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08/12/2000 | FRANCE | N°205243

France | France, Conseil d'État, 08 décembre 2000, 205243


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 2 mars et 1er juillet 1999 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la COMMUNE DE THIERY (Alpes-Maritimes), représentée par son maire, domicilié en cette qualité à la mairie; la COMMUNE DE THIERY demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 28 décembre 1998 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté sa demande tendant 1° à l'annulation du jugement du 23 décembre 1996 par lequel le tribunal administratif de Nice a annulé la délibération du 10 août 1

996 du conseil municipal de la commune requérante relative à l'enlèvement...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 2 mars et 1er juillet 1999 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la COMMUNE DE THIERY (Alpes-Maritimes), représentée par son maire, domicilié en cette qualité à la mairie; la COMMUNE DE THIERY demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 28 décembre 1998 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté sa demande tendant 1° à l'annulation du jugement du 23 décembre 1996 par lequel le tribunal administratif de Nice a annulé la délibération du 10 août 1996 du conseil municipal de la commune requérante relative à l'enlèvement ou à la destruction des loups du Mercantour, 2° au rejet de la demande présentée par le préfet des Alpes-Maritimes devant le tribunal administratif de Nice ;
2°) de rejeter la demande de première instance du préfet des Alpes-Maritimes ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 15 000 F au titre de l'article 75-I de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l'Europe ouverte à la signature à Berne, le 19 septembre 1979 ;
Vu la directive n° 92/43/CEE du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le code rural ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de Mme Legras, Auditeur,
- les observations de la SCP Parmentier, Didier, avocat de la COMMUNE DE THIERY,
- les conclusions de M. Lamy, Commissaire du gouvernement ;

Sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens du pourvoi :
Considérant que l'article L.2122-21 du code général des collectivités territoriales prévoit que : "Sous le contrôle du conseil municipal et sous le contrôle administratif du représentant de l'Etat dans le département, le maire est chargé, d'une manière générale, d'exécuter les décisions municipales et, en particulier : ( ...) 9° de prendre à défaut des propriétaires ou des détenteurs du droit de chasse, à ce dûment invités, toutes les mesures nécessaires à la destruction des animaux nuisibles désignés dans l'arrêté pris en vertu des articles L. 227-8 et L. 227-9 du code rural, ainsi que des loups et sangliers remis sur le territoire, de requérir, dans les conditions fixées à l'article L. 227-5 du code rural, les habitants avec armes et chiens propres à la chasse de ces animaux, à l'effet de détruire ces derniers, de surveiller et d'assurer l'exécution des mesures ci-dessus et d'en dresser procès-verbal" ;
Considérant qu'à la suite de dégâts causés par des loups sur le territoire communal, le conseil municipal de la COMMUNE DE THIERY, par une délibération du 10 août 1996, a demandé au préfet de "faire procéder sans délai et ce avant le 30 septembre à l'enlèvement des loups présents dans le massif des Quatre Cantons" et, faute pour celui-ci d'avoir mis en oeuvre les mesures nécessaires, a chargé son maire, en application de l'article L. 2122-21-9° du code général des collectivités territoriales, "de requérir, dans les conditions fixées à l'article 5 de la loi n° 71-552 du 9 juillet 1971, les habitants avec armes et chiens propres à la chasse de ces animaux, à l'effet de détruire ces derniers, de surveiller et d'assurer l'exécution des mesures ci-dessus et d'en dresser procès-verbal" ;
Considérant que pour confirmer, par l'arrêt attaqué, le jugement du 23 décembre 1996 par lequel le tribunal administratif de Nice a annulé cette délibération, la cour administrative d'appel de Marseille s'est fondée sur le fait que les dispositions de l'article L. 2122-21-9° du code général des collectivités territoriales seraient incompatibles, du fait de leur généralité, avec les stipulations des articles 6 et 9 de la convention relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel ouverte à la signature à Berne le 19 septembre 1979 ;

Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la convention de Berne : "Chaque partie contractante prend les mesures législatives et réglementaires nécessaires pour assurer la conservation particulière des espèces de faune sauvage énumérées dans l'annexe II. Seront notamment interdits, pour ces espèces : a) Toute forme de capture intentionnelle, de détention et de mise à mort intentionnelle ( ...) c) La perturbation de la faune sauvage, notamment durant la période de reproduction, de dépendance et d'hibernation, pour autant que la perturbation ait un effet significatif eu égard aux objectifs de la présente convention ( ...)" ; que le loup figure à l'annexe II à cette convention ; que l'article 9 de la même convention stipule que : "A condition qu'il n'existe pas une autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuise pas à la survie de la population concernée, chaque partie contractante peut" déroger à l'interdiction de capture, de détention et de mise à mort intentionnelles des espèces protégées "pour prévenir des dommages importants aux cultures, au bétail, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et aux autres formes de propriété ( ...), dans l'intérêt de la santé et de la sécurité publique ( ...)" ;
Considérant toutefois que ces stipulations ne créent d'obligations qu'entre les Etats parties à la convention et ne produisent pas d'effet direct dans l'ordre juridique interne ; que, par suite, en estimant que la délibération du conseil municipal de Thiery était dépourvue de base légale, au motif que l'article L. 2122-21-9° du code général des collectivités territoriales sur lequel elle était fondée était incompatible avec les articles 6 et 9 de la convention de Berne, la cour a entaché son arrêt d'une erreur de droit ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la COMMUNE DE THIERY est fondée à demander l'annulation de l'arrêt du 28 décembre 1998 de la cour administrative d'appel de Marseille ;
Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la loi susvisée du 31 décembre 1987, le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut régler l'affaire au fond, si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond ;
Considérant que pour annuler la délibération du conseil municipal de la COMMUNE DE THIERY, le tribunal administratif de Nice s'est lui aussi fondé sur l'incompatibilité de l'article L. 2122-21-9° du code général des collectivités territoriales avec les stipulations des articles 6 et 9 de la convention de Berne ; qu'il résulte de ce qui précède que la commune requérante est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a retenu cette incompatibilité ; Considérant toutefois qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par le préfet des Alpes-Maritimes devant le tribunal administratif de Nice ;
Sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens du déféré préfectoral :

Considérant qu'aux termes de l'article 12 de la directive 92/43 CEE du 21 mai 1992 relative à la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvage, dont le délai de transposition expirait le 21 mai 1994 : "1. Les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour instaurer un système de protection stricte des espèces animales figurant à l'annexe IV point a), dans leur aire de répartition naturelle, interdisant : a) toute forme de capture ou de mort intentionnelle de spécimens de ces espèces dans la nature ; b) la perturbation intentionnelle de ces espèces, notamment durant la période de reproduction et de dépendance ( ...)" ; que l'article 16 de la même directive prévoit que : "1. A condition qu'il n'existe pas une autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle, les Etats membres peuvent déroger auxdispositions des article 12, 13, 14 et de l'article 15 points a) et b) : ( ...) b) pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l'élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d'autres formes de propriété ; c) dans l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques, ou pour d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique ( ...)" ;
Considérant qu'il appartient aux autorités administratives nationales, sous le contrôle du juge, d'exercer les pouvoirs qui leur sont conférés par la loi en lui donnant, dans tous les cas où celle-ci se trouve dans le champ d'application d'une règle communautaire, une interprétation qui soit conforme au droit communautaire ;
Considérant qu'il en résulte que l'article L. 2122-21-9° du code général des collectivités territoriales n'est pas par lui-même incompatible avec les objectifs de la directive 92/43 CEE du Conseil du 21 mai 1992 dont il résulte que la capture ou la mise à mort de certains animaux sauvages, dont les loups, énumérés à son annexe IV, ne peuvent avoir lieu que dans des cas strictement limités ; qu'en effet, les pouvoirs conférés au conseil municipal et au maire par ces dispositions ne peuvent être mis en oeuvre que dans le cadre et les limites fixés par les règles qui en déterminent les conditions d'exercice, au nombre desquelles celles qui découlent des objectifs de la directive 92/43 du 21 mai 1992 ;
Mais considérant que, par sa délibération contestée du 10 août 1996, le conseil municipal de Thiery, faisant usage des pouvoirs qui lui sont conférés par l'article L. 2122-21-9° précité, a chargé le maire de prendre les mesures propres à assurer, sans aucune restriction, la destruction des loups présents sur le territoire de la commune ; qu'une telle mesure dont ni le but ni les limites n'étaient précisés a méconnu la portée des règles dans le cadre desquelles la mise en oeuvre de l'article L. 2122-21-9° précité s'inscrit ; qu'elle se trouve, dès lors, entachée d'illégalité ; qu'il en résulte que la COMMUNE DE THIERY n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice, faisant droit au déféré du préfet des Alpes-Maritimes, en a prononcé l'annulation ;
Sur les conclusions de la COMMUNE DE THIERY tendant à l'application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991:

Considérant que les dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à payer à la COMMUNE DE THIERY la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Article 1er : L'arrêt du 28 décembre 1998 de la cour administrative d'appel de Marseille est annulé.
Article 2 : Le surplus des conclusions du pourvoi de la COMMUNE DE THIERY ainsi que ses conclusions en appel sont rejetés.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la COMMUNE DE THIERY et au ministre de l'environnement et de l'aménagement du territoire.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Recours en cassation

Analyses

44-01-002 NATURE ET ENVIRONNEMENT - PROTECTION DE LA NATURE - PROTECTION DE LA FAUNE ET DE LA FLORE


Références :

CEE Directive 92-43 du 21 mai 1992 Conseil art. 12, art. 19
Code général des collectivités territoriales L2122-21
Convention du 19 septembre 1979 Berne art. 6, art. 9
Loi 87-1127 du 31 décembre 1987 art. 11
Loi 91-647 du 10 juillet 1991 art. 75


Publications
Proposition de citation: CE, 08 déc. 2000, n° 205243
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Legras
Rapporteur public ?: M. Lamy

Origine de la décision
Date de la décision : 08/12/2000
Date de l'import : 02/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 205243
Numéro NOR : CETATEXT000008042349 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2000-12-08;205243 ?
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