Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 8 décembre et 6 février 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Y... AKIN, demeurant 12, montée de la Grenette à Saint-Symphorien-sur-Coise (69590) ; M. X... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement du 23 mai 2000 par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 18 mai 2000 du préfet du Rhône décidant sa reconduite à la frontière ;
2°) de condamner l'Etat à verser à son avocat la somme de 12 000 F en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Fabre-Aubrespy, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP de Chaisemartin, Courjon, avocat de M. X...,
- les conclusions de M. Chauvaux, Commissaire du gouvernement ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête :
Considérant qu'aux termes du I de l'article 22 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée : "Le représentant de l'Etat dans le département et, à Paris, le préfet de police peuvent, par arrêté motivé, décider qu'un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants : ( ...) 1° Si l'étranger ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité" ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. X..., de nationalité turque, est entré irrégulièrement sur le territoire français au mois d'août 1998 pour rejoindre une compatriote qu'il avait épousée en Turquie le 1er août 1996 ; que celle-ci réside habituellement en France depuis l'âge de cinq ans et est titulaire d'une carte de résident valable jusqu'au 21 novembre 2006 ; que M. et Mme X... sont les parents de deux enfants nés en France en 1997 et 1999 ; qu'en décidant, dans de telles circonstances, la reconduite à la frontière de M. X... par un arrêté du 18 mai 2000, le préfet du Rhône a porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a pris cette décision ; que, par suite, il a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, dès lors, M. X... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le conseiller délégué par le président du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande dirigée contre l'arrêté du 18 mai 2000 ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant qu'aux termes du second alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 : "L'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle peut demander au juge de condamner, dans les conditions prévues à l'article 75, la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès et non bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, à une somme au titre des frais que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide. Il peut, en cas de condamnation, renoncer à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat et poursuivre le recouvrement à son profit de la somme allouée par le juge" et qu'aux termes du 3ème alinéa de l'article 76 de la même loi : "Les bureaux d'aide juridictionnelle se prononcent dans les conditions prévues par les textes en vigueur à la date à laquelle les demandes ont été présentées et les admissions produiront les effets attachés à ces textes ( ...)" ; que M. X... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions précitées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que la SCP de Chaisemartin, avocat de M. X..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de condamner l'Etat à payer à la SCP de Chaisemartin la somme de 12 000 F ;
Article 1er : Le jugement du 23 mai 2000 du conseiller délégué par le président du tribunal administratif de Lyon et l'arrêté du 18 mai 2000 du préfet du Rhône ordonnant la reconduite à la frontière de M. X... sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera à la SCP de Chaisemartin une somme de 12 000 F en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que ladite société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. Y... AKIN, au préfet du Rhône et au ministre de l'intérieur.