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23/10/2002 | FRANCE | N°221467

France | France, Conseil d'État, 9 / 10 ssr, 23 octobre 2002, 221467


Vu le recours du MINISTRE DE L'EQUIPEMENT, DES TRANSPORTS ET DU LOGEMENT, enregistré le 25 mai 2000 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat ; le MINISTRE DE L'EQUIPEMENT, DES TRANSPORTS ET DU LOGEMENT demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 16 mars 2000 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du 6 mars 1996 par lequel le tribunal administratif de Paris a accordé aux sociétés Cise, Miller, Benenati et Compagnie financière de la Plaine Monceau la décharge de la redevance pour création de locaux à usage

de bureaux à laquelle elles ont été assujetties au titre des...

Vu le recours du MINISTRE DE L'EQUIPEMENT, DES TRANSPORTS ET DU LOGEMENT, enregistré le 25 mai 2000 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat ; le MINISTRE DE L'EQUIPEMENT, DES TRANSPORTS ET DU LOGEMENT demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 16 mars 2000 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du 6 mars 1996 par lequel le tribunal administratif de Paris a accordé aux sociétés Cise, Miller, Benenati et Compagnie financière de la Plaine Monceau la décharge de la redevance pour création de locaux à usage de bureaux à laquelle elles ont été assujetties au titre des travaux autorisés par un permis de construire délivré le 19 août 1991 en vue de la construction de deux bâtiments situés 125-133, boulevard Davout, à Paris ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le code de l'urbanisme ;
Vu la loi n° 60-790 du 2 août 1960 ;
Vu la loi n° 82-1020 du 3 décembre 1982 ;
Vu la loi n° 82-1169 du 31 décembre 1982 ;
Vu le décret n° 68-193 du 23 février 1968 ;
Vu le décret n° 82-389 du 10 mai 1982 ;
Vu le décret n° 83-1261 du 30 décembre 1983 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Mahé, Maître des Requêtes ;
- les observations de Me Cossa, avocat de la Société Cise, de la Société Miller, de la Société Benenati et de la Compagnie foncière de la Plaine Monceau,
- les conclusions de M. Goulard, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 520-1 du code de l'urbanisme, qui reprend en les codifiant des dispositions issues de la loi n° 60-790 du 2 août 1960 : "Dans les zones comprises dans les limites de la région d'Ile-de-Franceà, il est perçu une redevance à l'occasion de la construction de locaux à usage de bureauxà" ; qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué qu'en application de ces dispositions et à raison du permis de construire qui leur a été délivré le 19 août 1991 en vue de la construction de deux bâtiments situés 125-133, boulevard Davout, à Paris, les sociétés Cise, Miller, Benenati et Compagnie financière de la Plaine Monceau ont été assujetties à une redevance dont le montant a été fixé à 4 548 928 F par une décision du maire de Paris en date du 20 février 1992 ;
Sur la fin de non-recevoir opposée par les sociétés :
Considérant que l'arrêt attaqué a été notifié au MINISTRE DE L'EQUIPEMENT, DES TRANSPORTS ET DU LOGEMENT le 24 mars 2000 ; que le pourvoi en cassation du ministre a été transmis par une télécopie enregistrée le 25 mai 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, et que cette télécopie a été régularisée par l'envoi de l'original du pourvoi, enregistré le 31 mai 2000 ; qu'ainsi, le recours du ministre est recevable ;
Sur la compétence du maire de Paris pour fixer le montant de la redevance contestée en application de l'article R. 424-1 du code de l'urbanisme :

Considérant que le montant de la redevance pour création de locaux à usage de bureaux est, aux termes de l'article R. 520-6 du code de l'urbanisme, "arrêté par décision du ministre chargé de l'urbanisme ou de son délégué" ; qu'aux termes de l'article 1er du décret susvisé du 23 février 1968, "délégation est donnée au préfet de Paris et aux préfets des départements de la région parisienne pour prendre au lieu et place du ministre de l'équipement et du logement toutes décisions prévues par la loi n° 60 -790 du 2 août 1960.", au nombre desquelles figurent celles relatives à la fixation du montant de la redevance pour création de locaux à usage de bureaux ; que, lorsque le maire a reçu compétence pour la délivrance des permis de construire, le premier alinéa de l'article R. 424-1 du code de l'urbanisme dispose que : "La détermination de l'assiette et la liquidation des impositions dont la délivrance du permis de construire constitue le fait générateur peuvent être confiées, sur sa demande ou avec son accord, à l'autorité compétente pour délivrer le permis de construire, lorsqu'elle est autre que l'Etat, par arrêté du préfet pris sur proposition du responsable du service de l'Etat dans le département, chargé de l'urbanisme" ; que le deuxième alinéa du même article précise que "cette autorité est substituée au responsable du service de l'Etat dans le département, chargé de l'urbanisme, pour exercer cette mission au nom de l'Etat" ; qu'enfin, aux termes du troisième alinéa de cet article : "Un arrêté du ministre chargé de l'urbanisme précise le cas échéant les modalités d'application du présent article" ; que par un arrêté du 30 mars 1984 pris en application de ces dispositions, le préfet de Paris a transféré au maire de Paris la compétence qu'il tenait du décret du 23 février 1968 précité pour fixer le montant de la redevance pour création de locaux à usage de bureaux ;
Considérant qu'il résulte du premier alinéa de l'article R. 424-1 précité que la délégation de pouvoir qu'il prévoit au profit des maires peut être instituée pour l'ensemble des impositions dont la délivrance du permis de construire constitue le fait générateur et non uniquement pour celles d'entre elles qui sont assises et liquidées par le responsable du service de l'Etat chargé de l'urbanisme ; que la redevance pour création de locaux à usage de bureaux, dont l'avis de mise en recouvrement doit en vertu de l'article L. 520-2 du code de l'urbanisme être émis dans les deux ans qui suivent la délivrance du permis de construire ou les déclarations qui lui sont assimilées en vertu des articles L. 520-9 et R. 422-3 du même code entre, pour l'application de l'article R. 424-1 précité, dans la catégorie des impositions dont le permis de construire constitue le fait générateur ; qu'en se fondant sur le motif que la fixation du montant de cette redevance ne relevait pas de la compétence du responsable du service de l'Etat chargé de l'urbanisme pour juger que le préfet ne pouvait faire usage de la délégation de pouvoir prévue par l'article R. 424-1 et pour en tirer la conséquence que la décision du maire de Paris fixant le montant de l'imposition contestée était entachée d'incompétence, la cour administrative d'appel de Paris a commis une erreur de droit ; que son arrêt doit être annulé pour ce motif ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Considérant que, par le jugement du 6 mars 1996, le tribunal administratif de Paris a prononcé la décharge de la redevance contestée au motif que l'arrêté du 30 mars 1984, fondant la compétence du maire de Paris pour fixer le montant de cette redevance, n'aurait pu entrer en vigueur faute de mesures de publicité suffisantes ;
Considérant qu'aux termes de l'article 31 de la loi du 29 décembre 1997 : "Sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, sont réputées régulières les impositions assises et liquidées jusqu'au 9 novembre 1995 en application de l'article R. 424-1 du code de l'urbanisme et sur le fondement de l'arrêté du préfet de Paris en date du 30 mars 1984, en tant qu'elles seraient contestées pour un motif tiré de l'incompétence du maire de Paris résultant du défaut d'affichage de l'arrêté précité" ; que pour écarter l'application de ces dispositions, qui font obstacle à ce que les contribuables puissent utilement se prévaloir de la publicité insuffisante dont l'arrêté du 30 mars 1984 aurait fait l'objet, les sociétés Cise, Miller, Benenati et Compagnie financière de la Plaine Monceau soutiennent qu'elles sont incompatibles avec l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi qu'avec l'article 1er de son premier protocole additionnel ;
Considérant, d'une part, qu'il résulte des termes mêmes de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qu'il ne peut être utilement invoqué devant le juge de l'impôt, qui en l'absence de contestation propre aux pénalités ne statue pas en matière pénale et ne tranche pas des contestations sur des droits et obligations à caractère civil ;

Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention précitée : "Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes" ; qu'il résulte des termes mêmes de ces stipulations que le droit au respect de ses biens reconnu à toute personne physique ou morale ne porte pas atteinte au droit de chaque Etat de mettre en .uvre les lois qu'il juge nécessaires pour assurer le paiement des impôts ; que l'article 31 de la loi du 29 décembre 1997 a pour seul objet de rendre insusceptible d'être invoqué devant le juge de l'impôt le moyen tiré de ce que l'arrêté du 30 mars 1984, bien qu'inséré en caractères apparents dans un des journaux quotidiens du département de Paris et publié au recueil des actes administratifs de la préfecture de Paris et de la préfecture de police, n'aurait pas fait l'objet d'une publicité suffisante faute d'un affichage dans les locaux de la préfecture et de la mairie de Paris ; qu'ainsi, cette loi a pour effet de permettre le paiement de taxes d'urbanisme mises à la charge de contribuables qui remplissent toutes les conditions de fond pour y être assujettis, et qu'elle ne prive pas de la possibilité de contester l'impôt par tout autre moyen de procédure ou de fond ; que dès lors, dans les circonstances de l'espèce, la loi du 29 décembre 1997 ne saurait être regardée, compte tenu de son objectif et de sa portée, comme méconnaissant le respect dû aux biens du contribuable en vertu de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Considérant, dès lors, que les sociétés ne sont pas fondées à demander que l'application de la loi du 29 décembre 1997 soit écartée ; que, par suite, le motif tiré de l'incompétence du maire de Paris pour asseoir et liquider la redevance contestée, sur lequel le tribunal administratif de Paris s'est fondé pour prononcer la décharge, ne peut être maintenu ;
Considérant, toutefois, qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par les sociétés tant en appel que devant le tribunal administratif de Paris ;
Considérant, en premier lieu, qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, la redevance pour création de locaux à usage de bureaux entre pour l'application de l'article R. 424-1 précité dans la catégorie des impositions dont le permis de construire constitue le fait générateur ; que le préfet de Paris pouvait donc légalement faire figurer cette redevance dans la liste des impositions dont la détermination de l'assiette et la liquidation ont été confiées au maire par l'arrêté du 30 mars 1984 ;

Considérant, en deuxième lieu, que les dispositions de l'article R. 424-1 précité étaient suffisamment précises pour être applicables dès l'entrée en vigueur du décret susvisé du 30 décembre 1983, qui les a introduites dans le code de l'urbanisme, et sans que fût nécessaire la publication de l'arrêté auquel son troisième alinéa ne renvoie que le cas échéant dans le but de fixer ses modalités techniques d'application ; que, contrairement à ce que soutiennent les sociétés, le préfet de Paris pouvait donc, par un acte prenant effet le 1er avril 1984 sous réserve de l'accomplissement des formalités de publicité nécessaires, déléguer les compétences qu'il détenait pour asseoir et liquider la participation contestée, sans attendre l'entrée en vigueur, survenue le 26 juin 1984, de l'arrêté ministériel du 26 avril 1984 pris en application du troisième alinéa de l'article R. 424-1 ;
Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes du premier alinéa de l'article 37 de la loi susvisée du 31 décembre 1982 relative à l'organisation administrative de Paris, Marseille, Lyon et des établissements publics de coopération intercommunale : "Le maire de la commune peut donner sous sa surveillance et sa responsabilité, par arrêté, délégation de signature au secrétaire général de la mairie et aux responsables communaux" ; que l'article 3 de l'arrêté du 24 mars 1989, pris pour l'application de ces dispositions et publié au Bulletin officiel de la Ville de Paris du 8 avril 1989, prévoit que la signature du maire de Paris est déléguée, pour les affaires entrant dans leurs attributions, à M. X..., chef du bureau de la fiscalité et de la construction, et à son adjoint, M. Y..., attaché d'administration ; que la circonstance que M. Y... n'exerce que les fonctions d'adjoint au chef du bureau de la fiscalité et de la construction est sans incidence sur la légalité de la délégation de signature qui lui a été consentie ; que, contrairement à ce que soutiennent les sociétés, M. Y... pouvait donc régulièrement signer la décision du 20 février 1992 fixant le montant de la redevance contestée ;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que le MINISTRE DE L'EQUIPEMENT, DES TRANSPORTS ET DU LOGEMENT est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 6 mars 1996, le tribunal administratif de Paris a déchargé les sociétés Cise, Miller, Benenati et Compagnie financière de la Plaine Monceau de la redevance pour création de locaux à usage de bureaux à laquelle elles ont été assujetties au titre des travaux autorisés par le permis de construire du 19 août 1991 ;
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à payer aux sociétés Cise, Miller, Benenati et Compagnie financière de la Plaine Monceau la somme qu'elles demandent au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens ;
Article 1er : L'arrêt du 16 mars 2000 de la cour administrative d'appel de Paris et le jugement du 6 mars 1996 du tribunal administratif de Paris sont annulés.
Article 2 : La redevance pour création de locaux à usage de bureaux à laquelle les sociétés Cise, Miller, Benenati et Compagnie financière de la Plaine Monceau ont été assujetties pour un montant de 4 548 928 F (693 479,6 euros) au titre des travaux autorisés par le permis de construire du 19 août 1991 est remise à leur charge.
Article 3 : Les conclusions des sociétés Cise, Miller, Benenati et Compagnie financière de la Plaine Monceau tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au MINISTRE DE L'EQUIPEMENT, DES TRANSPORTS, DU LOGEMENT, DU TOURISME ET DE LA MER et aux sociétés Cise, Miller, Benenati et Compagnie financière de la Plaine Monceau.


Synthèse
Formation : 9 / 10 ssr
Numéro d'arrêt : 221467
Date de la décision : 23/10/2002
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Recours en cassation

Analyses

CONTRIBUTIONS ET TAXES - IMPOSITIONS LOCALES AINSI QUE TAXES ASSIMILEES ET REDEVANCES - TAXES ASSIMILEES.

URBANISME ET AMENAGEMENT DU TERRITOIRE - PERMIS DE CONSTRUIRE - LEGALITE INTERNE DU PERMIS DE CONSTRUIRE - LEGALITE AU REGARD DE LA REGLEMENTATION NATIONALE - AUTRES DISPOSITIONS LEGISLATIVES OU REGLEMENTAIRES.


Références :

Arrêté du 30 mars 1984
Arrêté du 26 avril 1984
Arrêté du 24 mars 1989 art. 3
Code de justice administrative L821-2, L761-1
Code de l'urbanisme L520-1, R424-1, R520-6, L520-2, L520-9, R422-3
Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 04 novembre 1950 art. 6
Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales 1er protocole additionnel du 20 mars 1952 art. 1er
Décret 68-193 du 23 février 1968 art. 1
Décret 83-1261 du 30 décembre 1983
Loi 60-790 du 02 août 1960
Loi 82-1169 du 31 décembre 1982 art. 37
Loi 97-1239 du 29 décembre 1997 art. 31


Publications
Proposition de citation : CE, 23 oct. 2002, n° 221467
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Mahé
Rapporteur public ?: M. Goulard

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2002:221467.20021023
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