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28/03/2003 | FRANCE | N°238942

France | France, Conseil d'État, 3 ss, 28 mars 2003, 238942


Vu la requête, enregistrée le 10 octobre 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par le PREFET DES HAUTS-DE-SEINE ; le PREFET DES HAUTS-DE-SEINE demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement du 16 juillet 2001 par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 24 avril 2001 ordonnant la reconduite à la frontière de M. Manuel X... et lui a enjoint de délivrer à ce dernier une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" ;
2°) de rejeter la demande prés

entée par M. Manuel X... devant le tribunal administratif de Paris ;
Vu l...

Vu la requête, enregistrée le 10 octobre 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par le PREFET DES HAUTS-DE-SEINE ; le PREFET DES HAUTS-DE-SEINE demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement du 16 juillet 2001 par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 24 avril 2001 ordonnant la reconduite à la frontière de M. Manuel X... et lui a enjoint de délivrer à ce dernier une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. Manuel X... devant le tribunal administratif de Paris ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Richard, Conseiller d'Etat,
- les observations de la SCP Ancel, Couturier-Heller, avocat de M. Manuel X...,
- les conclusions de M. Séners, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'aux termes du I de l'article 22 de l'ordonnance susvisée : "le représentant de l'Etat dans le département et, à Paris, le préfet de police peuvent, par arrêté motivé, décider qu'un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants : (.) 3° Si l'étranger auquel la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé ou dont le titre de séjour a été retiré, s'est maintenu sur le territoire au-delà du délai d'un mois à compter de la date de notification du refus ou du retrait (.)" ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. Manuel X..., de nationalité angolaise, s'est maintenu sur le territoire français plus d'un mois à compter de la notification, le 4 septembre 2000, de la décision en date du 30 août 2000 par laquelle le PREFET DES HAUTS-DE-SEINE lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour ; qu'il se trouvait ainsi dans le cas où, en application des dispositions rappelées ci-dessus, le préfet peut décider la reconduite à la frontière d'un étranger ;
Considérant qu'aux termes de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 : "Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit ( ...) 3° A l'étranger, ne vivant pas en état de polygamie, qui justifie par tout moyen résider en France habituellement depuis plus de dix ans ou plus de quinze ans, si au cours de cette période, il a séjourné en qualité d'étudiant" ;
Considérant qu'à l'appui de sa demande d'annulation de l'arrêté ordonnant sa reconduite à la frontière, M. X... a fait valoir qu'il réside en France depuis 1988, année au cours de laquelle il a présenté une demande de reconnaissance de la qualité de réfugié, qui a d'ailleurs été rejetée en 1991 par l'office français de protection des réfugiés et apatrides, puis en 1992 par la commission des recours des réfugiés ; que s'il produit diverses pièces émanant d'autorités publiques ou d'employeurs pour une partie de la période débutant en 1988, il ne fournit, pour les années 1993 à 1996, qu'un certificat médical, établi en 2001, mentionnant quatre consultations et quatre factures dont l'authenticité est contestée par le PREFET DES HAUTS-DE-SEINE, non contredit sur ce point ; que ces quelques documents ne suffisent pas à établir que M. X... réside habituellement en France depuis plus de dix ans ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le magistrat délégué par le tribunal administratif de Paris s'est fondé sur la circonstance que M. X... justifiait résider habituellement en France depuis plus de dix ans pour annuler ledit arrêté du PREFET DES HAUTS-DE-SEINE ;
Considérant toutefois qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner l'autre moyen soulevé par M. X... devant le tribunal administratif de Paris et devant le Conseil d'Etat ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier qu'à la date de la décision attaquée M. X... vivait en concubinage depuis plusieurs années avec une compatriote en situation régulière en France avec laquelle il a d'ailleurs contracté mariage après l'arrêté ordonnant sa reconduite à la frontière ; qu'il est père d'un enfant de 9 ans scolarisé en France et d'un autre enfant, né en 1998 de cette relation ; que, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, et notamment de la durée des relations entretenues avec sa compagne, l'arrêté attaqué a porté au droit de M. X... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris ; que ledit arrêté a par suite méconnu les dispositions de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le PREFET DES HAUTS-DE-SEINE n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté prononçant la reconduite à la frontière de M. X... ;
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : "Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une décision dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution" ; que le III de l'article 22 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 dispose que : "Si l'arrêté de reconduite à la frontière est annulé, ( ...) l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que le préfet ait à nouveau statué sur son cas" ;
Considérant que la présente décision confirme l'annulation pour excès de pouvoir d'un arrêté ordonnant la reconduite à la frontière de M. X... et non pas d'une décision refusant de délivrer à celui-ci une carte de séjour temporaire ; que, dès lors, M. X... n'est pas fondé à invoquer l'autorité de la chose jugée qui s'attacherait aux motifs de la présente décision pour soutenir que celle-ci implique nécessairement, au sens des dispositions précitées de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, la délivrance d'une carte de séjour temporaire ; que, dès lors, le jugement attaqué doit être annulé en tant qu'il enjoint au PREFET DES HAUTS-DE-SEINE de délivrer à M. X... une carte de séjour temporaire ;

Considérant toutefois qu'à la suite de l'annulation d'un arrêté de reconduite à la frontière, il incombe au préfet, en application des dispositions précitées du III de l'article 22 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945, non seulement de munir l'intéressé d'une autorisation provisoire de séjour mais aussi, qu'il ait été ou non saisi d'une demande en ce sens, de se prononcer sur son droit à un titre de séjour ; que, dès lors, il appartient au juge administratif, lorsqu'il prononce l'annulation d'un arrêté de reconduite à la frontière et qu'il est saisi de conclusions en ce sens, d'user des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 911-2 du code de justice administrative, pour fixer le délai dans lequel la situation de l'intéressé doit être réexaminée, au vu de l'ensemble de la situation de droit et de fait existant à la date de ce réexamen ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu d'enjoindre au PREFET DES HAUTS-DE-SEINE de se prononcer sur la situation de M. X... dans le délai de 30 jours suivant la notification de la présente décision ; qu'il n'y a pas lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte ;
Article 1er : L'article 2 du jugement du 16 juillet 2001 du magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : Le surplus des conclusions du PREFET DES HAUTS-DE-SEINE est rejeté.
Article 3 : Il est enjoint au PREFET DES HAUTS-DE-SEINE de délivrer à M. X... une autorisation provisoire de séjour et de se prononcer sur son droit à un titre de séjour dans le délai de 30 jours suivant la notification de la présente décision.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au PREFET DES HAUTS-DE-SEINE, à M. Manuel X... et au ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.


Type d'affaire : Administrative

Analyses

335-03 ETRANGERS - RECONDUITE A LA FRONTIERE.


Références :

Arrêté du 24 avril 2001
Code de justice administrative L911-1, L911-2
Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 04 novembre 1950 art. 8
Ordonnance 45-2658 du 02 novembre 1945 art. 22, art. 12 bis, art. 22 bis


Publications
Proposition de citation: CE, 28 mar. 2003, n° 238942
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Richard
Rapporteur public ?: M. Séners

Origine de la décision
Formation : 3 ss
Date de la décision : 28/03/2003
Date de l'import : 02/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 238942
Numéro NOR : CETATEXT000008141735 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2003-03-28;238942 ?
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