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28/04/2004 | FRANCE | N°253365

France | France, Conseil d'État, 3eme sous-section jugeant seule, 28 avril 2004, 253365


Vu la requête, enregistrée le 17 janvier 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par le PREFET DE POLICE ; le PREFET DE POLICE demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement du 5 novembre 2002 par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Paris a d'une part annulé son arrêté du 5 mars 2002 décidant la reconduite à la frontière de Mme Otelina Francisca X, d'autre part enjoint au préfet de lui délivrer un titre de séjour, dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement précité, enfin, m

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Vu la requête, enregistrée le 17 janvier 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par le PREFET DE POLICE ; le PREFET DE POLICE demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement du 5 novembre 2002 par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Paris a d'une part annulé son arrêté du 5 mars 2002 décidant la reconduite à la frontière de Mme Otelina Francisca X, d'autre part enjoint au préfet de lui délivrer un titre de séjour, dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement précité, enfin, mis à la charge de l'Etat la somme de 500 euros que Mme X demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme X devant le tribunal administratif ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu la convention relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;

Vu l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée ;

Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Burguburu, Conseiller d'Etat,

- les observations de la SCP Vincent, Ohl, avocat de Mme Otelina Francisca X,

- les conclusions de M. Glaser, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'aux termes du I de l'article 22 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée : Le représentant de l'Etat dans le département et, à Paris, le préfet de police peuvent, par arrêté motivé, décider qu'un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants : (...) 3° Si l'étranger auquel la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé ou dont le titre de séjour a été retiré, s'est maintenu sur le territoire au-delà du délai d'un mois à compter de la date de notification du refus ou du retrait (...) ; que Mme Otelinda Francisca X, ressortissante capverdienne, s'est maintenue sur le territoire national plus d'un mois à compter de la notification, le 18 octobre 2001, de la décision du même jour lui refusant la délivrance d'un titre de séjour et l'invitant à quitter le territoire ; qu'elle se trouvait ainsi dans le cas où, en application du 3° du I de l'article 22 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, le préfet peut décider la reconduite d'un étranger à la frontière ;

Considérant que pour annuler l'arrêté en date du 5 mars 2002 par lequel le PREFET DE POLICE a ordonné la reconduite à la frontière de Mme X, le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Paris s'est fondé d'une part, sur ce que cet arrêté aurait méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, d'autre part, sur ce que, justifiant d'une résidence habituelle en France depuis plus de dix ans, l'intéressée devait se voir attribuer de plein droit un titre de séjour ;

Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ;

Considérant que si, par un jugement du 19 juin 2001, le juge des enfants a ordonné, pour une durée d'un an, une mesure d'action éducative en milieu ouvert au profit des enfants jumeaux de Mme X nés le 9 septembre 1999, cette mesure ne saurait faire obstacle, par elle-même, à ce que l'intéressée emmène ses deux enfants avec elle lors de son renvoi dans son pays d'origine ; que, par ailleurs, si Mme X fait valoir qu'elle vit en concubinage avec M. Tourinho, qui est en situation régulière en France, et que sa présence est nécessaire tant auprès de ses enfants que de son compagnon, il ressort des pièces du dossier que l'intéressée n'est pas dépourvue de tout lien familial avec son pays d'origine où résident ses parents, ses frères et soeurs et ses enfants majeurs issus d'une première union et que l'état de santé de ses enfants et de son compagnon ne nécessitent que des soins courants susceptibles d'être donnés au Cap Vert ; que, dès lors, l'arrêté de reconduite à la frontière pris à l'encontre de Mme X n'a pas porté au droit de l'intéressée au respect de sa vie familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels cette décision a été prise ;

Considérant qu'indépendamment de l'énumération donnée par l'article 25 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 des catégories d'étrangers qui ne peuvent faire l'objet d'une mesure d'éloignement, l'autorité administrative ne saurait légalement prendre une mesure de reconduite à l'encontre d'un étranger que si ce dernier se trouve en situation irrégulière, au regard des règles relatives à l'entrée et au séjour ; que lorsque la loi prescrit que l'intéressé doit se voir attribuer de plein droit un titre de séjour, cette circonstance fait obstacle à ce qu'il puisse légalement être l'objet d'une mesure de reconduite à la frontière ;

Considérant qu'aux termes de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée, la carte de séjour temporaire portant la mention vie privée et familiale prévue au premier alinéa du même article est délivrée de plein droit : (...) 3° A l'étranger, ne vivant pas en état de polygamie, qui justifie par tout moyen résider habituellement en France depuis plus de dix ans ou plus de quinze ans si, au cours de cette période, il a séjourné en qualité d'étudiant (...) 7° A l'étranger, ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus ;

Considérant que les pièces produites par Mme X sont insuffisantes pour établir, notamment pour les années 1992 à 1997, qu'elle résidait habituellement en France depuis plus de dix ans à la date de l'arrêté de reconduite à la frontière ; que, par ailleurs, pour les raisons énoncées ci-dessus, ledit arrêté n'a pas porté au droit au respect de la vie privée et familiale de l'intéressée une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris ;

Considérant qu'il suit de là que c'est à tort que, pour annuler l'arrêté du 5 mars 2002 ordonnant la reconduite à la frontière de Mme X, le premier juge s'est fondé sur les moyens tirés de la méconnaissance à la fois de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 ;

Considérant, toutefois, qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés en première instance et en appel par Mme X ;

Sur l'exception d'illégalité de la décision du 18 octobre 2001 refusant un titre de séjour à Mme X :

Considérant que, contrairement à ce qu'elle soutient, Mme X n'entre, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, ni dans le champ d'application du 3° ni dans celui du 7° de l'article 12 bis de l'ordonnance précitée ; que, par suite, le PREFET DE POLICE n'était pas tenu de saisir la commission prévue par l'article 12 quater de la même ordonnance avant de rejeter la demande de l'intéressée tendant à la délivrance d'un titre de séjour ;

Sur les autres moyens dirigés contre la légalité de l'arrêté de reconduite à la frontière du 5 mars 2002 :

Considérant que l'arrêté attaqué comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision de reconduite à la frontière ; qu'ainsi, il est suffisamment motivé ;

Considérant que le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est inopérant à l'encontre d'un arrêté de reconduite à la frontière ;

Considérant que Mme X ne peut utilement invoquer l'article 24 de la convention de New York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant, qui sont dépourvues d'effet direct en droit interne français ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le PREFET DE POLICE est fondé à demander l'annulation du jugement du 5 novembre 2002 par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 5 mars 2002 ordonnant la reconduite à la frontière de Mme X ;

Sur les conclusions de Mme X à fin d'injonction :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ;

Considérant que la présente décision qui rejette la requête de Mme X n'appelle aucune mesure d'exécution ; que les conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au PREFET DE POLICE de lui délivrer un titre de séjour ne peuvent qu'être rejetées ;

Sur les conclusions de Mme X tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance la partie perdante, la somme que Mme X demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le jugement du 5 novembre 2002 du magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 2 : La demande présentée devant le tribunal administratif de Paris par Mme X et ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au PREFET DE POLICE, à Mme Otelina Francisca X et au ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.


Synthèse
Formation : 3eme sous-section jugeant seule
Numéro d'arrêt : 253365
Date de la décision : 28/04/2004
Sens de l'arrêt : Satisfaction totale
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 28 avr. 2004, n° 253365
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Martin Laprade
Rapporteur ?: Mme Danièle Burguburu
Rapporteur public ?: M. Glaser
Avocat(s) : SCP VINCENT, OHL

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2004:253365.20040428
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