la rupture d'un contrat à durée indéterminée ; que toutefois, il est en droit de prétendre à la réparation du préjudice financier, professionnel et moral que lui a causé la faute résultant de l'irrégularité de la délibération dont procède la décision de le licencier ; que si M. COTTIN est fondé à invoquer l'existence d'un préjudice financier, il ne peut pas pour autant prétendre, en l'absence de service fait, au versement de sa rémunération pendant la période qu'il invoque ; que l'intéressé, compte tenu des liens existant entre l'exercice des fonctions de professeur de musique et celles de musicien, est également fondé à invoquer le préjudice professionnel que lui a causé son éviction de l'orchestre ; que l'intéressé enfin, compte tenu de sa réputation de musicien, est fondé à invoquer le préjudice moral que lui a causé cette même éviction ;
Considérant qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par M. COTTIN à raison de son licenciement en fixant l'indemnité qui lui est due, en sus de l'indemnité de licenciement de 160 722,78 F qu'il a perçue, à 300 000 F, tous intérêts compris ; que, dans cette mesure, le syndicat mixte est fondé à demander la réformation du jugement attaqué tandis que la requête de M. COTTIN doit être rejetée ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par M. COTTIN et le syndicat mixte de l'orchestre philharmonique des Pays-de-Loire et relatives aux frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;
Article 1er : L'arrêt n° 97NT02626-97NT02627 du 28 mai 1998 de la cour administrative d'appel de Nantes est annulé en tant qu'ils statue sur les conclusions tendant à ce que le syndicat mixte de l'orchestre philharmonique des Pays-de-Loire soit condamné à payer à M. COTTIN une indemnité en réparation du préjudice résultant du licenciement irrégulier de son emploi de musicien-professeur.
Article 2 : Le syndicat mixte de l'orchestre philharmonique des Pays-de-Loire est condamné à payer à M. COTTIN une somme de 300 000 F, tous intérêts compris, en réparation du préjudice résultant du licenciement irrégulier de son emploi de musicien-professeur.
Article 3 : Le jugement du 31 juillet 1995 du tribunal administratif de Nantes est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 4 : Le recours en cassation de M. COTTIN et le surplus des conclusions du pourvoi incident du syndicat mixte de l'orchestre philharmonique des Pays-de-Loire sont rejetés.
Article 5 : La requête d'appel de M. COTTIN et le surplus des conclusions de la requête d'appel du syndicat mixte sont rejetés.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. Guy COTTIN, au syndicat mixte de l'orchestre philharmonique des Pays-de-Loire et au ministre de l'intérieur.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Recours en cassation

Analyses

36-07-01-03 FONCTIONNAIRES ET AGENTS PUBLICS - STATUTS, DROITS, OBLIGATIONS ET GARANTIES - STATUT GENERAL DES FONCTIONNAIRES DE L'ETAT ET DES COLLECTIVITES LOCALES - DISPOSITIONS STATUTAIRES RELATIVES A LA FONCTION PUBLIQUE TERRITORIALE (LOI DU 26 JANVIER 1984).


Références :

Décret du 29 octobre 1936 art. 7, art. 3
Décret 91-298 du 20 mars 1991 art. 8
Décret-loi du 29 octobre 1936 art. 1, art. 7
Loi 84-53 du 26 janvier 1984
Loi 87-1127 du 31 décembre 1987 art. 11
Loi 91-647 du 10 juillet 1991 art. 75


Publications
Proposition de citation: CE, 08 nov. 2000, n° 200837
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Delion
Rapporteur public ?: M. Austry

Origine de la décision
Date de la décision : 08/11/2000
Date de l'import : 02/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 200837
Numéro NOR : CETATEXT000008051710 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2000-11-08;200837 ?
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