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17/03/2004 | FRANCE | N°264910

France | France, Conseil d'État, Juge des referes, 17 mars 2004, 264910


Vu la requête, enregistrée le 23 février 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la société TEVA CLASSICS, dont le siège est Immeuble Palatin 1, 1 cours du Triangle à La Défense Cedex (92936) ; elle demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) de suspendre, au titre de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, l'exécution de la décision implicite de l'agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (A.F.S.S.A.P.S.) rejetant son recours gracieux contre une décision du 26 août 2003 lui refusant la délivra

nce de l'autorisation de mise sur le marché de sa spécialité pharmaceutique a...

Vu la requête, enregistrée le 23 février 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la société TEVA CLASSICS, dont le siège est Immeuble Palatin 1, 1 cours du Triangle à La Défense Cedex (92936) ; elle demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) de suspendre, au titre de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, l'exécution de la décision implicite de l'agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (A.F.S.S.A.P.S.) rejetant son recours gracieux contre une décision du 26 août 2003 lui refusant la délivrance de l'autorisation de mise sur le marché de sa spécialité pharmaceutique amoxicilline / acide clavulanique TEVA 500 mg / 62,5 mg, comprimés pelliculés (ratio 8/1) ;

2°) d'enjoindre à l'AFSSAPS de lui délivrer l'autorisation de mise sur le marché sollicitée, ou à titre subsidiaire, de procéder à une nouvelle l'instruction de sa demande, dans un délais d'un mois à compter de la notification de l'ordonnance, sous astreinte de 1500 euros par jours de retard ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 6000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

elle soutient que le préjudice financier imputable à la décision litigieuse présente un caractère suffisamment grave et immédiat pour que la condition d'urgence soit regardée comme remplie ; qu'aucun impératif de santé publique ne justifie l'exécution de la décision contestée ; qu'il existe, en l'état de l'instruction, plusieurs moyens susceptibles de créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée ; que cette dernière méconnaît les dispositions de l'article R. 5140 du code de la santé publique qui prévoit la consultation préalable de la commission d'autorisation de mise sur le marché en cas de recours gracieux ; qu'elle est fondée sur des motifs tirés du non respect de la procédure abrégée prévue à l'article R. 5133-I-c 1°, 2° ou 3° du code de la santé publique alors que la demande d'autorisation de mise sur le marché présentée par la société TEVA Classics s'appuie sur la procédure abrégée hybride prévue au dernier alinéa de l'article R. 5133-I-c- 3° de ce même code ; que cette dernière procédure permet d'autoriser la mise sur le marché d'une spécialité pharmaceutique à la double condition qu'elle présente une similarité essentielle avec une autre spécialité autorisée et commercialisée en France depuis au moins dix ans et, qu'en cas de similarité non essentielle , la bioéquivalence des deux produits soit démontrée par des études appropriées ; que l'amoxicilline / acide clavulanique TEVA 500 mg / 62,5 mg, comprimés pelliculés (rapport 8/1) est essentiellement similaire à l'augmentin 500 mg / 62,5 mg, adultes, comprimés pelliculés (ratio 8/1), produit bioéquivalent à l'augmentin 500 mg/ 125 mg, adultes, comprimés pelliculés (ratio 4/1) autorisé et commercialisé en France depuis plus de dix ans ; qu'ainsi l'autorisation de mise sur le marché aurait dû logiquement être octroyée à l'amoxicilline / acide clavulanique TEVA 500 mg / 62,5 mg, comprimés pelliculés (rapport 8/1) ; que la décision contestée méconnaît le principe d'égalité dès lors que des autorisations de mise sur le marché ont été délivrées à des sociétés concurrentes pour des spécialités pharmaceutiques identiques ;

Vu le mémoire en défense enregistré le 8 mars 2004, présenté par l'agence française de sécurité sanitaire des produits de santé ; elle tend au rejet de la requête ; elle soutient que la requérante ne justifie pas d'un préjudice suffisamment grave et immédiat pour que la condition d'urgence soit regardée comme remplie ; qu'il n'existe pas, en l'état de l'instruction, de moyen propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ; que la commission d'autorisation de mise sur le marché a été régulièrement consultée ; que l'AFSSAPS a examiné la demande de la société TEVA Classics dans le cadre de la procédure abrégée hybride ; que sa décision de refus est fondée sur le non-respect des conditions exigées par cette procédure ; que la spécialité en cause ne peut être considérée comme essentiellement similaire à l'augmentin 500 mg / 62,5 mg adultes comprimés pelliculés (ratio 4/1) ; que l'augmentin 500 mg / 62,5 mg, adultes, comprimés pelliculés (ratio 8/1) n'est pas autorisé et commercialisée depuis au moins dix ans ; que, dès lors, la société TEVA Classics ne saurait produire les résultats d'études de bioéquivalence par rapport à l'augmentin 500 mg / 62,5 mg, adultes, comprimés pelliculés (ratio 8/1) mais les résultats d'essais tendant à établir la bioéquivalence de sa spécialité au regard au regard de l'augmentin 500 mg / 62,5 mg, adultes, comprimés pelliculés (ratio 4/1), autorisé et commercialisé depuis plus de dix ans ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la société TEVA Classics, d'autre part, l'agence française de sécurité sanitaire des produits des produits de santé ;

Vu le procès verbal de l'audience publique du lundi 15 mars 2004 à 11 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- Me X..., avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la société TEVA CLASSICS ;

- le représentant de la société TEVA Classics ;

- les représentants de l'agence française de sécurité sanitaire des produits des produits de santé ;

Vu la note en délibéré présentée le 15 mars 2004 pour la société TEVA CLASSICS ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de justice administrative ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ;

Sur les conclusions aux fins de suspension :

Considérant que la société TEVA Classics demande, sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de la décision par laquelle l'agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (A.F.S.S.A.P.S.) a implicitement rejeté le recours gracieux qu'elle avait formé contre une décision du 26 août 2003 lui refusant la délivrance de l'autorisation de mise sur le marché de sa spécialité pharmaceutique amoxicilline / acide clavulanique TEVA 500 mg / 62,5 mg, comprimés pelliculés (ratio 8/1) ;

Sur l'urgence :

Considérant que si le refus de délivrer une autorisation de mise sur le marché d'un médicament a pour effet de priver la société à laquelle le refus est opposé de la possibilité d'augmenter son chiffre d'affaires à la hauteur de la part de marché dont elle vise l'obtention, et donc de dégager une marge sur ces ventes qui permettrait d'améliorer le résultat de la société, un tel préjudice potentiel, en l'absence de difficultés économiques et financières affectant la situation d'ensemble de la société, ne caractérise pas à lui seul une situation d'urgence au sens des dispositions précitées de l'article L. 521-1 du code de justice administrative ; qu'il peut en aller autrement si, eu égard à la nature particulière de la spécialité en cause et à l'état de la concurrence, le refus d'autorisation de mise sur le marché risque d'exclure durablement la société d'un marché en développement rapide, en créant au profit des autres entreprises du secteur un avantage concurrentiel qu'il sera long, difficile ou coûteux de réduire ou d'éliminer ;

Considérant que, dans la gamme des médicaments utilisant la molécule amoxicilline / acide clavulanique, qui font partie des antibiotiques les plus vendus en France et dont les génériques connaissent un développement rapide et important, ceux retenant le dosage 500 mg / 62,5 mg (rapport amoxicilline / acide clavulanique égal à 8/1) sont parmi les plus prescrits à l'usage des adultes ; que, compte tenu du fait que chaque pharmacien choisit en général de se fournir en génériques auprès d'un nombre limité de laboratoires et accorde la priorité à ceux qui sont en mesure de proposer à la vente une gamme étendue, l'impossibilité dans laquelle se trouve la société TEVA Classics d'inclure dans sa gamme la spécialité décrite ci-dessus, du fait du refus d'autorisation de mise sur le marché qui lui a été opposé, comporte le risque de l'exclure - au moins partiellement - d'un marché auquel prennent une part active trois laboratoires concurrents qui, à partir de dossiers composés de manière quasi-identique et déposés à des dates très proches mais à la faveur d'une interprétation par l'AFSSAPS de la notion de spécialité essentiellement similaire qui a été ultérieurement censurée par la jurisprudence du Conseil d'Etat, ont obtenu l'autorisation de commercialiser la spécialité en cause ; que, pour les raisons indiquées plus haut, les circonstances très particulières de l'espèce permettent de regarder la condition d'urgence comme remplie, sans que l'AFSSAPS ne puisse utilement faire valoir, pour la contester, que le préjudice invoqué était prévisible dès lors que la société avait été informée dès le mois de mars 2003 de l'éventualité d'un refus de délivrance de l'autorisation de mise sur le marché qu'elle avait demandée ;

Sur l'existence d'un moyen de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée :

Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article R. 5140 du code de la santé publique que les décisions par lesquelles l'agence française de sécurité sanitaire des produits de santé statue sur les recours gracieux formés, obligatoirement avant tout recours contentieux, sur les refus d'autorisation de mise sur le marché de médicaments doivent être soumises pour avis à la commission, siégeant auprès de l'agence, dont la composition est fixée par l'article R. 5141 du même code ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que si le recours gracieux formé le 22 octobre 2003 par la société TEVA Classics contre le refus d'autorisation de mise sur le marché qui lui a été opposé le 26 août 2003 a été examiné le 13 novembre 2003 par un groupe d'experts spécialisé dans l'étude des médicaments génériques, l'administration indique elle-même, en produisant d'ailleurs un procès-verbal qui approuve le relevé des avis émis par le groupe mentionné ci-dessus sans faire référence de manière plus précise aux spécialités examinées, que le dossier n'a été soumis à la commission constituée en application des articles R. 5140 et R. 5141 du code de la santé publique que le 22 janvier 2004, soit après que le recours gracieux a été implicitement rejeté ; que le moyen tiré de l'absence de consultation de la commission préalable à la décision attaquée est, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de cette dernière ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société TEVA Classics est fondée à demander la suspension de la décision attaquée ;

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

Considérant que s'il n'y a pas lieu, compte tenu de la nature du moyen relevé ci-dessus, d'enjoindre à l'AFSSAPS de délivrer à la société TEVA Classics l'autorisation de mise sur le marché sollicitée, il convient d'ordonner à l'agence d'examiner à nouveau le recours de la société, dans un délai de six semaines à compter de la notification de la présente ordonnance, après l'avoir soumise à la commission constituée en application des articles R. 5140 et R. 5141 du code de la santé publique ; qu'il n' y a pas lieu d'assortir cette injonction de l'astreinte demandée par la société requérante ;

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) la somme de 4000 euros qui sera versée à la société TEVA Classics ;

O R D O N N E :

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Article 1er : La décision par laquelle l'agence française de sécurité sanitaire des produits de santé a implicitement rejeté le recours gracieux formé le 22 octobre 2003 par la société TEVA Classics à l'encontre du refus d'autorisation de mise sur le marché qui lui a été opposé le 26 août 2003 pour la spécialité amoxicilline / acide clavulanique TEVA 500 mg / 62,5 mg, comprimés pelliculés est suspendue.

Article 2 : Il est enjoint à l'agence française de sécurité sanitaire des produits de santé d'examiner à nouveau le recours gracieux formé par la société TEVA Classics, dans un délai de six semaines à compter de la notification de la présente ordonnance, après l'avoir soumis à l'avis de la commission constituée en application des articles R. 5140 et R. 5141 du code de la santé publique.

Article 3 : L'agence française de sécurité sanitaire des produits de santé versera à la société TEVA Classics une somme de 4000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la société TEVA Classics est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société TEVA Classics, à l'agence française de sécurité sanitaire des produits de santé et au ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.


Synthèse
Formation : Juge des referes
Numéro d'arrêt : 264910
Date de la décision : 17/03/2004
Sens de l'arrêt : Satisfaction partielle
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

54-035-02-03-02 PROCÉDURE - PROCÉDURES INSTITUÉES PAR LA LOI DU 30 JUIN 2000 - RÉFÉRÉ SUSPENSION (ARTICLE L 521-1 DU CODE DE JUSTICE ADMINISTRATIVE) - CONDITIONS D'OCTROI DE LA SUSPENSION DEMANDÉE - URGENCE - REFUS DE DÉLIVRANCE D'UNE AUTORISATION DE MISE SUR LE MARCHÉ D'UNE SPÉCIALITÉ PHARMACEUTIQUE - CIRCONSTANCE DE NATURE À CARACTÉRISER L'URGENCE - A) ABSENCE - PRÉJUDICE POTENTIEL EN TERMES DE RÉSULTAT DE LA SOCIÉTÉ - B) EXISTENCE - RISQUE D'EXCLUSION DURABLE D'UN MARCHÉ EN DÉVELOPPEMENT RAPIDE.

54-035-02-03-02 a) Si le refus de délivrer une autorisation de mise sur le marché d'un médicament a pour effet de priver la société à laquelle le refus est opposé de la possibilité d'augmenter son chiffre d'affaires à la hauteur de la part de marché dont elle vise l'obtention, et donc de dégager une marge sur ces ventes qui permettrait d'améliorer le résultat de la société, un tel préjudice potentiel, en l'absence de difficultés économiques et financières affectant la situation d'ensemble de la société, ne caractérise pas à lui seul une situation d'urgence.,,b) Il peut en aller autrement si, eu égard à la nature particulière de la spécialité en cause et à l'état de la concurrence, le refus d'autorisation de mise sur le marché risque d'exclure durablement la société d'un marché en développement rapide, en créant au profit des autres entreprises du secteur un avantage concurrentiel qu'il serait long, difficile ou coûteux de réduire ou d'éliminer.


Références :



Publications
Proposition de citation : CE, 17 mar. 2004, n° 264910
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Lasserre
Rapporteur ?: M. Bruno Lasserre
Avocat(s) : SCP DELAPORTE, BRIARD, TRICHET

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2004:264910.20040317
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