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10/05/2004 | FRANCE | N°251090

France | France, Conseil d'État, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 10 mai 2004, 251090


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 21 octobre 2002 et 21 février 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Bruno X, demeurant ... ; M. Michel Y, demeurant ...; M. Pierre-Henri Z, demeurant ... ; M. X et les autres requérants demandent au Conseil d'État :

1°) d'annuler l'arrêt du 26 juin 2002 par lequel la Cour des comptes a statué définitivement, d'une part, sur la ligne de compte de la gestion de fait des deniers de l'État dont ils ont été déclarés solidairement comptables le 22 janvier 1997, d'autre par

t, sur les amendes prononcées à leur encontre au titre de cette gestion ...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 21 octobre 2002 et 21 février 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Bruno X, demeurant ... ; M. Michel Y, demeurant ...; M. Pierre-Henri Z, demeurant ... ; M. X et les autres requérants demandent au Conseil d'État :

1°) d'annuler l'arrêt du 26 juin 2002 par lequel la Cour des comptes a statué définitivement, d'une part, sur la ligne de compte de la gestion de fait des deniers de l'État dont ils ont été déclarés solidairement comptables le 22 janvier 1997, d'autre part, sur les amendes prononcées à leur encontre au titre de cette gestion de fait ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code des juridictions financières ;

Vu l'article 60 de la loi n° 63-156 du 23 février 1963 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Henrard, Auditeur,

- les observations de la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat de M. X et autres,

- les conclusions de M. Guyomar, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que l'article L. 131-2 du Code des juridictions financières dispose : « La Cour des comptes juge les comptes que lui rendent les personnes qu'elle a déclarées comptables de fait ... » ; qu'aux termes de l'article L. 131-11 : « Les comptables de fait peuvent, dans le cas où ils n'ont pas fait l'objet des poursuites prévues à l'article 433-12 du code pénal, être condamnés à l'amende par la Cour des comptes en raison de leur immixtion dans les fonctions de comptable public./ Cette amende est calculée suivant l'importance et la durée de la détention ou du maniement des deniers. Son montant ne pourra dépasser le total des sommes indûment détenues ou maniées » ; que selon l'article L. 140-7 : « ... La procédure est écrite et présente un caractère contradictoire./ La Cour statue sur ces comptes par arrêts successivement provisoires et définitifs » ;

Considérant que la septième chambre de la Cour des comptes, statuant provisoirement par un arrêt du 6 décembre 1995, a déclaré conjointement et solidairement comptables de fait des deniers de l'État, à raison des modalités de financement d'opérations de communication liées au débat national sur l'aménagement du territoire de 1993/1994, M. Bruno X, secrétaire général de la Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale (DATAR), M. Michel Y, président de l'Association pour le développement des entreprises européennes par la communication, occupant par ailleurs à la DATAR les fonctions de secrétaire général du débat national sur l'aménagement du territoire, M. Henri Z, délégué général de la DATAR, ainsi que l'Association pour le développement des entreprises européennes par la communication ; que par un arrêt du 22 janvier 1997, elle a déclaré les mêmes personnes comptables de fait à titre définitif ; que par un arrêt du 22 septembre 1999, la septième chambre statuant à titre provisoire a fixé la ligne de compte à un excédent de recettes de 101 382,80 F et infligé à MM. X, Y et Z une amende de 304,90 euros chacun ; qu'enfin, par l'arrêt attaqué du 26 juin 2002, cette même chambre statuant à titre définitif a confirmé le montant de la ligne de compte et prononcé à l'encontre de chacun des requérants une amende de 230 euros ;

Considérant que les requérants font valoir en premier lieu que l'arrêt attaqué serait entaché d'irrégularité dès lors que les faits qui ont donné lieu à la procédure de gestion de fait suivie à leur encontre avaient été évoqués dans le rapport de la Cour des comptes au Président de la République pour 1997 ;

Considérant que si la Cour a fait état, dans son rapport, d'irrégularités financières dans l'emploi des subventions de l'Etat, à la charge de l'Association pour le développement des entreprises européennes par la communication, sous le contrôle étroit de la DATAR, et a donné une description des principales irrégularités commises et l'indication selon laquelle une procédure de gestion de fait avait été ouverte, les termes employés dans le rapport et l'analyse qui y est faite ne s'opposaient pas, alors qu'aucune appréciation sur la gravité des faits et l'imputation personnelle des responsabilités n'y est portée, à ce que la Cour fixe la ligne de compte et inflige aux personnes mises en cause une amende ; que l'arrêt attaqué n'est donc entaché, sur ce point, d'aucune irrégularité ;

Considérant toutefois que la procédure juridictionnelle devant la Cour des comptes présente un caractère contradictoire ; que, par suite, le comptable de fait doit être mis à même de prendre connaissance des éléments d'appréciation nouveaux portés à la connaissance de la Cour, qu'ils soient à charge ou à décharge, et de présenter sur eux ses observations ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis à la Cour des comptes que, ainsi que les requérants le soutiennent, la lettre adressée le 13 janvier 1997 par le ministre de l'aménagement du territoire au Premier président de la Cour des comptes, et dont il est fait état dans les motifs de la décision attaquée, ne leur a été communiquée à aucune étape de la procédure ayant donné lieu à l'arrêt du 26 juin 2002 et aux arrêts provisoires qui l'ont précédé ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la Cour a fondé sa décision sur la lettre ministérielle du 13 janvier 1997 ; qu'ainsi, alors même que ce document contenait certains éléments de nature à atténuer la responsabilité personnelle des requérants dans la gestion de fait déclarée à titre définitif le 22 janvier 1997, ils devaient être mis à même d'en prendre connaissance et de formuler leurs observations ;

Considérant que si le mémoire en défense présenté par MM. X, Y et Z devant la Cour, le 5 juin 2002, fait état de l'existence et de la substance de la lettre ministérielle du 13 janvier 1997, il ne ressort pas du dossier soumis au Conseil d'État que les intéressés aient pu en avoir une connaissance directe et complète ; que, dès lors, l'arrêt attaqué a été rendu sur une procédure irrégulière ; qu'il suit de là, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que MM. X, Y et Z sont fondés à en demander l'annulation ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat la somme globale de 3 000 euros que demandent MM. X, Y et Z au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt du 26 juin 2002 de la Cour des comptes est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée devant la Cour des comptes.

Article 3 : L'Etat versera à MM. Bruno X, Michel Y et Pierre-Henri Z une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à MM. Bruno X, Michel Y et Pierre-Henri Z, à l'Association pour le développement des entreprises européennes par la communication et au ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

COMPTABILITÉ PUBLIQUE ET BUDGET - RÉGIME JURIDIQUE DES ORDONNATEURS ET DES COMPTABLES - JUGEMENT DES COMPTES - COUR DES COMPTES - GESTION DE FAIT - PRINCIPES D'IMPARTIALITÉ ET DES DROITS DE LA DÉFENSE - A) MÉCONNAISSANCE - ABSENCE - MENTION DE L'AFFAIRE - PRÉALABLEMENT À L'INTERVENTION DU JUGEMENT DÉFINITIF DE DÉCLARATION DE GESTION DE FAIT - DANS LE RAPPORT PUBLIC DE LA COUR DES COMPTES MAIS SANS APPRÉCIATION SUR LA GRAVITÉ DES FAITS NI SUR L'IMPUTATION PERSONNELLE DES RESPONSABILITÉS [RJ1] - B) CARACTÈRE CONTRADICTOIRE DE LA PROCÉDURE - MÉCONNAISSANCE - EXISTENCE - ELÉMENT D'APPRÉCIATION NOUVEAU N'AYANT PAS ÉTÉ PORTÉ À LA CONNAISSANCE DU COMPTABLE DE FAIT - ALORS MÊME QU'IL S'AGIT D'UN ÉLÉMENT À DÉCHARGE.

18-01-04-01 a) Si la Cour des comptes a fait état, dans son rapport, d'irrégularités financières dans l'emploi des subventions de l'Etat et a donné une description des principales irrégularités commises et l'indication selon laquelle une procédure de gestion de fait avait été ouverte, les termes employés dans le rapport et l'analyse qui y est faite ne s'opposaient pas, alors qu'aucune appréciation sur la gravité des faits et l'imputation personnelle des responsabilités n'y est portée, à ce que la Cour fixe la ligne de compte et inflige une amende aux personnes mises en cause.,,b) La procédure juridictionnelle devant la Cour des comptes présente un caractère contradictoire. Le comptable de fait doit dès lors être mis à même de prendre connaissance des éléments d'appréciation nouveaux portés à la connaissance de la Cour, qu'ils soient à charge ou à décharge, et de présenter sur eux ses observations. Ainsi, dès lors que la Cour a fondé sa décision sur un document non communiqué à l'intéressé et alors même que ce document contenait certains éléments de nature à atténuer la responsabilité personnelle de ce dernier, il devait être mis à même d'en prendre connaissance et de formuler ses observations.

PROCÉDURE - JUGEMENTS - RÈGLES GÉNÉRALES DE PROCÉDURE - PRINCIPES D'IMPARTIALITÉ DU JUGE ET DES DROITS DE LA DÉFENSE - A) MÉCONNAISSANCE - ABSENCE - COUR DES COMPTES STATUANT EN MATIÈRE DE GESTION DE FAIT - MENTION DE L'AFFAIRE - PRÉALABLEMENT À L'INTERVENTION DU JUGEMENT DÉFINITIF DE DÉCLARATION DE GESTION DE FAIT - DANS LE RAPPORT PUBLIC MAIS SANS APPRÉCIATION SUR LA GRAVITÉ DES FAITS NI SUR L'IMPUTATION PERSONNELLE DES RESPONSABILITÉS [RJ1] - B) CARACTÈRE CONTRADICTOIRE DE LA PROCÉDURE - MÉCONNAISSANCE - EXISTENCE - ELÉMENT D'APPRÉCIATION NOUVEAU N'AYANT PAS ÉTÉ PORTÉ À LA CONNAISSANCE DU COMPTABLE DE FAIT - ALORS MÊME QU'IL S'AGIT D'UN ÉLÉMENT À DÉCHARGE.

54-06-01 a) Si la Cour des comptes a fait état, dans son rapport, d'irrégularités financières dans l'emploi des subventions de l'Etat et a donné une description des principales irrégularités commises et l'indication selon laquelle une procédure de gestion de fait avait été ouverte, les termes employés dans le rapport et l'analyse qui y est faite ne s'opposaient pas, alors qu'aucune appréciation sur la gravité des faits et l'imputation personnelle des responsabilités n'y est portée, à ce que la Cour fixe la ligne de compte et inflige une amende aux personnes mises en cause.,,b) La procédure juridictionnelle devant la Cour des comptes présente un caractère contradictoire. Le comptable de fait doit dès lors être mis à même de prendre connaissance des éléments d'appréciation nouveaux portés à la connaissance de la Cour, qu'ils soient à charge ou à décharge, et de présenter sur eux ses observations. Ainsi, dès lors que la Cour a fondé sa décision sur un document non communiqué à l'intéressé et alors même que ce document contenait certains éléments de nature à atténuer la responsabilité personnelle de ce dernier, il devait être mis à même d'en prendre connaissance et de formuler ses observations.


Références :

[RJ1]

Comp. Assemblée, 23 février 2000, Société Labor Métal, p. 83.


Publications
Proposition de citation: CE, 10 mai. 2004, n° 251090
Mentionné aux tables du recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Président : M. Stirn
Rapporteur ?: M. Olivier Henrard
Rapporteur public ?: M. Guyomar
Avocat(s) : SCP DELAPORTE, BRIARD, TRICHET

Origine de la décision
Formation : 6ème et 1ère sous-sections réunies
Date de la décision : 10/05/2004
Date de l'import : 02/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 251090
Numéro NOR : CETATEXT000008181554 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2004-05-10;251090 ?
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