Vu la requête enregistrée le 27 novembre 1998 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par Mme Rabha X... demeurant 70, lotissement Omar II, Tabriquet, à Sale (Maroc) ; Mme X... demande que le Conseil d'Etat annule, pour excès de pouvoir, la décision du 23 novembre 1998 par laquelle le consul général de France à Rabat a refusé de lui délivrer un visa d'entrée sur le territoire français ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 73-1227 du 31 décembre 1973 autorisant la ratification de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble le décret n° 74-360 du 3 mai 1974 portant publication de cette convention ;
Vu la loi n° 91-737 du 30 juillet 1991 autorisant l'approbation de la convention d'application de l'accord de Schengen du 14 juin 1985 et le décret n° 95-304 du 21 mars 1995 portant publication de cette convention ;
Vu la loi n° 92-1207 du 24 septembre 1992 autorisant la ratification du traité sur l'Union européenne, ensemble le décret n° 94-80 du 18 janvier 1994 portant publication de ce traité ;
Vu le règlement n° 2137/95 du conseil de l'Union européenne du 25 septembre 1995 déterminant les pays tiers dont les ressortissants doivent être munis d'un visa lors du franchissement des frontières extérieures des Etats membres, notamment son article 1er et l'annexe audit article ;
Vu l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée, relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France, notamment son article 5 ;
Vu le décret n° 47-77 du 13 janvier 1947 relatif aux attributions des chefs de poste consulaire et des chefs de mission diplomatique en matière de passeports et de visa, modifié notamment par le décret n° 98-583 du 9 juillet 1998, notamment son article 4 ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de Mme Legras, Auditeur,
- les conclusions de M. Seban, Commissaire du gouvernement ;
Sur la fin de non-recevoir soulevée par le ministre des affaires étrangères :
Considérant que la requête de Mme X... tend à l'annulation de la décision par laquelle le consul général de France à Rabat a refusé de lui accorder un visa de court séjour ; que cette requête contient l'exposé sommaire des faits et des moyens sur lesquels elle s'appuie ; qu'elle satisfait par suite aux prescriptions de l'article 40 de l'ordonnance du 31 juillet 1945 sur le Conseil d'Etat et est, dès lors, recevable ;
Sur la légalité de la décision attaquée :
Considérant que, pour refuser à Mme X..., ressortissante marocaine, le visa de court séjour qu'elle sollicitait afin de rendre visite à ses fils, qui résident régulièrement en France, le consul général de France à Rabat s'est fondé principalement sur l'insuffisance des ressources de l'intéressée ; que l'administration soutient que l'article 5 de la convention d'application de l'accord de Schengen lui faisait obligation de refuser un visa à la requérante, dont les ressources n'atteignaient pas le montant de référence arrêté par l'annexe 7 à l'instruction consulaire commune en matière de franchissement des frontières ;
Considérant que le paragraphe 2 de l'article 5 de la convention d'application de l'accord de Schengen du 14 juin 1985 pose en principe que pour un séjour n'excédant pas trois mois, l'entrée sur le territoire des parties contractantes "doit être refusée à l'étranger qui ne remplit pas l'ensemble" des conditions énumérées au paragraphe 1 dudit article, au nombre desquelles figure l'obligation pour le demandeur de "disposer des moyens de subsistance suffisants, tant pour la durée du séjour envisagé que pour le retour dans le pays de provenance ou le transit vers un Etat tiers dans lequel son admission est garantie" ou à défaut d'être "en mesure d'acquérir légalement ces moyens" ;
Considérant toutefois, qu'il est spécifié au paragraphe 2 de l'article 5 précité qu'il est fait exception au principe ainsi énoncé "si une partie contractante estime nécessaire de déroger à ce principe pour des motifs humanitaires ou d'intérêt national ou en raison d'obligations internationales" ; qu'il est précisé qu'en ce cas, "l'admission sera limitée au territoire de la partie contractante concernée" ; qu'il résulte de ces dernières stipulations rapprochées des obligations découlant pour la République française de sa qualité de Partie à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et compte tenu notamment de l'article 8 de cette convention, que le consul général de France à Rabat n'avait pas compétence liée pour refuser à Y... EL ABD le visa pour visite familiale qu'elle sollicitait au motif que les ressources dont l'intéressée justifiait étaient insuffisantes ;
Considérant qu'une première demande de visa présentée par Y... EL ABD en1991, pour rendre visite à son mari qui résidait en France, a fait l'objet d'un refus ; qu'après le décès de celui-ci, en 1992, elle a renouvelé sa demande à deux reprises pour venir voir ses deux fils, sans succès ; qu'eu égard aux motifs d'ordre familial en vue desquels le visa a été sollicité, la décision présentement attaquée a porté au droit de la requérante au respect de sa vie privée et familiale une atteinte excessive par rapport aux buts en vue desquels cette décision a été prise ; que le consul général de France à Rabat a ainsi méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme X... est fondée à demander l'annulation de la décision du 23 novembre 1998 par laquelle le consul général de France à Rabat a refusé de lui délivrer un visa de court séjour ;
Article 1er : La décision du 23 novembre 1998 du consul général de France à Rabat est annulée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme Rabha X... et au ministre des affaires étrangères.