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09/02/2004 | FRANCE | N°223121

France | France, Conseil d'État, 2eme et 7eme sous-sections reunies, 09 février 2004, 223121


Vu la requête, enregistrée le 17 juillet 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par l'ASSOCIATION MANCHE-NATURE, dont le siège est 5, rue Paul-le-Tarouilly, à Coutances (50200) ; l'ASSOCIATION MANCHE-NATURE demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le décret du 18 mai 2000 déclarant d'utilité publique les travaux d'aménagement à 2 x 2 voies de la RN 174 sur les tronçons Villeneuve - Fumichon et Pont-Hébert (lieudit La Porte Verte) - RN 13 dans le département de la Manche, conférant le caractère de route express aux sections A 84 - Fumichon et P

ont-Hébert - RN 13 et mettant en compatibilité les plans d'occupation d...

Vu la requête, enregistrée le 17 juillet 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par l'ASSOCIATION MANCHE-NATURE, dont le siège est 5, rue Paul-le-Tarouilly, à Coutances (50200) ; l'ASSOCIATION MANCHE-NATURE demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le décret du 18 mai 2000 déclarant d'utilité publique les travaux d'aménagement à 2 x 2 voies de la RN 174 sur les tronçons Villeneuve - Fumichon et Pont-Hébert (lieudit La Porte Verte) - RN 13 dans le département de la Manche, conférant le caractère de route express aux sections A 84 - Fumichon et Pont-Hébert - RN 13 et mettant en compatibilité les plans d'occupation des sols des communes de Condé-sur-Vire, Baudre, Saint-Lô et Les Veys ;

2°) de condamner l'Etat à lui payer la somme de 10 000 F (1 524,49 euros) en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la directive n° 85/337/CEE du Conseil, du 27 juin 1985, concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement, dans sa rédaction issue de la directive n° 97/11/CE du Conseil, du 3 mars 1997 ;

Vu la directive n° 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, relative à la conservation des habitats naturels, de la faune et de la flore sauvages ;

Vu le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;

Vu le code de l'urbanisme ;

Vu le décret n° 77-1141 du 12 octobre 1977, modifié ;

Vu le décret n° 84-617 du 17 juillet 1984, modifié ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme von Coester, Auditeur,

- les conclusions de Mme Prada Bordenave, Commissaire du gouvernement ;

Sur l'intervention de l'association Tronçon Villeneuve-Fumichon :

Considérant que l'association Tronçon Villeneuve-Fumichon a intérêt à l'annulation de la décision attaquée ; que, par suite, son intervention est recevable ;

Sur la légalité externe du décret attaqué :

Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 4 du décret du 17 juillet 1984 pris pour l'application de l'article 14 de la loi du 30 décembre 1982 relative aux grands projets d'infrastructures, aux grands choix technologiques et aux schémas directeurs d'infrastructures en matière de transports intérieurs : L'évaluation des grands projets d'infrastructures comporte : 1° Une analyse des conditions et des coûts de construction, d'entretien, d'exploitation et de renouvellement de l'infrastructure projetée ; / 2° Une analyse des conditions de financement et, chaque fois que cela est possible, une estimation du taux de rentabilité financière ; / 3° Les motifs pour lesquels, parmi les partis envisagés par le maître d'ouvrage, le projet présenté a été retenu ; / 4° Une analyse des incidences de ce choix sur les équipements de transport existants ou en cours de réalisation, ainsi que sur leurs conditions d'exploitation, et un exposé sur sa compatibilité avec les schémas directeurs d'infrastructures applicables ; / 5° Le cas échéant, l'avis prévu à l'article 18. / L'évaluation des grands projets d'infrastructures comporte également une analyse des différentes données de nature à permettre de dégager un bilan prévisionnel, tant des avantages et inconvénients entraînés, directement ou non, par la mise en service de ces infrastructures dans les zones intéressées que des avantages et inconvénients résultant de leur utilisation par les usagers. Ce bilan comporte l'estimation d'un taux de rentabilité pour la collectivité calculée selon les usages des travaux de planification. Il tient compte des prévisions à court et à long terme qui sont faites, au niveau national ou international, dans les domaines qui touchent aux transports, ainsi que des éléments qui ne sont pas inclus dans le coût du transport, tels que la sécurité des personnes, l'utilisation rationnelle de l'énergie, le développement économique et l'aménagement des espaces urbain et rural. Il est établi sur la base de grandeurs physiques et monétaires ; ces grandeurs peuvent ou non faire l'objet de comptes séparés. / Les diverses variantes envisagées par le maître d'ouvrage d'un projet font l'objet d'évaluations particulières selon les mêmes critères. L'évaluation indique les motifs pour lesquels le projet présenté a été retenu ; qu'en l'espèce, le dossier d'enquête préalable à la déclaration d'utilité publique comportait une analyse des conditions et des coûts de construction de l'infrastructure projetée, les motifs pour lesquels le projet avait été retenu parmi les différents partis envisagés, une analyse détaillée des incidences de ce choix sur les équipements de transports existants ainsi que des données nécessaires à l'appréciation des avantages et des inconvénients entraînés par la mise en service et l'utilisation du projet et, pour chaque tronçon, une évaluation du taux de rentabilité économique prenant en compte l'ensemble des coûts induits ; que si le dossier ne précisait pas les coûts d'entretien, d'exploitation et de renouvellement de l'infrastructure projetée, ni les conditions de son financement, de telles omissions n'ont pas, eu égard à la nature et à l'importance de la construction projetée ainsi qu'à son financement dans le cadre d'un contrat de plan Etat-région, privé le public de données essentielles à l'appréciation de l'intérêt et des conséquences du projet ; qu'en outre, le moyen tiré de ce que les variantes envisagées n'auraient pas fait l'objet d'une évaluation distincte manque en fait ; que, dès lors, l'association requérante n'est pas fondée à soutenir que le dossier d'enquête publique n'aurait pas répondu aux exigences de l'article 4 du décret du 17 juillet 1984 ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 2 du décret du 12 octobre 1977 pris pour l'application de l'article 2 de la loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature : Le contenu de l'étude d'impact doit être en relation avec l'importance des travaux et aménagements projetés et avec leurs incidences prévisibles sur l'environnement. / L'étude d'impact présente successivement : 1° Une analyse de l'état initial du site et de son environnement (...) / 2° Une analyse des effets directs et indirects, temporaires et permanents du projet sur l'environnement, et en particulier sur la faune et la flore, les sites et paysages, le sol, l'eau, l'air, le climat, les milieux naturels et les équilibres biologiques, sur la protection des biens et du patrimoine culturel et, le cas échéant, sur la commodité du voisinage (bruits, vibrations, odeurs, émissions lumineuses) ou sur l'hygiène, la santé, la sécurité et la salubrité publique ; / 3° Les raisons pour lesquelles, notamment du point de vue des préoccupations d'environnement, parmi les partis envisagés qui feront l'objet d'une description, le projet présenté a été retenu ; / 4° Les mesures envisagées par le maître de l'ouvrage ou le pétitionnaire pour supprimer, réduire et, si possible, compenser les conséquences dommageables du projet sur l'environnement et la santé ainsi que l'estimation des dépenses correspondantes ; / 5° Une analyse des méthodes utilisées pour évaluer les effets du projet sur l'environnement mentionnant les difficultés éventuelles de nature technique ou scientifique rencontrées pour établir cette évaluation. / 6° Pour les infrastructures de transport, l'étude d'impact comprend en outre une analyse des coûts collectifs des pollutions et nuisances et des avantages induits pour la collectivité ainsi qu'une évaluation des consommations énergétiques résultant de l'exploitation du projet, notamment du fait des déplacements qu'elle entraîne ou permet d'éviter. / Afin de faciliter la prise de connaissance par le public des informations contenues dans l'étude, celle-ci fera l'objet d'un résumé non technique. / Lorsque la totalité des travaux prévus au programme est réalisée de manière simultanée, l'étude d'impact doit porter sur l'ensemble du programme. Lorsque la réalisation est échelonnée dans le temps, l'étude d'impact de chacune des phases de l'opération doit comporter une appréciation des impacts de l'ensemble du programme ; qu'en l'espèce, l'étude d'impact comporte une analyse détaillée de l'état initial du site et de l'impact du projet sur l'environnement, notamment sur la qualité de l'air et sur le climat ; qu'en ce qui concerne la faune et la flore, cette étude prend en compte l'ensemble des données disponibles sur les espèces les plus remarquables et présente des propositions de mesures compensatoires ; que les données exposées en matière de mesures compensatoires, de coûts collectifs et de consommations énergétiques sont suffisantes ; qu'ainsi, les dispositions précitées n'ont pas été méconnues ; que, par ailleurs, si l'aménagement projeté traverse des sites d'intérêt communautaire retenus pour figurer dans le programme Natura 2000 , aucune disposition n'imposait que cette circonstance fût mentionnée dans l'étude d'impact ;

Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article R. 11-14-14 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique : A l'expiration du délai d'enquête, (...) le commissaire enquêteur ou la commission d'enquête examine les observations consignées ou annexées aux registres d'enquêtes. (...) Le commissaire enquêteur ou la commission d'enquête établit un rapport qui relate le déroulement de l'enquête et rédige des conclusions motivées, en précisant si elles sont favorables ou non à la déclaration d'utilité publique de l'opération ; qu'il ressort des pièces du dossier que, dans ses rapports sur le projet de déclaration d'utilité publique, de classement en route express des sections A 84 - Fumichon et Pont-Hébert - RN 13, de mise en compatibilité des plans d'occupation des sols des communes de Condé-sur-Vire, Baudre, Saint-Lô et Les Veys et de domanialité future des voies concernées par cet aménagement, la commission d'enquête, qui n'était pas tenue de répondre à chacune des observations présentées lors de l'enquête, a récapitulé les réclamations consignées sur les registres d'enquête publique, formulé un avis sur les questions soulevées par ces réclamations et émis un avis suffisamment motivé au regard des observations recueillies ; qu'ainsi, l'association requérante n'est pas fondée à soutenir que les rapports et avis de la commission d'enquête auraient méconnu les exigences de l'article R. 11-14-14 précité ;

Considérant, en quatrième lieu, que si, à la suite de la modification introduite par l'article 1er de la directive du 3 mars 1997, le 1. de l'article 9 de la directive n° 85-337/CE du Conseil dispose que : Lorsqu'une décision d'octroi ou de refus d'autorisation a été prise, la ou les autorités compétentes en informent le public selon les modalités appropriées et mettent à sa disposition les informations suivantes : (...) - les motifs et considérations principaux qui ont fondé la décision (...) , ces dispositions, qui exigent que l'auteur de la décision, une fois cette dernière prise, porte à la connaissance du public une information supplémentaire explicitant les motifs et les considérations qui l'ont fondée, ne sauraient être interprétées comme imposant une motivation en la forme de la décision qui serait une condition de légalité de cette dernière ; que le moyen tiré de ce que, faute d'avoir été modifié, dans le délai de transposition de la directive qui expirait le 14 mars 1999, pour prévoir une telle obligation de motivation des actes déclaratifs d'utilité publique entrant dans le champ de cette directive, le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique sur le fondement duquel a été pris le décret attaqué serait devenu incompatible avec les objectifs de la directive précitée, ne peut, par suite, être accueilli ;

Considérant, en cinquième lieu, que la légalité d'une décision s'apprécie à la date à laquelle elle a été prise ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que certains riverains actuels, n'habitant pas aux abords de la RN 174 à la date du décret attaqué, n'ont pas pu être consultés ne saurait être accueilli ;

Sur la légalité interne du décret attaqué :

Considérant qu'une opération ne peut être légalement déclarée d'utilité publique que si les atteintes à la propriété privée, le coût financier et éventuellement les inconvénients d'ordre social ou l'atteinte à l'environnement et à d'autres intérêts publics qu'elle comporte ne sont pas excessifs eu égard à l'intérêt qu'elle présente ; qu'il ressort des pièces du dossier que le projet d'aménagement de la RN 174 à 2 x 2 voies sur les tronçons concernés par le décret attaqué, en lui conférant le statut de voie express, permettra, d'une part, d'accroître la sécurité des déplacements routiers sur cet axe et, d'autre part, de désenclaver le port de Cherbourg et les pôles économiques du nord Cotentin, tout en améliorant la desserte locale de l'agglomération de Saint-Lô ; que, si l'association requérante soutient que l'ouvrage projeté, d'un coût excessif, ne serait pas indispensable au vu du faible trafic sur la RN 174 et aurait des conséquences dommageables sur la qualité de vie des riverains et sur l'environnement, notamment en portant atteinte à des sites retenus pour figurer dans le programme Natura 2000 , il ressort des pièces du dossier qu'eu égard tant à l'intérêt de l'opération pour la desserte régionale au vu des projections à l'horizon 2015 qu'aux précautions prises pour la préservation de l'environnement et la protection des sites traversés par le projet, le coût du projet, comparable à celui d'autres opérations similaires, ainsi que ses inconvénients ne sauraient être regardés comme excessifs et ne sont, dès lors, pas de nature à lui retirer son caractère d'utilité publique ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'association requérante n'est pas fondée à demander l'annulation du décret attaqué ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, soit condamné à verser à l'ASSOCIATION MANCHE-NATURE la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'intervention de l'association Tronçon Villeneuve-Fumichon est admise.

Article 2 : La requête de l'ASSOCIATION MANCHE-NATURE est rejetée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'ASSOCIATION MANCHE-NATURE, à l'association Tronçon Villeneuve-Fumichon , au Premier ministre et au ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer.


Synthèse
Formation : 2eme et 7eme sous-sections reunies
Numéro d'arrêt : 223121
Date de la décision : 09/02/2004
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 09 fév. 2004, n° 223121
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Honorat
Rapporteur ?: Mme von Coester
Rapporteur public ?: Mme Prada Bordenave

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2004:223121.20040209
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