Vu la requête, enregistrée le 7 janvier 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par le PREFET DE POLICE ; le PREFET DE POLICE demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement du 27 septembre 1999 par lequel le conseiller délégué par le président du tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 19 octobre 1998 ordonnant la reconduite à la frontière de M. Mehmet X... ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. X... devant le tribunal administratif de Paris ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le décret n° 60-1066 du 4 octobre 1960 portant publication de la convention du 28 septembre 1954 relative au statut des apatrides ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France ;
Vu la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 modifiée ;
Vu le décret n° 53-377 du 2 mars 1953 modifié, notamment son article 4 ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Logak, Auditeur,
- les conclusions de M. Olson, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'aux termes de l'article 22 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée : "I. Le représentant de l'Etat dans le département et, à Paris, le préfet de police peuvent, par arrêté motivé, décider qu'un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants : ... 3° Si l'étranger, auquel la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé ... s'est maintenu sur le territoire au-delà du délai d'un mois à compter de la notification du refus ..." ; qu'aux termes de l'article 12 bis de l'ordonnance précitée : "Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit ... 10° A l'étranger qui a obtenu le statut d'apatride en application de la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile" ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. X... né en Turquie le 13 septembre 1971 est entré en France le 3 mars 1991 pour y demander l'asile politique ; qu'à la suite du rejet tant par l'office français de protection des réfugiés et apatrides que par la commission des recours de ses demandes tendant à l'obtention de la qualité de réfugié politique, il a, en produisant une attestation en date du 22 août 1997 du consulat de Turquie à Paris établissant qu'il avait été déchu de la nationalité turque, sollicité la reconnaissance de la qualité d'apatride le 16 septembre 1997 ; que cette demande ayant été implicitement rejetée à l'expiration du délai de quatre mois suivant son dépôt, l'intéressé a déféré la décision implicite ainsi intervenue au tribunal administratif de Paris ; que, dans la mesure où il s'est maintenu sur le territoire français plus d'un mois à compter de la notification, le 12 juin 1998, de l'arrêté du 8 juin 1998 par lequel le PREFET DE POLICE lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, un arrêté de reconduite à la frontière a été pris à son encontre le 19 octobre 1998 sur le fondement du 3°) du I de l'article 22 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 susvisée ;
Considérant qu'indépendamment de l'énumération donnée par l'article 25 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 des catégories d'étrangers qui ne peuvent faire l'objet d'une mesure d'éloignement, qu'il s'agisse d'un arrêté d'expulsion pris selon la procédure normale ou d'un arrêté de reconduite à la frontière, l'autorité administrative ne saurait légalement prendre une mesure de reconduite à l'encontre d'un étranger que si ce dernier se trouve en situation irrégulière au regard des règles relatives à l'entrée et au séjour ; que lorsque la loi prescrit que l'intéressé doit se voir attribuer de plein droit un titre de séjour, cette circonstance fait obstacle à ce qu'il puisse légalement être l'objet d'une mesure de reconduite à la frontière ;
Considérant que selon le paragraphe 1 de l'article 1er de la convention relative au statut des apatrides ouverte à la signature à New York le 28 septembre 1954 et introduite dans l'ordre juridique interne par l'effet de l'ordonnance n° 58-1321 du 23 décembre 1958 qui en autorise la ratification et de la publication opérée en vertu du décret n° 60-1066 du 4 octobre 1960, le terme "apatride" désigne "une personne qu'aucun Etat ne considère comme son ressortissant par application de sa législation" ; que M. X... a été privé de la nationalité turque en application d'une loi du 22 février 1964 pour s'être soustrait à ses obligations militaires, par une décision publiée au Journal officiel turc du 17 mai 1996 ; que si sa réintégration dans sa nationalité d'origine n'est pas exclue en cas de retour dans le pays où il est né, il ressort des pièces du dossier qu'en raison de ses origines kurdes, de son engagement politique et de la circonstance que plusieurs membres de sa famille ont dû quitter la Turquie du fait des risques de persécution pesant sur eux ce qui a motivé l'octroi à leur profit du statut de réfugié, l'intéressé ne pourrait lui-même être reconduit à destination de la Turquie sans être exposé à des traitements qui sont prohibés par les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, dans ces circonstances, M. X... était en droit de se prévaloir, à la date de l'arrêté ordonnant sa reconduite à la frontière, de la qualité d'apatride ; qu'il pouvait dès lors prétendre à l'obtention de plein droit d'une carte de séjour en application des dispositions précitées du 10°) de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée ; que l'arrêté de reconduite à la frontière pris à son encontre est par suite illégal ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le PREFET DE POLICE n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le conseiller délégué par le président du tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du 19 octobre 1998 ordonnant la reconduite à la frontière de M. X... ;
Sur les conclusions de M. X... tendant à l'application des dispositions de l'article 75-I de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 et de condamner l'Etat à payer à M. X..., la somme de 8 000 F qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
Article 1er : La requête du PREFET DE POLICE est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à M. X... la somme de 8 000 F en application de l'article 75-I de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au PREFET DE POLICE, à M. Mehmet X... et au ministre de l'intérieur.