La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

25/06/2003 | FRANCE | N°245518

France | France, Conseil d'État, 3eme et 8eme sous-sections reunies, 25 juin 2003, 245518


Vu la requête, enregistrée le 23 avril 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la SOCIETE USINE DU MARIN, dont le siège est au Marin (97290) Martinique ; la SOCIETE USINE DU MARIN demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet du Premier ministre de sa demande tendant à titre principal à l'abrogation du décret du 23 décembre 1998 approuvant le schéma d'aménagement régional de la Martinique et à titre subsidiaire, à l'abrogation de l'article B. 6-7 de ce schéma ;

2°) de condamner l'Et

at à lui payer la somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par elle et n...

Vu la requête, enregistrée le 23 avril 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la SOCIETE USINE DU MARIN, dont le siège est au Marin (97290) Martinique ; la SOCIETE USINE DU MARIN demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet du Premier ministre de sa demande tendant à titre principal à l'abrogation du décret du 23 décembre 1998 approuvant le schéma d'aménagement régional de la Martinique et à titre subsidiaire, à l'abrogation de l'article B. 6-7 de ce schéma ;

2°) de condamner l'Etat à lui payer la somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de l'urbanisme ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu la loi n° 84-747 du 2 août 1984 relative aux compétences des régions de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de la Réunion ;

Vu le décret n° 88-899 du 29 août 1988 relatif à la procédure d'élaboration du schéma d'aménagement régional des régions Guadeloupe, Guyane, Martinique et Réunion ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Verclytte, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Parmentier, Didier, avocat de la SOCIETE USINE DU MARIN,

- les conclusions de M. Austry, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que la SOCIETE USINE DU MARIN a demandé au Premier ministre, le 24 décembre 2001, l'abrogation du décret du 23 décembre 1998 approuvant le schéma d'aménagement régional de la Martinique, ou, à titre subsidiaire, l'abrogation de l'article B. 6-7 de ce schéma ; que le Premier ministre n'ayant pas répondu à cette demande dans le délai de deux mois, il en est résulté une décision implicite de rejet, que la SOCIETE USINE DU MARIN a contesté pour excès de pouvoir dans le délai de recours contentieux ; que la SOCIETE USINE DU MARIN demande en outre qu'il soit enjoint au Premier ministre, sous astreinte, d'abroger le décret attaqué ;

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

Considérant que l'autorité compétente, saisie d'une demande tendant à l'abrogation d'un règlement illégal, est tenue d'y déférer, soit que ce règlement ait été illégal dès la date de sa signature, soit que l'illégalité résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures à cette date ;

Sur la légalité externe du décret dont l'abrogation a été refusée :

Considérant qu'aux termes de l'article 12 du décret du 29 août 1988 relatif à la procédure d'élaboration du schéma d'aménagement régional des régions Guadeloupe, Guyane, Martinique et Réunion : Le décret en Conseil d'Etat portant approbation du schéma d'aménagement régional est pris sur le rapport des ministres de l'intérieur, de l'urbanisme, de la mer, de l'agriculture et des départements et territoires d'outre-mer ; que le décret litigieux a été pris sur le rapport du ministre de l'intérieur, qui avait compétence, sur le fondement du décret n° 97-708 du 11 juin 1997, pour préparer et mettre en oeuvre la politique du gouvernement en ce qui concerne les départements et territoires d'outre-mer, du ministre de l'équipement, qui était chargé, en vertu du décret n° 97-712 du 11 juin 1997, de l'urbanisme et de la mer, et du ministre de l'agriculture, qui était chargé, en vertu du décret n° 97-714 du 11 juin 1997, de la pêche maritime et des cultures marines ; que la SOCIETE USINE DU MARIN n'est pas fondée à soutenir qu'il aurait dû être pris également sur le rapport du secrétaire d'Etat à l'outre-mer et du secrétaire d'Etat à la mer, ou, à défaut, du Premier ministre, auquel aurait été rattaché le secrétariat d'Etat à la mer, dès lors que, d'une part, il ressort du décret n° 97-721 du 16 juin 1997 que le secrétaire d'Etat à l'outre-mer était placé sous l'autorité du ministre de l'intérieur et n'exerçait que par délégation de ce dernier les attributions qui lui étaient dévolues pour l'outre-mer et que, d'autre part, le gouvernement ne comprenait pas, à la date du décret litigieux, de secrétariat d'Etat à la mer ;

Sur la légalité interne du décret dont l'abrogation a été refusée :

Considérant qu'aux termes de l'article 3 de la loi du 2 août 1984 relative aux compétences des régions de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de la Réunion, maintenant codifié à l'article L. 4433-7 du code général des collectivités territoriales : Les conseils régionaux de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de la Réunion adoptent un schéma d'aménagement qui fixe les orientations fondamentales en matière de développement, de mise en valeur du territoire et de protection de l'environnement./ Ce schéma détermine, notamment, la destination générale des différentes parties du territoire de la région, l'implantation des grands équipements d'infrastructures et de communication routière, la localisation préférentielle des extensions urbaines, des activités industrielles, portuaires, artisanales, agricoles, forestières et touristiques ; qu'aux termes de l'article 4 de cette loi, dont les termes sont repris à l'article L. 4433-8 du code général des collectivités territoriales, le schéma d'aménagement régional (...) a les mêmes effets que les prescriptions définies en application de l'article L. 111-1-1 du code de l'urbanisme ; qu'aux termes de l'article 13 de la même loi, maintenant codifié à l'article L. 4433-15 du code général des collectivités territoriales, le schéma d'aménagement régional vaut schéma de mise en valeur de la mer, tel qu'il est défini par l'article 57 de la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 précitée, notamment en ce qui concerne les orientations fondamentales de la protection, de l'aménagement et de l'exploitation du littoral ; qu'il résulte de ces dispositions qu'un schéma d'aménagement régional, qui constitue un document d'orientation en matière d'urbanisme, ne peut avoir pour objet et ne saurait avoir légalement pour effet d'imposer que l'aménagement de terrains appartenant à des propriétaires privés soit nécessairement confié à une collectivité publique ;

Considérant que, dans ces conditions, les dispositions de l'article B. 6-7 du chapitre III du schéma d'aménagement régional de la Martinique, relatif à l'aménagement d'installations de loisirs liées à la mer, selon lesquelles la vocation d'espaces publics de certains espaces du littoral implique la maîtrise d'ouvrage d'une collectivité publique, qui ont pour effet d'interdire à une personne privée l'aménagement des terrains dont elle serait propriétaire dans les espaces littoraux, alors même que cet aménagement serait compatible avec les orientations, définies par le schéma, visant à sauvegarder le caractère public et naturel des espaces littoraux, portent une atteinte illégale au droit de propriété ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la SOCIETE USINE DU MARIN est fondée à demander l'annulation de la décision du Premier ministre refusant de tirer les conséquences de cette illégalité ;

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

Considérant qu'aux termes de l'article 13 du décret du 29 août 1988 relatif à la procédure d'élaboration du schéma d'aménagement régional des régions Guadeloupe, Guyane, Martinique et Réunion : Lorsque le refus d'approbation est fondé sur des motifs tirés de l'illégalité de certaines des dispositions du schéma d'aménagement régional , le projet est renvoyé au conseil régional, qui ne peut y apporter d'autres modifications que celles qui sont nécessaires à sa mise en conformité avec les lois et règlements ;

Considérant que, compte tenu de ce qui précède, la présente décision implique nécessairement que le Premier ministre, soit abroge l'approbation qu'il a donnée par le décret du 23 décembre 1998 au schéma d'aménagement régional de la Martinique, soit saisisse le conseil régional de la Martinique afin que celui-ci lui transmette pour approbation un schéma modifié afin de tirer les conséquences de l'illégalité des dispositions de l'article B. 6-7 ; qu'il y a lieu de lui enjoindre de prendre l'une de ces deux décisions dans le délai d'un mois suivant la notification de la présente décision, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette mesure d'exécution de l'astreinte demandée par la société requérante ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner l'Etat à payer à la SOCIETE USINE DU MARIN la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La décision du Premier ministre refusant de faire droit à la demande de la SOCIETE USINE DU MARIN tendant à l'abrogation du décret du 23 décembre 1998 est annulée en tant qu'elle refuse de tirer les conséquences de l'illégalité des dispositions de l'article B. 6-7 du schéma d'aménagement régional de la Martinique approuvé par ce décret.

Article 2 : Il est enjoint au Premier ministre, dans le délai d'un mois suivant la notification de la présente décision, soit d'abroger le décret du 23 décembre 1998, soit de saisir le conseil régional de la Martinique afin que celui-ci lui transmette pour approbation un projet de schéma d'aménagement régional de la Martinique modifié pour tenir compte de l'illégalité de son article B. 6-7.

Article 3 : L'Etat versera à la SOCIETE USINE DU MARIN la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE USINE DU MARIN, à la région Martinique, au Premier ministre, au ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, au ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer, au ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales, au ministre de l'écologie et du développement durable, au ministre de l'outre-mer et au ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer.


Sens de l'arrêt : Satisfaction partielle
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

ACTES LÉGISLATIFS ET ADMINISTRATIFS - DIFFÉRENTES CATÉGORIES D'ACTES - ACTES ADMINISTRATIFS - CLASSIFICATION - ACTES RÉGLEMENTAIRES - PRÉSENTENT CE CARACTÈRE - DÉCRET EN CONSEIL D'ETAT APPROUVANT LE SCHÉMA D'AMÉNAGEMENT RÉGIONAL D'UN DÉPARTEMENT D'OUTRE-MER (SOL - IMPL - ) [RJ1].

01-01-06-01-01 Le décret en Conseil d'Etat portant approbation du schéma d'aménagement régional d'un département d'outre-mer, prévu par les articles L. 4433-7 et suivants du code général des collectivités territoriales, est un acte réglementaire (sol. impl.).

OUTRE-MER - DROIT APPLICABLE DANS LES DÉPARTEMENTS ET TERRITOIRES D'OUTRE-MER - APPLICABILITÉ DANS LES DOM-TOM DES TEXTES LÉGISLATIFS ET RÉGLEMENTAIRES - DÉPARTEMENTS D'OUTRE-MER - SCHÉMAS D'AMÉNAGEMENT RÉGIONAL (ARTICLES L - 4433-7 ET S - DU CGCT) - A) DÉCRET EN CONSEIL D'ETAT PORTANT APPROBATION DU SCHÉMA - ACTE RÉGLEMENTAIRE (SOL - IMPL - ) [RJ1] - B) DISPOSITIONS D'UN SCHÉMA IMPOSANT QUE L'AMÉNAGEMENT DE TERRAINS PRIVÉS SOIT CONFIÉ À UNE COLLECTIVITÉ PUBLIQUE - ILLÉGALITÉ - C) CONSÉQUENCES DE LA DÉCISION DU CONSEIL D'ETAT JUGEANT CES DISPOSITIONS ILLÉGALES - ABROGATION PAR LE PREMIER MINISTRE DU DÉCRET APPROUVANT LE SCHÉMA OU SAISINE PAR LE PREMIER MINISTRE DU CONSEIL RÉGIONAL INTÉRESSÉ AFIN QUE CELUI-CI TRANSMETTE POUR APPROBATION UN SCHÉMA MODIFIÉ.

46-01-01-01 a) Le décret en Conseil d'Etat portant approbation du schéma d'aménagement régional d'un département d'outre-mer, prévu par les articles L. 4433-7 et suivants du code général des collectivités territoriales, est un acte réglementaire (sol. impl.),,b) Il résulte des dispositions des articles 3, 4 et 13 de la loi du 2 août 1984 relative aux compétences des régions de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de la Réunion, maintenant codifiés aux articles L. 4433-7, L. 4433-8 et L. 4433-15 du code général des collectivités territoriales, qu'un schéma d'aménagement régional, qui constitue un document d'orientation en matière d'urbanisme, ne peut avoir pour objet et ne saurait avoir légalement pour effet d'imposer que l'aménagement de terrains appartenant à des propriétaires privés soit nécessairement confié à une collectivité publique. Par suite, les dispositions de l'article B. 6-7 du chapitre III du schéma d'aménagement régional de la Martinique, relatif à l'aménagement d'installations de loisirs liées à la mer, selon lesquelles la vocation d'espaces publics [de certains espaces du littoral] implique la maîtrise d'ouvrage d'une collectivité publique, qui ont pour effet d'interdire à une personne privée l'aménagement des terrains dont elle serait propriétaire dans les espaces littoraux, alors même que cet aménagement serait compatible avec les orientations, définies par le schéma, visant à sauvegarder le caractère public et naturel des espaces littoraux, portent une atteinte illégale au droit de propriété.,,c) Compte tenu des dispositions de l'article 13 du décret du 29 août 1988 relatif à la procédure d'élaboration du schéma d'aménagement régional des régions Guadeloupe, Guyane, Martinique et Réunion, la décision par laquelle le Conseil d'Etat, saisi d'une demande d'annulation du refus du Premier ministre d'abroger le décret approuvant le schéma d'aménagement régional de la Martinique, juge illégales certaines des dispositions du schéma, implique nécessairement que le Premier ministre, soit abroge ce décret, soit saisisse le conseil régional de la Martinique afin que celui-ci lui transmette pour approbation un schéma modifié tirant les conséquences de l'illégalité des dispositions litigieuses. Injonction faite au Premier ministre de prendre l'une de ces deux décisions dans le délai d'un mois suivant la notification de la décision.


Références :

[RJ1]

Rappr. Section, 4 mars 1977, Ministre de l'équipement c/ SA Simottel, p. 122.


Publications
Proposition de citation: CE, 25 jui. 2003, n° 245518
Mentionné aux tables du recueil Lebon
RTFTélécharger au format RTF
Composition du Tribunal
Président : M. Lasserre
Rapporteur ?: M. Stéphane Verclytte
Rapporteur public ?: M. Austry
Avocat(s) : SCP PARMENTIER, DIDIER

Origine de la décision
Formation : 3eme et 8eme sous-sections reunies
Date de la décision : 25/06/2003
Date de l'import : 02/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 245518
Numéro NOR : CETATEXT000008138549 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2003-06-25;245518 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award