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08/03/2004 | FRANCE | N°224953

France | France, Conseil d'État, 3eme et 8eme sous-sections reunies, 08 mars 2004, 224953


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 13 septembre 2000 et 15 janvier 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la VILLE DE MARSEILLE, représentée par son maire en exercice ; la VILLE DE MARSEILLE demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt en date du 27 juin 2000 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a, d'une part, rejeté ses conclusions tendant à l'annulation du jugement n° 944466 du 11 février 1999 par lequel le tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du 17 janvier 1994 de so

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Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 13 septembre 2000 et 15 janvier 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la VILLE DE MARSEILLE, représentée par son maire en exercice ; la VILLE DE MARSEILLE demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt en date du 27 juin 2000 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a, d'une part, rejeté ses conclusions tendant à l'annulation du jugement n° 944466 du 11 février 1999 par lequel le tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du 17 janvier 1994 de son maire infligeant la sanction de la mise à la retraite d'office à M. X et prononcé diverses mesures d'injonction et, d'autre part, n'a que très partiellement fait droit à ses conclusions dirigées contre le jugement n° 944205/956956 du 11 février 1999 du même tribunal annulant les décisions implicites par lesquelles le maire de Marseille a rejeté les demandes de réintégration et de reconstitution de carrière présentées par M. X et octroyant diverses indemnités au titre du préjudice moral et du préjudice matériel en se bornant à ramener de 1 160 000 F à 743 416 F la somme que la VILLE DE MARSEILLE a été condamnée à payer à M. X au titre de l'indemnisation de son préjudice matériel ;

2°) d'annuler les jugements du 11 février 1999 du tribunal administratif de Marseille, en tant qu'ils ne font pas droit à ses conclusions ;

3°) de condamner M. X à lui verser une somme de 30 000 F au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Delion, Maître des Requêtes,

- les observations de Me Haas, avocat de la VILLE DE MARSEILLE et de la SCP Parmentier, Didier, avocat de M. Jean X,

- les conclusions de M. Séners, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que par arrêté du 3 août 1984, le maire de Marseille a suspendu M. Jean X de ses fonctions de directeur du service Transports-Ateliers-Magasins après qu'il eut été dénoncé comme ayant participé en 1978 à des manoeuvres dans le cadre des marchés de ramassage des ordures ménagères ; que, par un arrêt du 5 novembre 1987, la chambre d'accusation de la cour d'appel de Dijon a jugé qu'il n'y avait pas lieu à poursuivre M. X en raison de la prescription des faits le concernant ; que, par décision du 3 mai 1995, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé le refus implicite du maire de Marseille de rétablir M. X dans ses fonctions à la suite de ce non-lieu ; que, par arrêté du 26 mars 1990, l'intéressé a été mis à la retraite d'office à compter du 1er janvier 1990 ; que le tribunal administratif de Marseille a annulé cette sanction pour défaut de motivation ; que, par arrêté du 17 janvier 1994, le maire de Marseille a de nouveau mis M. X à la retraite d'office à raison de son implication dans lesdites manoeuvres ; que, par un jugement n° 944205/956956 du 11 février 1999, le tribunal administratif de Marseille a annulé les refus implicites du maire de réintégrer M. X et de reconstituer sa carrière entre le 1er octobre 1984 et le 31 janvier 1994, ordonné qu'il soit procédé à cette reconstitution de carrière, prescrit un supplément d'instruction pour évaluer l'indemnité due au titre du préjudice matériel pour la période du 1er octobre 1984 au 31 décembre 1989, et condamné la ville à verser une somme de 30 000 F pour le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence et une somme de 1 160 000 F pour le préjudice matériel pour la période du 1er janvier 1990 au 31 janvier 1994 ; que, par un autre jugement n° 94-4466 du 11 février 1999, le tribunal administratif de Marseille a annulé l'arrêté du 17 janvier 1994, enjoint à la ville de réintégrer l'intéressé et de reconstituer sa carrière à compter du 1er février 1994, accordé une indemnité de 30 000 F au titre du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence et ordonné un supplément d'instruction pour évaluer l'indemnité due au titre du préjudice matériel à compter du 1er février 1994 ; que la VILLE DE MARSEILLE se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 27 juin 2000 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté les appels qu'elle avait formés contre ces deux jugements ; que M. X forme un pourvoi incident contre le même arrêt, en tant qu'il a limité à 30 000 F le montant de l'indemnité attribuée au titre du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence occasionnés par la sanction dont il a été l'objet ;

Sur le pourvoi principal :

En ce qui concerne la légalité de l'arrêté du 17 janvier 1994 :

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi ;

Considérant que le dossier soumis aux juges du fond comportait l'arrêt du 5 novembre 1997 par lequel, après avoir reconnu la matérialité des faits reprochés à M. X, la chambre d'accusation de la cour d'appel de Dijon a, en raison de la prescription, prononcé un non-lieu ; que figuraient également au dossier le réquisitoire prononcé devant la juridiction d'instruction de Dijon à l'occasion des poursuites pénales dirigées contre M. X, ainsi que plusieurs des pièces recueillies dans le cadre de cette instruction ; que ce réquisitoire relate avec précision les éléments qui ont convaincu le ministère public que M. X a participé, en mai 1978, avec trois complices, à des manoeuvres ayant pour objet de fausser les conditions de la réattribution des marchés municipaux relatifs au ramassage des ordures ménagères et de prélever sur les entrepreneurs concernés diverses sommes destinées, au moins pour partie, à leur profit personnel ; que, parmi les pièces jointes au dossier de la cour, figurait en premier lieu, la transcription d'une conversation téléphonique tenue le 26 mai 1978, dont M. X avait admis être l'un des interlocuteurs, et de laquelle ressort l'inquiétude de M. X que le principal acteur de ces manoeuvres ne s'approprie la totalité des fonds recueillis, en second lieu la transcription d'une autre conversation téléphonique, tenue le lendemain entre deux des complices de M. X, mentionnant que ce dernier avait récemment perçu une somme de 10 000 F, et, en troisième lieu, une comptabilité occulte tenue par l'un des trois complices de M. X retraçant la répartition faite en mars et avril 1978 du versement effectué par l'un des entrepreneurs susévoqués entre les quatre personnes intéressées, désignées par leurs initiales ; que la cour n'a pu, sans dénaturer la portée de ces pièces, juger qu'elles ne constituaient pas un faisceau concordant d'indices établissant que M. X avait commis les malversations qui lui sont reprochées ; que la VILLE DE MARSEILLE est fondée, pour ce motif, à demander l'annulation de l'arrêt attaqué, en tant qu'il rejette les conclusions de sa requête, dirigée contre le second des jugements du 11 février 1999 ;

En ce qui concerne l'indemnisation des préjudices matériels pour la période du 13 juin 1984 au 31 janvier 1994 :

Considérant qu'il résulte de la décision du 3 mai 1995 du Conseil d'Etat, statuant au contentieux que le rejet implicite par le maire de Marseille de la demande présentée par M. X le 9 février 1988 pour être rétabli dans ses fonctions à la suite du non-lieu judiciaire est entachée d'illégalité, l'extinction des poursuites pénales faisant obstacle au maintien de la suspension ; qu'il suit de là que la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit en estimant que M. X avait droit à être indemnisé pour le préjudice matériel occasionné, jusqu'au 31 décembre 1989, par le refus illégal de mettre un terme à cette suspension ;

Considérant, en revanche, qu'il résulte de ce qui a été dit précédemment, qu'en se fondant, pour accorder à M. X une indemnité au titre du préjudice matériel pour la période du 1er janvier 1990 au 31 janvier 1994, sur ce que la mise à la retraite d'office du 26 mars 1990 était injustifiée , la cour administrative d'appel a dénaturé les pièces du dossier ; que la ville est fondée, pour ce motif, à demander l'annulation de l'arrêt attaqué, en tant qu'il rejette les conclusions de sa requête n° 99MA00728, dirigée contre le premier des jugements du 11 février 1999, en tant que celui-ci prévoit d'indemniser M. X au titre du préjudice matériel pour la période postérieure au 1er janvier 1990 ;

En ce qui concerne la réintégration et la reconstitution de carrière de M. X du 13 juin 1984 au 1er janvier 1990 :

Considérant que, devant les juges du fond, la ville a soutenu qu'à la date à laquelle elle a rejeté implicitement la demande de réintégration et de reconstitution de carrière de M. X du 2 février 1994, elle était en possession d'un jugement du tribunal administratif qui avait rejeté les conclusions dirigées contre la mesure de suspension du 3 août 1984 ; qu'en relevant que M. X avait renouvelé sa demande de réintégration le 2 juin 1995, après que le Conseil d'Etat, statuant au contentieux avait jugé, le 3 mai 1995, qu'il aurait dû être rétabli dans ses fonctions le 1er octobre 1984, la cour, saisie d'écritures de l'intéressé mentionnant ses demandes de réintégration des 2 février 1994 et 2 juin 1995, s'est bornée à répondre à l'argumentation de la ville et n'a donc pas soulevé un moyen d'office ; qu'en statuant ainsi, elle n'a pas méconnu le principe en vertu duquel la légalité d'une décision doit s'apprécier compte tenu des circonstances de droit ou de fait au moment où elle a été prise et n'a donc pas commis d'erreur de droit ; que, par suite, la ville n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué, en tant qu'il statue sur la demande de réintégration et de reconstitution de carrière de M. X pour la période du 13 juin 1984 au 1er janvier 1990 ;

Sur le pourvoi incident de M. X :

Considérant que le pourvoi incident de M. X est fondé sur la dénaturation des faits qu'aurait commise la cour en sous-estimant la gravité des atteintes causées à son honneur par les accusations de malversation portées contre lui ; qu'il résulte toutefois de ce qui a été dit ci-dessus que le refus de la cour de réévaluer l'indemnisation du préjudice moral de M. X au-delà des 30 000 F fixés par le tribunal n'est pas entaché de la dénaturation invoquée ; que par suite le pourvoi incident de M. X doit être rejeté ;

Considérant qu'il y a lieu, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative de régler l'affaire au fond, dans la mesure de l'annulation par la présente décision de l'arrêt du 27 juin 2000 de la cour administrative d'appel de Marseille ;

Sur les conclusions d'appel de la VILLE DE MARSEILLE et les conclusions incidentes de M. X dirigées contre le jugement n° 944466 du 11 février 1999 du tribunal administratif de Marseille :

Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que la VILLE DE MARSEILLE est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 11 février 1999 attaqué le tribunal administratif de Marseille a estimé que la matérialité des faits reprochés à l'intéressé n'était pas établie ;

Considérant qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le conseil de discipline et le conseil de discipline de recours appelés à statuer sur le cas de l'intéressé se sont fondés sur des faits exacts ;

Considérant que la motivation de la sanction litigieuse n'est entachée d'aucune insuffisance ; qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que les motifs sur lesquels est fondée cette décision ne sont pas entachés d'inexactitude matérielles ou d'erreurs de fait ;

Considérant enfin qu'eu égard à la gravité des manquements à la probité dont s'est rendu coupable l'intéressé, le maire de Marseille n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en infligeant à M. X la sanction de la mise à la retraite d'office ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la VILLE DE MARSEILLE est fondée à demander l'annulation du jugement du 11 février 1999 en tant qu'il a annulé l'arrêté du 17 janvier 1994, accordé des indemnités à M. X, prescrit des mesures d'instruction et prononcé diverses injonctions ;

Sur les conclusions d'appel de la commune dirigées contre le jugement n° 944205/956956 du 11 février 1999 du tribunal administratif de Marseille :

Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit plus haut que la première sanction de mise à la retraite d'office en date du 26 mars 1990, qui avait le même objet que celle du 17 janvier 1994, était elle-même justifiée au fond ; que, dans les circonstances de l'espèce, la VILLE DE MARSEILLE est par suite fondée à demander l'annulation du jugement susmentionné, en tant qu'il accorde une indemnité à M. X au titre du préjudice matériel pour la période du 1er janvier 1990 au 31 janvier 1994 ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, en application de ces dispositions de mettre à la charge de M. X au bénéfice de la VILLE DE MARSEILLE une somme de 5 000 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; que ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de M. Moullet présentées sur le même fondement ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt du 27 juin 2000 de la cour administrative d'appel de Marseille, en tant qu'il rejette, d'une part, les conclusions de la VILLE DE MARSEILLE présentées dans la requête n° 99MA00727 et, d'autre part, celles présentées dans la requête n° 99MA00728 et relatives à l'indemnisation de M. X au titre du préjudice matériel pour la période allant du 1er janvier 1990 au 31 janvier 1994, ainsi que les articles 1 à 7 du jugement n° 944466 du 11 février 1999 du tribunal administratif de Marseille et les articles 5 et 7 (en tant qu'il est relatif à cet article 5) du jugement n° 944205/956956 du 11 février 1999 du même tribunal administratif sont annulés.

Article 2 : M. X versera à la VILLE DE MARSEILLE une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions principales et incidentes présentées par la VILLE DE MARSEILLE et M. X devant le Conseil d'Etat et la cour administrative d'appel de Marseille et les conclusions de ce dernier tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la VILLE DE MARSEILLE, à M. Jean X et au ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.


Synthèse
Formation : 3eme et 8eme sous-sections reunies
Numéro d'arrêt : 224953
Date de la décision : 08/03/2004
Sens de l'arrêt : Satisfaction partielle
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 08 mar. 2004, n° 224953
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Stirn
Rapporteur ?: M. Delion
Rapporteur public ?: M. Séners
Avocat(s) : GUINARD

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2004:224953.20040308
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