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12/01/2004 | FRANCE | N°250675

France | France, Conseil d'État, 9eme et 10eme sous-sections reunies, 12 janvier 2004, 250675


Vu le recours, enregistré le 30 septembre 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE ; le ministre demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 31 juillet 2002 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté son recours contre un jugement du 6 octobre 1998 par lequel le tribunal administratif d' Orléans a accordé à la S.A. Automobiles de la Vallée, dont le siège est ..., la décharge de cotisations d'impôt sur les sociétés auxquelles elle avait été assujettie au titre de chacune des

années 1990 à 1994 et de condamner l'Etat à lui verser une somm...

Vu le recours, enregistré le 30 septembre 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE ; le ministre demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 31 juillet 2002 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté son recours contre un jugement du 6 octobre 1998 par lequel le tribunal administratif d' Orléans a accordé à la S.A. Automobiles de la Vallée, dont le siège est ..., la décharge de cotisations d'impôt sur les sociétés auxquelles elle avait été assujettie au titre de chacune des années 1990 à 1994 et de condamner l'Etat à lui verser une somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des impôts ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Fabre, Conseiller d'Etat,

- les observations de la SCP Vier, Barthélemy, avocat de la S.A. Automobiles de la Vallée,

- les conclusions de M. Goulard, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'aux termes de l'article 44 sexies du code général des impôts dans sa rédaction applicable en l'espèce : I. Les entreprises créées à compter du 1er octobre 1988 soumises de plein droit ou sur option à un régime réel d'imposition de leurs résultats et qui exercent une activité industrielle, commerciale ou artisanale au sens de l'article 34 sont exonérées d'impôt sur le revenu ou d'impôt sur les sociétés à raison des bénéfices réalisés jusqu'au terme du vingt-troisième mois suivant celui de leur création et déclarés selon les modalités prévues à l'article 53 A. Les bénéfices ne sont soumis à l'impôt sur le revenu ou à l'impôt sur les sociétés que pour le quart, la moitié ou les trois quarts de leur montant selon qu'ils sont réalisés respectivement au cours de la première, de la seconde ou de la troisième période de douze mois suivant cette période d'exonération... III. Les entreprises créées dans le cadre d'une concentration, d'une restructuration, d'une extension d'activités préexistantes ou qui reprennent de telles activités ne peuvent pas bénéficier du régime défini au I ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis à la cour administrative d'appel de Nantes que la S.A. Automobiles de la Vallée, constituée le 12 janvier 1989, a, le 20 mars 1989, entrepris l'exercice de l'activité de concessionnaire exclusif de la marque automobile Ford dans une zone géographique ayant pour centre Gien (Loiret), où ce constructeur ne disposait plus de concessionnaire depuis le 20 février 1988 ; que les cotisations litigieuses d'impôt sur les sociétés auxquelles elle avait été assujettie au titre de chacune des années 1990 à 1994, et dont le tribunal administratif d'Orléans lui a accordé la décharge par jugement du 6 octobre 1998, procédaient du refus par l'administration de l'admettre au bénéfice des dispositions précitées du I de l'article 44 sexies du code général des impôts, au motif qu'elle aurait été créée dans le cadre d'une extension d'activités préexistantes, au sens du III du même article, sa propre activité de concessionnaire n'étant qu'un prolongement de celles de la société concédante, Ford-France ; qu'au soutien du recours dont il a saisi la cour administrative d'appel, et que celle-ci a rejeté par l'arrêt contre lequel il se pourvoit, le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE a, en premier lieu, maintenu qu'à bon droit, l'administration avait retenu le motif susanalysé, et, en second lieu, fait valoir que les impositions pouvaient aussi être légalement fondées sur le motif que la S.A. Automobiles de la Vallée avait été créée pour reprendre une activité préexistante, au sens du III de l'article 44 sexies du code général des impôts ;

Considérant que, pour écarter le moyen tiré par le ministre de ce que la S.A. Automobiles de la Vallée devait être regardée comme ayant repris l'activité du concessionnaire de la marque Ford dont le contrat avait été résilié le 20 février 1988, la cour administrative d'appel s'est notamment fondée sur la circonstance que, durant la période, d'environ un an, qui s'était écoulée depuis cette date jusqu'à celle de la prise d'effet du contrat de concession conclu entre la société Ford-France et la S.A. Automobiles de la Vallée, le concessionnaire Ford de Montargis avait ouvert à Gien un établissement qui lui avait permis de recueillir, au moins en partie, la clientèle de la zone ; qu'il ressort des pièces du dossier que la S.A. Automobiles de la Vallée a, pour la première fois, invoqué cette circonstance, en produisant à l'appui divers documents, dans un mémoire enregistré au greffe de la cour le 27 juin 2002, postérieurement à l'envoi par ce greffe aux parties, le 19 juin 2002, des avis les informant que l'affaire serait examinée à l'audience le 3 juillet 2002, et que communication a été faite au ministre de ce mémoire, par télécopie, le 27 juin 2002, et des documents qui y étaient joints le 2 juillet 2002 ; que dans ces conditions, le ministre est fondé à soutenir que, même s'il a produit, par télécopie, devant la cour, le 28 juin 2002, des observations sommaires en réponse au mémoire qui venait de lui être communiqué, il n'a pas disposé d'un délai suffisant, avant l'audience, pour apporter une contradiction utile à l'argumentation tirée par la société des faits dont elle faisait nouvellement état, et qu'ainsi, l'arrêt attaqué a été rendu à l'issue d'une procédure dont le caractère contradictoire n'a pas été assuré, et qui, de ce fait, a été irrégulière ; que, dès lors, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, l'arrêt attaqué doit être annulé ;

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au fond ;

Considérant, en premier lieu, qu'en excluant du champ d'application du régime défini au I de l'article 44 sexies du code général des impôts les entreprises créées dans le cadre... d'une extension d'activités préexistantes, le législateur a entendu refuser le bénéfice dudit régime aux entreprises qui, eu égard à la similarité ou à la complémentarité de leur objet par rapport à celui d'entreprises antérieurement créées et aux liens de dépendance qui les unissent à ces dernières, sont privées de toute autonomie réelle et constituent de simples émanations de ces entreprises ; que si, comme le fait valoir le ministre, l'activité de concessionnaire exclusif de la marque Ford exercée par la S.A. Automobiles de la Vallée est, de par son objet, complémentaire de celle de ce constructeur, et, de par les stipulations du contrat de concession, étroitement soumise aux exigences de celui-ci en matière de gestion financière et commerciale, il ne résulte pas, en revanche, de l'instruction, et n'est, d'ailleurs, pas allégué par le ministre, qu'il ait existé entre eux des liens, autres que celui né du contrat, de nature à caractériser que la S.A. Automobiles de la Vallée n'ait été, lors de sa création, qu'une simple émanation de la société Ford-France ; que le ministre n'est, dès lors, pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement dont il fait appel, le tribunal administratif a jugé que la S.A. Automobiles de la Vallée ne pouvait pas être regardée comme ayant été créée dans le cadre d'une extension des activités préexistantes de la société Ford-France ;

Considérant, en second lieu, qu'aux fins d'établir, ainsi qu'il est recevable à le faire à tout moment de la procédure contentieuse, que les impositions litigieuses étaient légalement fondées pour un motif autre que celui initialement invoqué par l'administration, le ministre soutient en outre, en appel, que la S.A. Automobiles de la Vallée doit être regardée comme ayant été créée pour reprendre une activité préexistante, au sens du III précité de l'article 44 sexies du code général des impôts ;

Mais considérant que, d'une part, eu égard au délai, de plus d'une année, qui s'est écoulé entre la cessation d'activité d'un précédent concessionnaire et la réattribution par la société Ford-France d'une concession exclusive de la marque Ford à la S.A. Automobiles de la Vallée, dans la zone géographique ayant pour centre Gien, l'octroi de cette concession n'a pas entraîné le transfert à la S.A. Automobiles de la Vallée de la clientèle-même de l'ancien concessionnaire, et que, n'ayant repris aucun des moyens d'exploitation de ce dernier, ladite société ne peut être regardée comme ayant repris son activité ; que, d'autre part, la circonstance que, durant la même période, la société Ford-France a pu, bien que ne disposant pas de concessionnaire dans la zone géographique, continuer de vendre des véhicules Ford à des clients de cette zone acquis à la marque ne peut suffire, alors que les opérations accomplies par un concessionnaire, de vente directe aux clients, d'entretien et de réparation des véhicules de la marque, n'étaient pas effectuées par le constructeur, à caractériser une reprise d'une activité préexistante de ce dernier par la S.A. Automobiles de la Vallée ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont accordé à la S.A. Automobiles de la Vallée la décharge des cotisations d'impôt sur les sociétés litigieuses ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, par application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de condamner l'Etat à verser à la S.A. Automobiles de la Vallée, en remboursement des frais par elle exposés et non compris dans les dépens, la somme de 3 000 euros ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 31 juillet 2002 est annulé.

Article 2 : Le recours présenté devant la cour administrative d'appel de Nantes par le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE est rejeté.

Article 3 : L'Etat versera à la S.A. Automobiles de la Vallée, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 3 000 euros.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE et à la S.A. Automobiles de la Vallée.


Synthèse
Formation : 9eme et 10eme sous-sections reunies
Numéro d'arrêt : 250675
Date de la décision : 12/01/2004
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-04-02-01-01-03 CONTRIBUTIONS ET TAXES - IMPÔTS SUR LES REVENUS ET BÉNÉFICES - REVENUS ET BÉNÉFICES IMPOSABLES - RÈGLES PARTICULIÈRES - BÉNÉFICES INDUSTRIELS ET COMMERCIAUX - PERSONNES ET ACTIVITÉS IMPOSABLES - EXONÉRATION DE CERTAINES ENTREPRISES NOUVELLES (ART 44 BIS ET SUIVANTS DU CGI) - EXCLUSION DES ENTREPRISES CRÉÉES DANS LE CADRE D'UNE REPRISE D'ACTIVITÉS PRÉEXISTANTES (III DE L'ARTICLE 44 SEXIES DU CGI) - NOTION - ABSENCE - CONCESSION EXCLUSIVE DE MARQUE AUTOMOBILE SUR UNE ZONE GÉOGRAPHIQUE DANS LAQUELLE LE CONSTRUCTEUR NE DISPOSAIT PLUS DE CONCESSIONNAIRE EXCLUSIF DEPUIS PLUS D'UNE ANNÉE ET N'ASSURAIT PAS LUI-MÊME LES OPÉRATIONS ACCOMPLIES PAR LE CONCESSIONNAIRE [RJ1].

19-04-02-01-01-03 Eu égard au délai, de plus d'une année, qui s'est écoulé entre la cessation d'activité d'un précédent concessionnaire et la réattribution par le constructeur automobile d'une concession exclusive de sa marque à la société contribuable, dans la zone géographique concernée, l'octroi de cette concession n'a pas entraîné le transfert à cette société de la clientèle-même de l'ancien concessionnaire. N'ayant repris aucun des moyens d'exploitation de ce dernier, la société contribuable ne peut être regardée comme ayant repris son activité. La circonstance que, durant la même période, le constructeur automobile a pu, bien que ne disposant pas de concessionnaire dans la zone géographique, continuer de vendre des véhicules à des clients de cette zone acquis à la marque ne peut suffire, alors que les opérations accomplies par un concessionnaire, de vente directe aux clients, d'entretien et de réparation des véhicules de la marque, n'étaient pas effectuées par le constructeur, à caractériser une reprise d'une activité préexistante de ce dernier par la société contribuable.


Références :

[RJ1]

Cf. 13 décembre 2002, Ministre de l'économie, des finances et de l'industrie c/ S.A. Garage Paty Automobiles, n° 224713, à publier ;

Cf. sol. contr. 1er juin 2001, Ministre de l'économie, des finances et de l'industrie c/ Société Auto-Leader, T. p. 926.


Publications
Proposition de citation : CE, 12 jan. 2004, n° 250675
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Stirn
Rapporteur ?: M. Daniel Fabre
Rapporteur public ?: M. Goulard
Avocat(s) : SCP VIER, BARTHELEMY

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2004:250675.20040112
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