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21/01/2004 | FRANCE | N°254645

France | France, Conseil d'État, Assemblee, 21 janvier 2004, 254645


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 28 février et 4 avril 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés par Mme Gabrielle X, demeurant ... ; Mme X demande que le Conseil d'Etat :

1°) annule pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet résultant du silence gardé pendant plus de deux mois par le Premier ministre sur sa demande du 24 décembre 2002 tendant au redécoupage des cantons des Saintes-Maries de la Mer, de Port Saint-Louis, d'Istres Sud, de Saint-Rémy de Provence et de Tarascon dans le département des Bouch

es-du-Rhône ;

2°) enjoigne au Premier ministre de procéder à ce redéc...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 28 février et 4 avril 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés par Mme Gabrielle X, demeurant ... ; Mme X demande que le Conseil d'Etat :

1°) annule pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet résultant du silence gardé pendant plus de deux mois par le Premier ministre sur sa demande du 24 décembre 2002 tendant au redécoupage des cantons des Saintes-Maries de la Mer, de Port Saint-Louis, d'Istres Sud, de Saint-Rémy de Provence et de Tarascon dans le département des Bouches-du-Rhône ;

2°) enjoigne au Premier ministre de procéder à ce redécoupage ;

3°) condamne l'Etat à lui verser la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Salesse, Maître des Requêtes,

- les conclusions de Mme Boissard, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que le Premier ministre, saisi, sur le fondement du principe d'égalité des citoyens devant le suffrage, d'une demande de remodelage de circonscriptions cantonales d'un département, est tenu d'y faire droit si une transformation profonde de la répartition de la population de ce département a conduit à des écarts de population manifestement excessifs entre ces cantons et sous réserve que des motifs d'intérêt général ne justifient pas le maintien du découpage existant ;

Considérant que les deux cantons des Saintes-Maries de la Mer et de Port Saint-Louis comptent respectivement, selon le recensement de 1999, 2 478 et 8 121 habitants ; que la moyenne départementale de la population par canton dans les Bouches-du-Rhône était, à la date de la décision attaquée, de 34 636 ; que dans la partie du département voisine de ces deux cantons, qu'il y a lieu de retenir comme élément de comparaison et qui correspond en l'espèce à l'arrondissement d'Arles, les autres cantons ont une population comprise entre 15 255 habitants pour Saint-Rémy de Provence et 40 567 habitants pour Arles-Est ; que ces écarts entre la population des cantons des Saintes-Maries de la Mer et de Port Saint-Louis et tant la moyenne départementale que la population des cantons voisins sont manifestement excessifs ; que si l'écart à la population moyenne départementale n'a pas significativement augmenté depuis la loi du 10 août 1871 relative aux conseils généraux pour le canton des Saintes-Maries de la Mer et depuis 1932, date de sa création, pour le canton de Port Saint-Louis, en revanche, pendant les mêmes périodes, l'écart entre la population de ces deux cantons, les moins peuplés, et la population du canton d'Arles-Est, le plus peuplé de l'arrondissement d'Arles, a doublé, passant de plus de 15 000 à plus de 30 000 habitants ; que les raisons d'intérêt général invoquées par le ministre de l'intérieur et tirées des caractéristiques spécifiques de la Camargue, ne font pas obstacle à ce qu'il soit procédé à un nouveau découpage tenant compte des nécessités de représentation de la Camargue mais plus conforme au principe de l'égalité du suffrage ; qu'ainsi le refus de remodeler une partie du département englobant les deux cantons des Saintes-Maries de la Mer et de Port Saint-Louis est entaché d'excès de pouvoir ;

Considérant en revanche que dans le même arrondissement la population des cantons de Tarascon et de Saint-Rémy de Provence, qui est respectivement, selon le recensement de 1999, de 16 879 et 15 255 habitants, ne présente pas un écart manifestement excessif par rapport à celle des autres cantons de cette partie du département ni par rapport à la moyenne départementale ; qu'il en va de même, dans l'arrondissement d'Istres, du canton le plus peuplé, celui d'Istres-Sud, qui compte 48 625 habitants ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme X n'est fondée à soutenir que la décision implicite qu'elle attaque est entachée d'excès de pouvoir qu'en tant qu'elle s'oppose à un nouveau découpage d'une partie du département englobant les cantons des Saintes-Maries de la Mer et de Port Saint-Louis ;

Sur les conclusions à fins d'injonction :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ; que l'annulation de la décision du Premier ministre refusant de prendre un décret de remodelage cantonal relatif à une partie du département englobant les cantons des Saintes-Maries de la Mer et de Port Saint-Louis, implique l'édiction d'une telle mesure ; que toutefois aux termes de l'article 7 de la loi du 11 décembre 1990 : il ne peut être procédé à aucun redécoupage des circonscriptions électorales dans l'année précédant l'échéance normale de renouvellement des assemblées concernées ; qu'il y a lieu, dès lors, pour le Conseil d'Etat d'enjoindre au Premier ministre de prendre un tel décret postérieurement au renouvellement des conseils généraux de mars 2004 ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner l'Etat à payer à Mme X la somme que demande celle-ci au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La décision implicite du Premier ministre née du silence gardé pendant plus de deux mois sur la demande du 24 décembre 2002 de Mme X est annulée en tant qu'elle refuse qu'il soit procédé à un nouveau découpage d'une partie du département englobant les cantons des Saintes-Maries de la Mer et de Port Saint-Louis.

Article 2 : Il est enjoint au Premier ministre de prendre postérieurement au renouvellement des conseils généraux de mars 2004 un décret procédant à un nouveau découpage d'une partie du département englobant les cantons des Saintes-Maries de la Mer et de Port Saint-Louis.

Article 3 : L'Etat versera à Mme X une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de Mme X est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme Gabrielle X, au Premier ministre et au ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.


Synthèse
Formation : Assemblee
Numéro d'arrêt : 254645
Date de la décision : 21/01/2004
Sens de l'arrêt : Satisfaction partielle
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

ÉLECTIONS - ÉLECTIONS AU CONSEIL GÉNÉRAL - OPÉRATIONS PRÉLIMINAIRES À L'ÉLECTION - REMODELAGE DES CIRCONSCRIPTIONS CANTONALES - APPLICATION DU PRINCIPE D'ÉGALITÉ DES CITOYENS DEVANT LE SUFFRAGE - REFUS DU PREMIER MINISTRE DE FAIRE DROIT À UNE DEMANDE DE REMODELAGE DE CIRCONSCRIPTIONS CANTONALES - A) LÉGALITÉ - CONDITIONS - ABSENCE DE TRANSFORMATION PROFONDE DANS LA RÉPARTITION DE LA POPULATION CONDUISANT À DES ÉCARTS MANIFESTEMENT EXCESSIFS ENTRE CANTONS OU EXISTENCE DE MOTIFS D'INTÉRÊT GÉNÉRAL JUSTIFIANT LE MAINTIEN DU DÉCOUPAGE EXISTANT [RJ1] - B) EXISTENCE D'ÉCARTS DE POPULATION MANIFESTEMENT EXCESSIFS ENTRE CANTONS - APPRÉCIATION PAR RAPPORT À LA MOYENNE DE LA POPULATION CANTONALE DANS LE DÉPARTEMENT ET À LA POPULATION DES AUTRES CANTONS DE LA MÊME PARTIE DU DÉPARTEMENT - C) ANNULATION - CONSÉQUENCE - INJONCTION FAITE AU PREMIER MINISTRE DE PRENDRE UN DÉCRET PROCÉDANT À UN NOUVEAU DÉCOUPAGE - DANS DES DÉLAIS COMPATIBLES AVEC LES PRESCRIPTIONS DE L'ARTICLE 7 DE LA LOI DU 11 DÉCEMBRE 1990.

28-03-01-01 a) Le Premier ministre, saisi, sur le fondement du principe d'égalité des citoyens devant le suffrage, d'une demande de remodelage de circonscriptions cantonales d'un département, est tenu d'y faire droit si une transformation profonde de la répartition de la population de ce département a conduit à des écarts de population manifestement excessifs entre ces cantons et sous réserve que des motifs d'intérêt général ne justifient pas le maintien du découpage existant.,,b) Le Conseil d'Etat apprécie s'il existe des écarts de population manifestement excessifs entre cantons en se référant, d'une part, à la moyenne de la population cantonale dans le département et, d'autre part, à la population des autres cantons de la partie du département voisine de ceux dont le remodelage est demandé.,,c) L'annulation de la décision du Premier ministre refusant de prendre un décret de remodelage cantonal implique l'édiction d'une telle mesure. Saisi de conclusions en ce sens, le Conseil d'Etat enjoint au Premier ministre de prendre un décret procédant à un nouveau découpage de la partie du département englobant les cantons dont le remodelage était demandé, dans des délais compatibles avec les prescriptions de l'article 7 de la loi du 11 décembre 1990, qui interdit de procéder à aucun redécoupage des circonscriptions électorales dans l'année précédant l'échéance normale de renouvellement des assemblées concernées.

PROCÉDURE - JUGEMENTS - EXÉCUTION DES JUGEMENTS - PRESCRIPTION D'UNE MESURE D'EXÉCUTION - EXISTENCE - ANNULATION DU REFUS DU PREMIER MINISTRE DE FAIRE DROIT À UNE DEMANDE DE REMODELAGE DE CIRCONSCRIPTIONS CANTONALES - INJONCTION FAITE AU PREMIER MINISTRE DE PRENDRE UN DÉCRET PROCÉDANT À UN NOUVEAU DÉCOUPAGE - DANS DES DÉLAIS COMPATIBLES AVEC LES PRESCRIPTIONS DE L'ARTICLE 7 DE LA LOI DU 11 DÉCEMBRE 1990.

54-06-07-008 L'annulation de la décision du Premier ministre refusant de prendre un décret de remodelage cantonal implique l'édiction d'une telle mesure. Saisi de conclusions en ce sens, le Conseil d'Etat enjoint au Premier ministre de prendre un décret procédant à un nouveau découpage de la partie du département englobant les cantons dont le remodelage était demandé, dans des délais compatibles avec les prescriptions de l'article 7 de la loi du 11 décembre 1990, qui interdit de procéder à aucun redécoupage des circonscriptions électorales dans l'année précédant l'échéance normale de renouvellement des assemblées concernées.


Références :

[RJ1]

Rappr. Assemblée, 13 novembre 1998 (quatre décisions), Commune d'Armoy et autres, p. 395 ;

Le Déaut et autres, p. 396 ;

Amalric, p. 397; Commune de Saint-Louis et département de la Réunion, p. 398 ;

6 janvier 1999, Lavaurs, p. 1.


Publications
Proposition de citation : CE, 21 jan. 2004, n° 254645
Publié au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Denoix de Saint Marc
Rapporteur ?: M. Yves Salesse
Rapporteur public ?: Mme Boissard

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2004:254645.20040121
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