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30/12/2003 | FRANCE | N°247139

France | France, Conseil d'État, 9eme sous-section jugeant seule, 30 décembre 2003, 247139


Vu la requête, enregistrée le 22 mai 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. Emmanuel X, demeurant ... ; M. X demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêté du 18 mars 2002 du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie portant concession de sa pension militaire de retraite en tant qu'il limite la durée de ses services et bonifications pris en compte à 30 ans et demi ;

2°) d'enjoindre audit ministre de lui notifier un nouveau titre de pension et de lui verser avec les intérêts au taux légal les sommes dont il a été p

rivé depuis le 1er février 2002 dans un délai de deux mois à compter de la d...

Vu la requête, enregistrée le 22 mai 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. Emmanuel X, demeurant ... ; M. X demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêté du 18 mars 2002 du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie portant concession de sa pension militaire de retraite en tant qu'il limite la durée de ses services et bonifications pris en compte à 30 ans et demi ;

2°) d'enjoindre audit ministre de lui notifier un nouveau titre de pension et de lui verser avec les intérêts au taux légal les sommes dont il a été privé depuis le 1er février 2002 dans un délai de deux mois à compter de la décision à intervenir ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 750 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le Traité de Rome instituant la Communauté économique européenne devenue la Communauté européenne ;

Vu le Traité sur l'Union européenne et les protocoles qui y sont annexés ;

Vu le code des pensions civiles et militaires de retraite ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mlle Burguburu, Auditeur,

- les observations de la SCP Bachellier, Potier de la Varde, avocat de M. X,

- les conclusions de M. Goulard, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'aux termes de l'article 141 du traité instituant la Communauté européenne : 1. Chaque Etat membre assure l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins pour un même travail ou un travail de même valeur./ 2. Aux fins du présent article, on entend par rémunération, le salaire ou traitement ordinaire de base ou minimum, et tous autres avantages payés directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l'employeur au travailleur en raison de l'emploi de ce dernier. L'égalité de rémunération, sans discrimination fondée sur le sexe, implique : a) que la rémunération accordée pour un même travail payé à la tâche soit établie sur la base d'une même unité de mesure ; b) que la rémunération accordée pour un travail payé au temps soit la même pour un même poste de travail ; que les pensions servies par le régime français de retraite des fonctionnaires entrent dans le champ d'application de ces stipulations ; que, nonobstant les stipulations de l'article 6, paragraphe 3, de l'accord annexé au protocole n° 14 sur la politique sociale, joint au traité sur l'Union européenne, le principe de l'égalité des rémunérations s'oppose à ce qu'une bonification, pour le calcul d'une pension de retraite, accordée aux personnes qui ont assuré l'éducation de leurs enfants, soit réservée aux femmes, alors que les hommes ayant assuré l'éducation de leurs enfants seraient exclus du bénéfice de cette mesure ;

Considérant que le b) de l'article L. 12 du code des pensions civiles et militaires de retraite institue, pour le calcul de la pension, une bonification d'ancienneté d'un an par enfant dont il réserve le bénéfice aux femmes fonctionnaires ; qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus qu'une telle disposition est incompatible avec le principe de l'égalité des rémunérations tel qu'il est affirmé par le traité instituant la Communauté européenne et par l'accord annexé au protocole n° 14 sur la politique sociale joint au Traité sur l'Union européenne ; qu'il suit de là qu'en tant qu'il ne prend pas en compte la bonification prévue par ce texte, alors même que M. X aurait assuré l'éducation de ses enfants, l'arrêté du 18 mars 2002 portant concession à l'intéressé de sa pension militaire de retraite est entaché d'illégalité ; que, dès lors, M. X est fondé à demander pour ce motif l'annulation de l'arrêté attaqué, en tant qu'il ne lui a pas reconnu le bénéfice de cette bonification ;

Considérant que M. X demande qu'il soit ordonné au ministre compétent de le faire bénéficier de la bonification d'ancienneté prévue au b) de l'article L. 12 du code des pensions civiles et militaires de retraite ainsi que de revaloriser en conséquence la pension qui lui a été concédée ; qu'il sollicite également les intérêts ;

Considérant que le contentieux des pensions civiles et militaires de retraite est un contentieux de pleine juridiction ; qu'il appartient, dès lors, au juge saisi de se prononcer lui-même sur les droits des intéressés, sauf à renvoyer à l'administration compétente, et sous son autorité, le règlement de tel aspect du litige dans des conditions précises qu'il lui appartient de fixer ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction et qu'il n'est pas contesté que M. X, qui a assuré la charge de ses quatre enfants, en a assuré l'éducation ; que dans la mesure où sont maintenues des dispositions plus favorables aux fonctionnaires de sexe féminin ayant assuré l'éducation de leurs enfants, en ce qui concerne la bonification d'ancienneté retenue pour le calcul de la pension militaire de retraite, M. X a droit, ainsi qu'il a été dit plus haut, au bénéfice de la bonification prévue au b) de l'article L. 12 du code des pensions civiles et militaires de retraite ; qu'il y a lieu, dès lors, de prescrire au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie de modifier, dans les deux mois suivant la notification de la présente décision, les conditions dans lesquelles la pension de M. X lui a été concédée et de revaloriser rétroactivement cette pension ;

Considérant que M. X a droit aux intérêts des sommes qui lui sont dues à compter du 22 mai 2002, jour où il a demandé le paiement de ces sommes ;

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu pour le Conseil d'Etat, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de condamner l'Etat à verser à M. X la somme de 750 euros qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêté du 18 mars 2002 concédant à M. X sa pension de retraite est annulé en tant qu'il n'a pas reconnu à l'intéressé le bénéfice de la bonification d'ancienneté d'un an par enfant.

Article 2 : Le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie modifiera, dans le délai de deux mois suivant la notification de la présente décision, les conditions dans lesquelles la pension de M. X lui a été concédée et revalorisera rétroactivement cette pension.

Article 3 : Les sommes dues à M. X porteront intérêts à compter du 22 mai 2002.

Article 4 : L'Etat versera à M. X la somme de 750 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. Emmanuel X, au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et au ministre de la défense.


Synthèse
Formation : 9eme sous-section jugeant seule
Numéro d'arrêt : 247139
Date de la décision : 30/12/2003
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Contentieux des pensions

Publications
Proposition de citation : CE, 30 déc. 2003, n° 247139
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. de Vulpillières
Rapporteur ?: Mme Julie Burguburu
Rapporteur public ?: M. Goulard
Avocat(s) : SCP BACHELLIER, POTIER DE LA VARDE

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2003:247139.20031230
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