Vu la requête, enregistrée le 28 février 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par le PREFET D'ILLE-ET-VILAINE ; le PREFET D'ILLE-ET-VILAINE demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement du 24 août 2001 par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Rennes a annulé son arrêté du 20 août 2001 décidant la reconduite à la frontière de M. Kemal X... et fixant la Turquie comme pays de destination, et l'a enjoint de délivrer à l'intéressé un récépissé valant autorisant provisoire de séjour jusqu'à ce que l'office français de protection des réfugiés et apatrides ait statué sur sa demande ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. X... devant le tribunal administratif de Rennes ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu la convention de Genève du 28 juillet 1951 et le protocole signé à New York le 31 janvier 1967 ;
Vu l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée ;
Vu la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Laville, Conseiller d'Etat ;
- les conclusions de M. Séners, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'aux termes du I de l'article 22 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée : " Le représentant de l'Etat dans le département et, à Paris, le préfet de police, peuvent, par arrêté motivé, décider qu'un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants : 1° Si l'étranger ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité (.) " ; qu'il ressort des pièces du dossier que M. Kemal X..., de nationalité turque, est entré irrégulièrement sur le territoire français et n'est pas titulaire de titre de séjour en cours de validité ; qu'il se trouvait ainsi dans le cas où, en application du 1° du I de l'article 22 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, le préfet peut décider la reconduite d'un étranger à la frontière ;
Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 31-2 de la convention de Genève du 28 juillet 1951, les Etats partie à cette convention ne peuvent appliquer aux déplacements des réfugiés en situation irrégulière que les restrictions nécessaires " en attendant que le statut de ces réfugiés dans le pays d'accueil ait été régularisé ou qu'ils aient réussi à se faire admettre dans un autre pays " ; qu'en vertu de la loi du 25 juillet 1952 portant création de l'office français de protection des réfugiés et apatrides, il appartient à cet office de statuer, sous le contrôle de la commission des recours des réfugiés, sur les demandes tendant à ce que soit reconnue à un étranger la qualité de réfugié au sens de l'article 1er de la convention du 28 juillet 1951 précitée ;
Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 2 de la loi du 25 juillet 1952 susmentionnée : " (.) L'office ne peut être saisi d'une demande de reconnaissance de la qualité de réfugié qu'après que le représentant de l'Etat dans le département ou, à Paris, le préfet de police, a enregistré la demande d'admission au séjour du demandeur d'asile " ; que ces dispositions ont pour effet d'obliger l'autorité de police à transmettre au préfet, et le préfet à enregistrer, une demande d'admission au séjour au titre de l'asile formulée par un étranger à l'occasion de son interpellation pour entrée irrégulière sur le territoire français ; que, par voie de conséquence, elles font légalement obstacle à ce que le préfet fasse usage des pouvoirs que lui confère l'ordonnance du 2 novembre 1945, en matière de reconduite à la frontière des étrangers en situation irrégulière, avant d'avoir statué sur cette demande d'admission au séjour au titre de l'asile ;
Considérant qu'il ressort des pièces des dossiers que M. X... a demandé l'admission au séjour au titre de l'asile dès son interpellation par les services de police le 20 août 2002 ; que, cependant, se fondant sur la seule circonstance de l'entrée irrégulière en France de l'intéressé, sans prendre en considération sa demande d'admission au séjour au titre de l'asile, le PREFET D'ILLE-ET-VILAINE a, par l'arrêté attaqué, décidé le même jour sa reconduite à la frontière ; qu'il ne ressort pas des pièces des dossiers que cette admission pouvait légalement être refusée à ce dernier pour l'un des motifs limitativement énumérés par les dispositions des 1° à 4° de l'article 31 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 ; qu'ainsi, en prenant l'arrêté attaqué litigieux, le PREFET D'ILLE-ET-VILAINE a excédé ses pouvoirs ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le PREFET D'ILLE-ET-VILAINE n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Rennes a annulé son arrêté du 20 août 2001 ordonnant la reconduite à la frontière de M. X... et fixant la Turquie comme pays de destination et l'a enjoint à délivrer à l'intéressé un récépissé valant autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'office français de protection des réfugiés et apatrides ait statué sur sa demande ;
Article 1er : La requête du PREFET D'ILLE-ET-VILAINE est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée au PREFET D'ILLE-ET-VILAINE, à M. Kemal X... et au ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.