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08/06/2001 | FRANCE | N°181603

France | France, Conseil d'État, 3 / 8 ssr, 08 juin 2001, 181603


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 30 juillet 1996 et 2 décembre 1996 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Jean-Claude X... demeurant Turricioli 4, Villa n° 10, à Porto-Vecchio (20137) ; M. X... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 4 mai 1995 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté sa requête dirigée contre le jugement du 23 juillet 1993 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la commune de Creutzwald à lui verser la som

me de 106 384,41 F ;
2°) de condamner la commune de Creutzwald à lu...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 30 juillet 1996 et 2 décembre 1996 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Jean-Claude X... demeurant Turricioli 4, Villa n° 10, à Porto-Vecchio (20137) ; M. X... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 4 mai 1995 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté sa requête dirigée contre le jugement du 23 juillet 1993 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la commune de Creutzwald à lui verser la somme de 106 384,41 F ;
2°) de condamner la commune de Creutzwald à lui verser une somme de 10 000 F au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code du travail ;
Vu la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 modifiée ;
Vu le décret n° 86-68 du 13 janvier 1986 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jeanneney, Conseiller d'Etat,
- les observations de la SCP Boré, Xavier et Boré, avocat de M. Jean-Claude X... et de Me Ricard, avocat de la commune de Creutzwald,
- les conclusions de M. Seners, Commissaire du gouvernement ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de la requête :
Considérant qu'aux termes de l'article R. 153-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, dans sa rédaction alors applicable : "Sauf dans les cas mentionnés au premier alinéa de l'article L. 9 et à l'article R. 149, lorsque la décision lui paraît susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office, le président de la formation de jugement en informe les parties avant la séance de jugement et fixe le délai dans lequel elles peuvent présenter leurs observations ;
Considérant qu'en application de ces dispositions, sauf lorsqu'il est statué par ordonnance dans l'un des cas mentionnés au premier alinéa de l'article L. 9 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ou lorsque la juridiction statue en formation collégiale sur une requête qui a été dispensée d'instruction dans le cas prévu à l'article R. 149 du même code, le tribunal administratif ou la cour administrative d'appel ne peut régulièrement se fonder sur un moyen relevé d'office que si le président de la formation de jugement en a informé les parties avant la séance de jugement et fixé un délai dans lequel celles-ci peuvent présenter leurs observations ;
Considérant que la cour administrative d'appel de Nancy, statuant en formation collégiale après instruction de l'affaire, a relevé d'office, pour la rejeter comme irrecevable, que la requête de M. X... avait été enregistrée après l'expiration du délai d'appel ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que le président de la formation de jugement ait informé les parties avant la séance de jugement de l'intention de la cour de relever d'office cette fin de non recevoir et les ait invitées à présenter leurs observations ; que, dès lors, le requérant est fondé à soutenir que la cour a méconnu les dispositions précitées de l'article R. 153-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel et à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut "régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie" ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond ; Sur la recevabilité de l'appel :
Considérant que la date à laquelle M. Jean-Claude X... a reçu notification du jugement du 23 juillet 1993 attaqué ne ressort pas des pièces du dossier ; que, par suite, sa requête, enregistrée au greffe de la cour administrative d'appel de Nancy le 4 octobre 1993 ne peut être regardée comme introduite après l'expiration du délai d'appel ; que, dès lors, la fin de non recevoir opposée par la commune à cette requête doit être écartée ;

Considérant qu'en vertu des dispositions des articles L. 351-1 et L. 351-3 du code du travail, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 84-198 du 21 mars 1984 ratifiée par la loi du 9 juillet 1984, des allocations d'assurance sont attribuées aux travailleurs involontairement privés d'emploi, aptes au travail et recherchant un emploi, qui satisfont à des conditions d'âge et d'activité antérieure ; que, selon l'article L. 351-8 du même code, les mesures d'application de ce régime d'assurances font l'objet d'un accord conclu et agréé dans les conditions définies aux articles L. 352-1 et L. 352-2 ; qu'aux termes de l'article L. 351-12 du même code, dans sa rédaction applicable en l'espèce : "Ont droit aux allocations d'assurance dans les conditions prévues à l'article L. 351-3 : 1° ( ...) les agents titulaires des collectivités territoriales ( ...) / La charge et la gestion de cette indemnisation sont assurées par les employeurs mentionnés au présent article ( ...)" ; qu'il résulte de l'ensemble de ces dispositions que le régime des allocations auxquelles ont droit les agents titulaires des collectivités territoriales involontairement privés d'emploi est défini par les stipulations de l'accord prévu à l'article L. 351-8 susmentionné, dès lors qu'un tel accord est intervenu et a été agréé ;
Considérant que, par arrêté du 28 mars 1984, le ministre chargé de l'emploi a agréé la convention du 24 février 1984 relative à l'assurance chômage et le règlement annexé à cette convention, l'une et l'autre en vigueur à la date à laquelle ont pris fin les fonctions de M. X... ; qu'en vertu des dispositions des articles 1er, 2 et 3, f) du règlement précité, les salariés qui ont démissionné pour un "motif reconnu légitime par la commission paritaire de l'ASSEDIC" sont assimilés aux travailleurs involontairement privés d'emploi et bénéficient des prestations de l'assurance chômage ; que, par sa délibération du n° 10 en date du 17 décembre 1984 la commission paritaire nationale a décidé qu'est réputé satisfaire à cette condition "le travailleur qui quitte son emploi pour suivre son conjoint qui change de résidence pour exercer un nouvel emploi" ; que, toutefois, s'agissant de la démission d'un agent titulaire d'une collectivité territoriale, il appartient à la seule autorité administrative compétente d'apprécier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les motifs de cette démission permettent, en l'espèce, d'assimiler celle-ci à une perte involontaire d'emploi ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. X..., moniteur d'éducation physique titulaire, qui était employé par la commune de Creutzwald, en Moselle, depuis le 4 octobre 1984 et résidait dans cette commune avec son épouse, a démissionné de la fonction publique territoriale le 1er février 1989 au motif qu'il devait changer de résidence et s'installer à Porto-Vecchio, en Corse, pour suivre son épouse qui allait exercer un nouvel emploi dans cette commune ; qu'eu égard à l'éloignement du nouveau lieu de travail de son épouse, M. X... a pu légitimement estimer qu'il ne pouvait conserver son emploi dans la commune de Creutzwald ; qu'il suit de là que, contrairement à ce que soutient cette commune, et alors même que M. X... aurait pu, en vertu des dispositions de l'article 72 de la loi du 26 janvier 1984 et de l'article 24 du décret du 13 janvier 1986 susvisés, quitter son emploi et être placé de droit, à sa demande, en position de disponibilité pour suivre son épouse, M. X... a démissionné de ses fonctions pour un motif légitime au sens des dispositions susrappelées du régime de l'assurance-chômage ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. X... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la commune de Creutzwald à lui verser une allocation pour perte d'emploi ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. X... a été à la recherche d'un emploi entre le 18 août 1989 et le 15 octobre 1992, période au cours de laquelle il a été inscrit à l'Agence nationale pour l'emploi ; que, par suite, il est fondé à demander la condamnation de la commune de Creutzwald à lui verser la somme de 106 384,41 F en application des dispositions susmentionnées des articles L. 351-3 et L. 351-12 du code du travail ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : "Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens" ; que l'article 43 de la loi susvisée du 10 juillet 1991 autorise le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle à demander au juge de condamner, dans les conditions prévues à l'article L. 761-1 précité, la partie perdante "au paiement d'une somme au titre des frais qu'il a exposés" ; que l'article 37 de la même loi dispose que "( ...) l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle peut demander au juge de condamner ( ...) La partie tenue aux dépens ou qui perd son procès et non bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, à une somme au titre des frais que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide. Il peut, en cas de condamnation, renoncer à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat et poursuivre le recouvrement à son profit de la somme allouée par le juge" ;

Considérant qu'il résulte de ces dispositions que le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle ne peut demander au juge de condamner à son profit la partie perdante qu'au paiement des seuls frais qu'il a personnellement exposés, à l'exclusion de la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle confiée à son avocat, mais que l'avocat de ce bénéficiaire peut demander au juge de condamner la partie perdante à lui verser la somme correspondant à celle qu'il aurait réclamée à son client, si ce dernier n'avait eu l'aide juridictionnelle, à charge pour l'avocat qui poursuit, en cas de condamnation, le recouvrement à son profit de la somme qui lui a été allouée par le juge, de renoncer à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée ;
Considérant, d'une part, que M. X... n'allègue pas avoir exposé de frais autres que ceux pris en charge par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle totale qui lui a été allouée par une décision du 30 mai 1996 ; que, d'autre part, l'avocat de M. X... n'a pas demandé la condamnation de la commune de Creutzwald à lui verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative la somme correspondant aux frais exposés qu'il aurait réclamée à son client si ce dernier n'avait bénéficié d'une aide juridictionnelle totale ; que, dans ces conditions, les conclusions de la requête de M. X... tendant à la condamnation de la commune de Creutzwald sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent être accueillies ;
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que M. X..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, soit condamné à verser à la commune de Creutzwald la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy en date du 4 mai 1995 et le jugement du tribunal administratif de Strasbourg en date du 23 juillet 1993 sont annulés.
Article 2 : La commune de Creutzwald est condamnée à verser à M. Jean-Claude X... la somme de 106 384,41 F.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Les conclusions de la commune de Creutzwald tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. Jean-Claude X..., à la commune de Creutzwald et au ministre de l'intérieur.


Synthèse
Formation : 3 / 8 ssr
Numéro d'arrêt : 181603
Date de la décision : 08/06/2001
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Recours en cassation

Analyses

66-10-02 TRAVAIL ET EMPLOI - POLITIQUES DE L'EMPLOI - INDEMNISATION DES TRAVAILLEURS PRIVES D'EMPLOI


Références :

Arrêté du 28 mars 1984
Code de justice administrative L821-2, L761-1
Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel R153-1, L9, R149
Code du travail L351-1, L352-2, L351-3, L351-8, L351-12
Décret 86-68 du 13 janvier 1986 art. 24
Loi du 09 juillet 1984
Loi 84-53 du 26 janvier 1984 art. 72
Loi 91-647 du 10 juillet 1991 art. 43, art. 37
Ordonnance 84-198 du 21 mars 1984


Publications
Proposition de citation : CE, 08 jui. 2001, n° 181603
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Jeanneney
Rapporteur public ?: M. Seners

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2001:181603.20010608
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