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02/10/2002 | FRANCE | N°231228

France | France, Conseil d'État, 2 / 1 ssr, 02 octobre 2002, 231228


Vu la requête, enregistrée le 12 mars 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la SARL EVEN MEDIA, dont le siège est situé Péniche Julia, ... et la SARL COPPER COMMUNICATION, dont le siège est situé ... ; la SARL EVEN MEDIA et la SARL COPPER COMMUNICATION demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler la décision du 6 mars 2001 par laquelle le Premier ministre a rejeté leur demande tendant à l'abrogation des articles D. 406-1 à D. 406-3 du code des postes et télécommunications ;
2°) d'enjoindre au Premier ministre de procéder à l'abrogation

desdites dispositions, sous astreinte de 1 000 F par jour de retard ;
3°...

Vu la requête, enregistrée le 12 mars 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la SARL EVEN MEDIA, dont le siège est situé Péniche Julia, ... et la SARL COPPER COMMUNICATION, dont le siège est situé ... ; la SARL EVEN MEDIA et la SARL COPPER COMMUNICATION demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler la décision du 6 mars 2001 par laquelle le Premier ministre a rejeté leur demande tendant à l'abrogation des articles D. 406-1 à D. 406-3 du code des postes et télécommunications ;
2°) d'enjoindre au Premier ministre de procéder à l'abrogation desdites dispositions, sous astreinte de 1 000 F par jour de retard ;
3°) de condamner l'Etat à leur verser respectivement une somme de 15 000 F (2 286,74 euros) en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution du 4 octobre 1958 ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code des postes et télécommunications ;
Vu la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 modifiée ;
Vu la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 modifiée ;
Vu le décret n° 93-274 du 25 février 1993 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mlle Bourgeois, Auditeur ;
- les observations de Me Balat, avocat de la SARL EVEN MEDIA et de la SARL COPPER COMMUNICATION et de Me X..., intervenant pour France Télécom,
- les conclusions de Mme de Silva, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que la SARL EVEN MEDIA et la SARL COPPER COMMUNICATION demandent l'annulation de la décision du 6 mars 2001 par laquelle le Premier ministre a rejeté leur demande tendant à l'abrogation des dispositions des articles D. 406-1 à D. 406-3 du code des postes et télécommunications en vigueur à cette date ; que ces dispositions, issues du décret du 25 février 1993 susvisé, créent un conseil supérieur de la télématique, chargé notamment de formuler des recommandations de nature déontologique et de donner un avis sur les projets de contrats-types souscrits entre France Télécom, le fournisseur de services télématiques et éventuellement le fournisseur de moyens télématiques, ainsi que sur les projets de modification de ces contrats ; qu'il peut être saisi de toute réclamation concernant le respect de ces recommandations de nature déontologique et qu'il peut saisir le comité de la télématique anonyme de tout manquement au respect des recommandations de nature déontologique dont il a connaissance, et, le cas échéant, saisir le procureur de la République lorsque les faits sont de nature à motiver des poursuites pénales ; que ces dispositions créent, en outre, un comité de la télématique anonyme, chargé de veiller au respect des recommandations de nature déontologique formulées par le conseil supérieur de la télématique, qui peut être saisi par France Télécom ou les fournisseurs de services télématiques ou de moyens télématiques en cas de différend à ce sujet, ou par un fournisseur de services télématiques auquel a été refusé un accès télématique, et qui est consulté par France Télécom avant toute décision de résiliation ou de suspension d'un contrat passé avec un fournisseur de services ou de moyens télématiques ;
En ce qui concerne les conclusions tendant à l'annulation du refus attaqué :
Sur le moyen tiré de la méconnaissance des articles 21 et 37 de la Constitution :
Considérant que France Télécom a la faculté mais non l'obligation d'inclure les recommandations de nature déontologique formulées par le conseil supérieur de la télématique dans les contrats qu'il souscrit avec les fournisseurs de services ou de moyens télématiques ; que, par suite, ces recommandations et avis ne constituent pas des décisions ; qu'ainsi, en chargeant le conseil supérieur de la télématique de formuler des recommandations de nature déontologique en vue, notamment, de la protection de la jeunesse, les dispositions contestées n'ont pas méconnu les articles 21 et 37 de la Constitution relatifs à l'exercice du pouvoir réglementaire ; que le moyen tiré de ce que le pouvoir de recommandation du conseil supérieur de la télématique ne serait pas encadré de manière suffisamment précise doit, dès lors, être écarté ;
Sur le moyen tiré de l'atteinte portée à la liberté contractuelle :

Considérant qu'il résulte des dispositions des articles L. 33-1 et L. 34-1 du code des postes et télécommunications que l'établissement et l'exploitation des réseaux ouverts au public, et la fourniture du service téléphonique au public, sont autorisés par le ministre chargé des télécommunications et soumis à l'application des règles contenues dans un cahier des charges ; qu'en vertu des dispositions du II de l'article L. 34-8 du même code, les exploitants de réseaux ouverts au public figurant sur la liste prévue au 7° de l'article L. 36-7 du même code doivent, dans des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires, assurer un accès à leur réseau aux utilisateurs et fournisseurs de services de télécommunications autres que le service téléphonique au public, ainsi qu'aux services de communication audiovisuelle déclarés en application de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 précitée, parmi lesquels figurent les services télématiques ; que, dès lors, le Gouvernement a pu légalement, pour l'application de ces dispositions, même en l'absence d'habilitation expresse, maintenir après l'entrée en vigueur de la loi du 26 juillet 1996 portant transformation de France Télécom en personne morale de droit privé, l'obligation faite à France Télécom, préalablement à toute décision concernant la définition et l'exécution des clauses de nature déontologique des contrats-types conclus avec les fournisseurs de services télématiques ou de moyens télématiques, de respecter une procédure consultative auprès d'organismes administratifs collégiaux chargés de donner un avis sur les conditions d'accès des services télématiques au réseau de télécommunications de France Télécom, au regard de l'objet et du contenu de ces services télématiques et d'exigences relatives, notamment, à la protection de l'ordre public et de la jeunesse ; qu'ainsi, le moyen tiré de l'atteinte portée à la liberté contractuelle de France Télécom doit être écarté ;
Sur les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
Considérant que les avis formulés par le comité de la télématique anonyme, qui ne dispose que d'une compétence consultative, ne préjugent pas l'appréciation portée par le juge civil sur la licéité des décisions prises par France Télécom quant à la résiliation ou la suspension d'un contrat en cas de manquement par le cocontractant à une obligation de nature déontologique insérée dans ce contrat ; que, par suite, les sociétés requérantes ne sont pas fondées à soutenir que les dispositions contestées, en prévoyant la consultation par France Télécom du comité de la télématique anonyme préalablement à toute décision de résiliation ou de suspension d'un contrat, restreindraient le droit des parties à ces contrats à un recours juridictionnel effectif et méconnaîtraient ainsi les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Sur les moyens tirés des atteintes portées à la liberté d'expression et au respect du secret des correspondances :

Considérant qu'en chargeant le conseil supérieur de la télématique et le comité de la télématique anonyme de formuler des recommandations et des avis qui n'ont pas le caractère de décisions, les dispositions contestées ne portent, par elles-mêmes, aucune atteinte à la liberté d'expression garantie par les stipulations de l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que les dispositions contestées n'ont pas pour objet, et ne sauraient légalement avoir pour effet, d'autoriser France Télécom à porter atteinte au respect de la confidentialité des messages transmis lorsque ceux-ci ont le caractère de correspondances privées au sens de l'article 2 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication ;
Sur le moyen tiré de la violation de l'article L. 36-8 du code des postes et télécommunications :
Considérant que les dispositions contestées du décret du 25 février 1993 n'ont ni pour objet ni pour effet de porter atteinte aux attributions que l'autorité de régulation des télécommunications tient de la loi, et notamment de l'article L. 36-8 du code des postes et télécommunications ; qu'ainsi, le moyen tiré de la violation de ces dispositions doit être écarté ;
Sur le moyen tiré de la violation des règles de la concurrence et de l'exigence d'impartialité :
Considérant que la participation de France Télécom au conseil supérieur de la télématique n'a pas pu lui donner le pouvoir d'abuser de l'état de dépendance économique, à supposer celui-ci établi, dans lequel se trouveraient les fournisseurs de services ou de moyens télématiques à son égard ; que, dès lors que le conseil supérieur de la télématique n'a pas compétence pour se prononcer sur les droits ou obligations de caractère personnel dans le cas de litiges opposant France Télécom à des fournisseurs de services ou de moyens télématiques, mais est seulement chargé de formuler des recommandations ou des avis sur la définition ou la modification de clauses insérées dans les contrats-type de services télématiques et de saisir le comité de la télématique anonyme ou, le cas échéant, le procureur de la République des faits de nature à motiver leur saisine, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que la participation d'un représentant de France Télécom à cette instance serait de nature à priver ses avis de l'impartialité qui s'impose à ce conseil ;
Sur le moyen tiré de l'atteinte portée au respect des droits de la défense :
Considérant qu'en permettant au comité de la télématique anonyme de faire appel à des experts de France Télécom, les dispositions contestées ne font pas obstacle à ce que les parties, si elles le demandent, reçoivent communication des conclusions de l'expert ainsi sollicité et formulent des observations écrites ; qu'ainsi, elles ne peuvent être regardées comme permettant une méconnaissance des droits de la défense par le comité de la télématique anonyme ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SARL EVEN MEDIA et la SARL COPPER COMMUNICATION ne sont pas fondées à demander l'annulation de la décision du 6 mars 2001 par laquelle le Premier ministre a rejeté leur demande tendant à l'abrogation des articles D. 406-1 à D. 406-3 du code des postes et télécommunications ;
En ce qui concerne les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
Considérant que la présente décision, qui rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par la SARL EVEN MEDIA et la SARL COPPER COMMUNICATION n'appelle aucune mesure d'exécution ; qu'ainsi, les conclusions susanalysées doivent être rejetées ;
En ce qui concerne les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, soit condamné à verser à la SARL EVEN MEDIA et à la SARL COPPER COMMUNICATION la somme qu'elles demandent au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens ;
Article 1er : La requête de la SARL EVEN MEDIA et de la SARL COPPER COMMUNICATION est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la SARL EVEN MEDIA, à la SARL COPPER COMMUNICATION, au Premier ministre, au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et à la société France Télécom.


Type d'affaire : Administrative

Analyses

51-02-01-005 POSTES ET TELECOMMUNICATIONS - TELECOMMUNICATIONS - TELEPHONE - QUESTIONS GENERALES RELATIVES AU FONCTIONNEMENT DU SERVICE TELEPHONIQUE


Références :

Code de justice administrative L761-1
Code des postes et télécommunications D406-1 à D406-3, L33-1, L34-1, L34-8, L36-7, L36-8
Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 04 novembre 1950 art. 6, art. 10
Décret 93-274 du 25 février 1993
Loi 86-1067 du 30 septembre 1986 art. 2
Loi 96-659 du 26 juillet 1996


Publications
Proposition de citation: CE, 02 oct. 2002, n° 231228
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mlle Bourgeois
Rapporteur public ?: Mme de Silva

Origine de la décision
Formation : 2 / 1 ssr
Date de la décision : 02/10/2002
Date de l'import : 06/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 231228
Numéro NOR : CETATEXT000008123538 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2002-10-02;231228 ?
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