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25/04/2001 | FRANCE | N°191544

France | France, Conseil d'État, 3 ss, 25 avril 2001, 191544


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés le 24 novembre 1997 et le 18 mars 1998 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme Evanne Y..., demeurant Cité Etoile 2, à Sainte-Marie (97230) Martinique ; Mme Y... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 25 juillet 1997 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a annulé, à la demande de la commune de Sainte-Marie, le jugement du 20 décembre 1995 par lequel le tribunal administratif de Fort-de-France avait, d'une part, annulé les arrêtés en date des 7 avril et 20

septembre 1994 par lesquels le maire de Sainte-Marie l'a licenciée...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés le 24 novembre 1997 et le 18 mars 1998 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme Evanne Y..., demeurant Cité Etoile 2, à Sainte-Marie (97230) Martinique ; Mme Y... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 25 juillet 1997 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a annulé, à la demande de la commune de Sainte-Marie, le jugement du 20 décembre 1995 par lequel le tribunal administratif de Fort-de-France avait, d'une part, annulé les arrêtés en date des 7 avril et 20 septembre 1994 par lesquels le maire de Sainte-Marie l'a licenciée et, d'autre part, condamné la commune à lui verser une indemnité et ordonné sa réintégration sous astreinte ;
2°) de condamner la commune de Sainte-Marie à lui verser la somme de 3 000 F en application de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution du 4 octobre 1958 ;
Vu le code du travail ;
Vu la loi n° 80-539 du 16 juillet 1980 modifiée par la loi n° 95-125 du 8 février 1995 ;
Vu la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Derepas, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de Mme Evanne Y..., et de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la commune de Sainte-Marie ;
- les conclusions de M. Séners, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme Y..., agent contractuel de la commune de Sainte-Marie ayant été licenciée pour abandon de poste par arrêté en date du 9 décembre 1993 du maire de cette commune, le tribunal administratif de Fort-de-France, par un jugement du 6 avril 1994, a prononcé le sursis à l'exécution de cet arrêté ; que, le maire ayant pris un arrêté licenciant à nouveau Mme Y... pour le même motif le lendemain de ce jugement, le tribunal administratif a ordonné le sursis à l'exécution de cet arrêté par jugement en date du 19 septembre 1994 ; que, le maire de Sainte-Marie ayant pris à nouveau le 20 septembre 1994 un arrêté licenciant Mme Y... pour abandon de poste, le tribunal administratif, par un jugement en date du 20 décembre 1995, a annulé les arrêtés du 7 avril et du 20 septembre 1994, jugé qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur la légalité de l'arrêté du 9 décembre 1993, ordonné la réintégration, assortie d'une astreinte, de Mme Y... et condamné la commune de Sainte-Marie à lui verser une indemnité de 39 577,92 F ; que, par l'arrêt attaqué, la cour administrative d'appel de Paris a annulé ce jugement et rejeté les demandes présentées par Mme Y... au tribunal administratif ;
Sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens du pourvoi ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code du travail : "Les dispositions de la présente section s'appliquent aux personnels de l'Etat, des régions, des départements et des communes comptant plus de 10 000 habitants ( ...)" ; qu'aux termes de l'article L. 521-3 du même code : "Lorsque les personnels mentionnés à l'article L. 521-2 font usage du droit de grève, la cessation concertée du travail doit être précédée d'un préavis ( ...). Le préavis doit parvenir cinq jours francs avant le déclenchement de la grève à l'autorité hiérarchique ou à la direction de l'établissement, de l'entreprise ou de l'organisme intéressé. Il fixe le lieu, la date et l'heure du début ainsi que la durée, limitée ou non, de la grève envisagée ( ...)" ; qu'aux termes de l'article L. 521-5 du même code : "L'inobservation des dispositions de la présente section entraîne l'application, sans autre formalité que la communication du dossier, des sanctions prévues par les statuts ou par les règles concernant les personnels intéressés. Toutefois, la révocation et la rétrogradation ne peuvent être prononcées qu'en conformité avec la procédure disciplinaire normalement applicable ( ...)" ;

Considérant que les règles édictées par ces dispositions, en vue d'organiser l'exercice du droit de grève garanti par le préambule de la Constitution de 1946 auquel se réfère le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958, font obstacle à ce qu'un agent public participant à un mouvement de grève soit révoqué sans avoir pu bénéficier des garanties de la procédure disciplinaire qui lui est applicable ; que la circonstance qu'une grève a été déclenchée en méconnaissance des prescriptions de l'article L. 521-3 du code du travail n'entraîne pas, pour les agents grévistes, la perte de ces garanties, alors même que leur employeur leur a adressé une mise en demeure de reprendre le travail ; que, par suite, en se fondant, pour juger légaux les arrêtés par lesquels la requérante a été radiée des cadres pour abandon de poste, sans avoir pu bénéficier des garanties de la procédure disciplinaire ni même obtenir communication de son dossier, d'une part, sur la circonstance que la grève déclenchée le 2 décembre 1993 dans les services de la commune de Sainte-Marie n'avait pas été précédée d'un préavis conforme aux dispositions précitées de l'article L. 521-3 du code du travail et, d'autre part, sur la circonstance que le maire de cette commune avait enjoint à Mme Y... de reprendre son service, la cour administrative d'appel de Paris a entaché son arrêt d'une erreur de droit ; que Mme Y... est, dès lors, fondée à en demander l'annulation ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut "régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie" ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond ; Sur la régularité du jugement du tribunal administratif de Fort-de-France :
Considérant que, seule la minute d'un jugement établissant sa régularité, la circonstance que l'expédition du jugement attaqué du tribunal administratif de Fort-de-France ne comporte que l'analyse des conclusions de la demande et ne fait pas apparaître le visa des mémoires produits par les autres parties au cours de l'instance n'est pas en elle-même de nature à entacher d'irrégularité ledit jugement ; qu'en annulant les arrêtés en date des 7 avril et 20 septembre 1994, les premiers juges ont implicitement mais nécessairement statué sur les conclusions à fin de sursis à statuer présentées par la commune de Sainte-Marie en les écartant ;
Considérant toutefois que l'arrêté du 9 décembre 1993 par lequel le maire de la commune de Sainte-Marie a licencié Mme Y... n'a pas été rapporté par les arrêtés des 7 avril et 20 septembre 1994 prononçant à nouveau le licenciement de l'intéressée ; qu'ainsi ces derniers arrêtés n'ont pas rendu sans objet la demande de Mme Y... tendant à l'annulation de l'arrêté du 9 décembre 1993 ; que la commune de Sainte-Marie est, dès lors, fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a prononcé un non lieu à statuer sur les conclusions présentées contre ledit arrêté ;

Considérant enfin, qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que les conclusions à fin d'astreinte présentées par Mme Y... aient été communiquées à la commune de Sainte-Marie ; que les premiers juges ont ainsi méconnu sur ce point le caractère contradictoire de la procédure ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le jugement du tribunal administratif de Fort-de-France doit être annulé en tant qu'il a, d'une part, jugé qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 9 décembre 1993 et, d'autre part, assorti d'une astreinte son injonction de réintégrer Mme Y... dans ses fonctions ; que, dans les circonstances de l'affaire, il y a lieu pour le Conseil d'Etat de se prononcer immédiatement sur ces conclusions par voie d'évocation et de statuer sur les autres conclusions par l'effet dévolutif de l'appel ;
Sur la légalité des arrêtés des 9 décembre 1993, 7 avril et 20 septembre 1994 portant licenciement de Mme Y... :
Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus qu'en ayant recours à la procédure de radiation des cadres pour abandon de poste au lieu d'engager, en application de l'article L. 521-5 du code du travail, une procédure disciplinaire, le maire de la commune de Sainte-Marie a entaché d'illégalité ses arrêtés des 9 décembre 1993, 7 avril et 20 septembre 1994 ; qu'il suit de là, d'une part, que l'arrêté du 9 décembre 1993 doit être annulé et, d'autre part, que la commune de Sainte Marie n'est pas fondée à se plaindre que le tribunal administratif a annulé ceux des 7 avril et 20 septembre 1994 ;
Sur les conclusions à fin d'astreinte :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-3 du code de justice administrative : "Saisie de conclusions en ce sens, la juridiction peut assortir, dans la même décision l'injonction prescrite en application des articles L. 911-1 et L. 911-2 d'une astreinte qu'elle prononce dans les conditions prévues au présent titre et dont elle fixe la date d'effet" ; que le jugement du 20 décembre 1995 du tribunal administratif de Fort-de-France, non contesté sur ce point et devenu dès lors définitif, a ordonné la réintégration de Mme Y... ; que Mme Y... ayant demandé au Conseil d'Etat d'assortir cette injonction d'une astreinte, en application des dispositions précitées, il y a lieu, compte tenu de toutes les circonstances de l'affaire, de prononcer contre la commune de Sainte-Marie, à défaut pour elle de justifier de l'exécution du jugement précité du tribunal administratif de Fort-de-France dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision, une astreinte de 500 F par jour jusqu'à la date à laquelle ce jugement aura reçu exécution ;
Sur la demande d'indemnisation :

Considérant, d'une part, que Mme Y... a pu valablement présenter, dans la même demande, des conclusions tendant à l'annulation des décisions par lesquelles elle a été licenciée et des conclusions à fin d'indemnités ; que, dans ses mémoires en défense présentés devant le tribunal administratif de Fort-de-France et la cour administrative d'appel de Paris, la commune de Sainte-Marie a défendu au fond sur la demande d'indemnité formée à son encontre par Mme Y... et a ainsi lié le contentieux ; que, par suite, elle n'est pas fondée à soutenir que cette demande est irrecevable faute de décision administrative préalable ;
Considérant, d'autre part, qu'en l'absence de service fait, Mme Y... ne pouvait prétendre au paiement des rémunérations dont elle a été privée depuis son éviction ; que, toutefois, il y a lieu de condamner la commune de Sainte-Marie à réparer le préjudice financier qu'elle a subi du fait de la sanction irrégulière qui a été prise à son encontre ; que, dans les circonstances de l'affaire et sans qu'il soit nécessaire de procéder à un supplément d'instruction, il sera fait une juste appréciation de la réparation due en condamnant la commune de Sainte-Marie à payer une indemnité de 60 000 F assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de la demande ;
Sur les intérêts des intérêts :
Considérant que les conclusions tendant à la capitalisation des intérêts ont été présentées le 12 mars 2001 ; qu'à cette date il était dû au moins une année d'intérêts ; que dès lors, il y a lieu de faire droit à ces conclusions en application de l'article 1154 du code civil ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant, d'une part, que ces dispositions font obstacle à ce que les ayants-droitde Mme Y..., qui ne sont pas la partie perdante dans la présente instance, soient condamnés à verser à la commune de Sainte-Marie la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Considérant, d'autre part, qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner la commune de Sainte-Marie à payer aux ayants-droit de Mme Y... une somme de 1 500 F au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris en date du 25 juillet 1997 est annulé.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Fort-de-France en date du 20 décembre 1995 est annulé en tant qu'il a, d'une part, prononcé un non lieu à statuer sur les conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 9 décembre 1993 par lequel le maire de la commune de Sainte-Marie a licencié Mme Y... et, d'autre part, prononcé une astreinte à l'encontre de la commune de Sainte-Marie.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête d'appel de la commune de Sainte-Marie est rejeté.
Article 4 : L'arrêté du 9 décembre 1993 par lequel le maire de la commune de Sainte-Marie a licencié Mme Y... est annulé.
Article 5 : La commune de Sainte-Marie est condamnée à payer aux ayants-droit de Mme Y... une indemnité de 60 000 F assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de la demande.
Article 6 : Les intérêts dus au 12 mars 2001 seront capitalisés à cette date pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 7 : Une astreinte est prononcée à l'encontre de la commune de Sainte-Marie si elle ne justifie pas avoir, dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision, prononcé, en exécution du jugement du tribunal administratif de Fort-de-France en date du 20 décembre 1995, la réintégration juridique de Mme Y... jusqu'à la date de son décès, et jusqu'à la date de cette exécution. Le taux de cette astreinte est fixé à 500 F par jour à compter de l'expiration du délai d'un mois suivant la notification de la présente décision.
Article 8 : La commune de Sainte-Marie est condamnée à payer aux ayant drois de Mme Y... la somme de 1 500 F en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 9 : Les conclusions de la commune de Sainte-Marie tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 10 : La présente décision sera notifiée à M. Hippolyte X..., à la commune de Sainte-Marieet au ministre de l'intérieur.


Synthèse
Formation : 3 ss
Numéro d'arrêt : 191544
Date de la décision : 25/04/2001
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Recours en cassation

Analyses

36-07-01-03 FONCTIONNAIRES ET AGENTS PUBLICS - STATUTS, DROITS, OBLIGATIONS ET GARANTIES - STATUT GENERAL DES FONCTIONNAIRES DE L'ETAT ET DES COLLECTIVITES LOCALES - DISPOSITIONS STATUTAIRES RELATIVES A LA FONCTION PUBLIQUE TERRITORIALE (LOI DU 26 JANVIER 1984).


Références :

Arrêté du 09 décembre 1993
Arrêté du 07 avril 1994
Arrêté du 20 septembre 1994
Code civil 1154
Code de justice administrative L821-2, L911-3, L761-1
Code du travail L521-2, L521-3, L521-5


Publications
Proposition de citation : CE, 25 avr. 2001, n° 191544
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Derepas
Rapporteur public ?: M. Séners

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2001:191544.20010425
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