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14/05/2004 | FRANCE | N°267360

France | France, Conseil d'État, Juge des referes, 14 mai 2004, 267360


Vu 1°) sous le n° 267360 la requête enregistrée le 10 mai 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour Mme Y épouse Y..., demeurant ... ; elle demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

- d'annuler l'ordonnance du 26 avril 2004 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier, statuant en application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a rejeté sa requête tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet du département du Gard de l'admettre au séjour en qualité de demandeur d'asile ;

- d'ordon

ner au préfet du Gard de l'admettre au séjour en qualité de demandeur d'asile da...

Vu 1°) sous le n° 267360 la requête enregistrée le 10 mai 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour Mme Y épouse Y..., demeurant ... ; elle demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

- d'annuler l'ordonnance du 26 avril 2004 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier, statuant en application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a rejeté sa requête tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet du département du Gard de l'admettre au séjour en qualité de demandeur d'asile ;

- d'ordonner au préfet du Gard de l'admettre au séjour en qualité de demandeur d'asile dans un délai de 8 jours ;

- d'admettre l'exposante au bénéfice de l'aide juridictionnelle ;

- de condamner l'Etat à verser à son conseil, la S.C.P Alain-François X... et Anne SEVAUX, en tant que cette dernière renonce au bénéfice de l'indemnité de l'aide juridictionnelle, la somme de 1 500 euros en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

elle soutient que c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier n'a pas considéré comme constitutive d'une situation d'urgence la décision par laquelle le préfet du Gard a refusé d'instruire sa demande d'asile au motif qu'elle relevait de la compétence de l'Etat autrichien ; qu'en effet, cette décision implique sa remise aux autorités autrichiennes alors même que ces dernières ne sont plus tenues d'examiner sa demande, le préfet n'ayant pas respecté le délai de transfert de 6 mois fixé par l'article 19 du règlement du Conseil du 18 février 2003 ; que ce réacheminement vers l'Autriche est susceptible d'être effectué d'office en vertu des dispositions de l'article 33 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 ; que l'état de santé de son fils et de son époux risquent d'être aggravés par le transfert ; qu'en tout état de cause, l'urgence est présumée dans l'hypothèse de décision de remise à un Etat étranger et de refus d'examen de demande d'asile ; que le préfet, en refusant d'examiner sa demande alors que les autorités autrichiennes ne sont plus tenues de le faire, porte une atteinte grave et manifestement illégale à son droit d'asile ; que le juge des référés a entaché son ordonnance d'une erreur de droit et d'une dénaturation des faits en estimant que la demande d'asile pouvait valablement s'exercer auprès des autorités autrichiennes ; que, contrairement à ce qu'a considéré le juge des référés, eu égard à l'état de santé de son fils et de son époux, le préfet du Gard doit, pour des raisons humanitaires, procéder à l'examen de sa demande d'asile en application de l'article 3 alinéa 2 du règlement du Conseil du 18 février 2003 ;

Vu 2°) sous le n°267362 la requête enregistrée le 10 mai 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. Arbi Y..., demeurant ... ; il demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

- d'annuler l'ordonnance du 26 avril 2004 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier, statuant en application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a rejeté sa requête tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet du département du Gard de l'admettre au séjour en qualité de demandeur d'asile ;

- d'ordonner au préfet du Gard de l'admettre au séjour en qualité de demandeur d'asile dans un délai de 8 jours ;

- d'admettre l'exposant au bénéfice de l'aide juridictionnelle ;

- de condamner l'Etat à verser à son conseil, la S.C.P Alain-François X... et Anne SEVAUX, en tant que cette dernière renonce au bénéfice de l'indemnité de l'aide juridictionnelle, la somme de 1 500 euros en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

il soutient que c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier n'a pas considéré comme constitutive d'une situation d'urgence la décision par laquelle le préfet du Gard a refusé d'instruire sa demande d'asile au motif qu'elle relevait de la compétence de l'Etat autrichien ; qu'en effet, cette décision implique sa remise aux autorités autrichiennes alors même que ces dernières ne sont plus tenues d'examiner sa demande, le préfet n'ayant pas respecté le délai de transfert de 6 mois fixé par l'article 19 du règlement du Conseil du 18 février 2003 ; que ce réacheminement vers l'Autriche est susceptible d'être effectué d'office en vertu des dispositions de l'article 33 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 ; que son état de santé et celui de son fils risquent d'être aggravés par le transfert ; qu'en tout état de cause, l'urgence est présumée dans l'hypothèse de décision de remise à un Etat étranger et de refus d'examen de demande d'asile ; que le préfet, en refusant d'examiner sa demande alors que les autorités autrichiennes ne sont plus tenues de le faire, porte une atteinte grave et manifestement illégale à son droit d'asile ; que le juge des référés a entaché son ordonnance d'une erreur de droit et d'une dénaturation des faits en estimant que la demande d'asile pouvait valablement s'exercer auprès des autorités autrichiennes ; que, contrairement à ce qu'a considéré le juge des référés, eu égard à son état de santé et à celui de son fils, le préfet du Gard doit, pour des raisons humanitaires, procéder à l'examen de sa demande d'asile en application de l'article 3 alinéa 2 du règlement du Conseil du 18 février 2003 ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 12 mai 2004, présenté par le ministre de l'intérieur pour la requête n° 267630 ; il tend au rejet de la requête ; il soutient que la condition d'urgence n'est pas remplie ; qu'en effet, la décision préfectorale de remise aux autorités autrichiennes n'est pas en elle-même constitutive d'une situation d'urgence ; qu'elle n'implique aucun changement dans la situation juridique de Mme Y... qui peut mettre en oeuvre son droit d'asile en Autriche ; que l'urgence commande, au contraire, le transfert de la requérante, afin que les autorités autrichiennes ne procèdent pas à l'examen de sa demande en son absence ; qu'aucune atteinte grave et manifestement illégale n'est portée au droit d'asile de Mme Y... ; qu'en effet, le préfet n'est pas tenu d'examiner sa demande d'asile dès lors qu'il est établi que, malgré l'expiration du délai de transfert, la requérante peut valablement exercer son droit d'asile auprès des autorités autrichiennes ; que l'état de santé de son fils et de son époux n'impliquent pas que le préfet du Gard procède à l'examen de sa demande pour des raisons humanitaires en application de l'article 3 alinéa 2 du règlement du Conseil du 18 février 2003 ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 12 mai 2004, présenté par le ministre de l'intérieur pour la requête n° 267631 ; il tend au rejet de la requête ; il soutient que la condition d'urgence n'est pas remplie ; qu'en effet, la décision préfectorale de remise aux autorités autrichiennes n'est pas en elle-même constitutive d'une situation d'urgence ; qu'elle n'implique aucun changement dans la situation juridique de M. Y... qui peut mettre en oeuvre son droit d'asile en Autriche ; que l'urgence commande, au contraire, le transfert du requérant, afin que les autorités autrichiennes ne procèdent pas à l'examen de sa demande en son absence ; qu'aucune atteinte grave et manifestement illégale n'est portée au droit d'asile de M. Y... ; qu'en effet, le préfet n'est pas tenu d'examiner sa demande d'asile dès lors qu'il est établi que, malgré l'expiration du délai de transfert, le requérant peut valablement exercer son droit d'asile auprès des autorités autrichiennes ; que son état de santé et celui de son fils n'impliquent pas que le préfet du Gard procède à l'examen de sa demande pour des raisons humanitaires en application de l'article 3 alinéa 2 du règlement du Conseil du 18 février 2003 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention de Dublin du 15 juin 1990 publiée par le décret du 30 septembre 1997 ;

Vu le règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 ;

Vu l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 ;

Vu la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile modifiée par la loi du 10 décembre 2003 ;

Vu la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, les époux Y..., d'autre part, le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales ;

Vu le procès verbal de l'audience publique du 13 mai 2004 à 14 heures 30 au cours de laquelle ont été entendus :

- Me X..., avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat des époux Y... ;

- Les représentants du ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales ;

Considérant que les requêtes susvisées présentent à juger des questions semblables ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public (...) aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. et Mme Y..., de nationalité russe et originaires de Tchétchénie, entrés en France en août 2003 avec leur fils, ont présenté le 19 septembre 2003 une demande d'asile conventionnel au préfet du Gard ; que l'instruction de cette demande ayant révélé que les intéressés avaient transité par l'Autriche, et sur demande des autorités françaises, les autorités autrichiennes ont informé le préfet le 17 octobre 2003 qu'elles acceptaient la responsabilité de l'examen de la demande d'asile des requérants, conformément aux dispositions du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 ; qu'à la suite du retard mis par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides à se dessaisir de ces demandes d'asile et à restituer aux requérants les documents originaux nécessaires à leur transfert en Autriche, le préfet du Gard n'a notifié que le 19 avril 2004 aux requérants le refus de les admettre en France au titre de l'asile ; que c'est seulement à cette date qu'ils ont été mis en possession de laissez-passer et informés des modalités prévues de leur retour en Autriche ;

Considérant qu'aux termes de l'article 19 du règlement du 18 février 2003 mentionné ci-dessus : (...) 3. Le transfert du demandeur de l'Etat membre auprès duquel la demande d'asile a été introduite vers l'Etat membre responsable s'effectue conformément au droit national du premier Etat membre, après concertation entre les Etats membres concernés, dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation de la demande de prise en charge (...) 4. Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, la responsabilité incombe à l'Etat membre auprès duquel la demande d'asile a été introduite. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement du demandeur d'asile ou à dix-huit mois au maximum si le demandeur d'asile prend la fuite ;

Considérant qu'il n'est pas contesté qu'en l'absence de toute manoeuvre des requérants en vue de se soustraire à la procédure de transfert, le délai d'exécution de ce transfert était en l'espèce de six mois ; qu'il résulte des dispositions précitées que ce délai expirait le 17 avril 2004 ; qu'en vertu de ces mêmes dispositions, à compter du 18 avril 2004, la responsabilité de l'examen des demandes d'asile des requérants incombait donc aux autorités françaises ;

Considérant que si le ministre de l'intérieur a fait valoir, lors de l'audience, qu'il n'est pas établi que les autorités autrichiennes refuseraient de maintenir, après l'expiration de ce délai, leur accord donné le 17 octobre 2003, il convient de relever non seulement qu'aucune garantie n'est, en l'état de l'instruction, apportée sur ce point, mais qu'en outre une telle prorogation du délai de six mois n'est pas prévue par le règlement du 18 février 2003, dont l'objet est de s'assurer que la détermination de l'Etat responsable s'opère dans un délai suffisamment bref eu égard à l'intérêt général qui s'attache à ce que les procédures d'examen de ces demandes soient rapidement instruites ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le refus des autorités françaises d'assumer, après le 17 avril 2004, la responsabilité de l'examen de la demande d'asile des requérants et, par voie de conséquence, la mise en oeuvre de leur transfert vers l'Autriche, Etat dont rien ne permet d'affirmer qu'il maintiendrait son accord, donné le 17 octobre 2003, au-delà du délai de six mois prescrit par le règlement communautaire, constitueraient une atteinte grave et manifestement illégale au droit des requérants de solliciter le statut de réfugié ;

Considérant que la mise en oeuvre du transfert des requérants en Autriche, dans les conditions qui viennent d'être mentionnées, est de nature à caractériser une situation d'urgence ;

Considérant qu'il suit de là, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de la requête, que les requérants sont fondés à demander l'annulation des ordonnances attaquées qui ont rejeté leurs demandes d'injonction tendant à leur admission au séjour en qualité de demandeur d'asile dans un délai de huit jours à compter de la notification de la présente ordonnance ;

Considérant qu'eu égard aux données du présent litige, il y a lieu d'accorder, en application de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991, l'admission provisoire des requérants à l'aide juridictionnelle ; que la S.C.P. Alain-François X... et Anne SEVAUX, sous réserve qu'elle renonce au bénéfice de l'indemnité d'aide juridictionnelle, est fondée à demander que soit mise à la charge de l'Etat, qui est la partie perdante dans la présente instance, une somme de 1500 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 ;

O R D O N N E :

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Article 1er : Les ordonnances du juge des référés du tribunal administratif de Montpellier en date du 26 avril 2004 sont annulées.

Article 2 : Il est enjoint au préfet du Gard d'admettre au séjour M. et Mme Y... en qualité de demandeur d'asile dans le délai de huit jours à compter de la notification de la présente ordonnance.

Article 3 : L'Etat versera à la S.C.P. Alain-François X... et Anne SEVAUX, sous réserve qu'elle renonce au bénéfice de l'indemnité d'aide juridictionnelle, une somme de 1 500 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à M. et Mme Y... et au ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.


Sens de l'arrêt : Satisfaction totale
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 14 mai. 2004, n° 267360
Mentionné aux tables du recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Président : M. Robineau
Avocat(s) : SCP ROGER, SEVAUX

Origine de la décision
Formation : Juge des referes
Date de la décision : 14/05/2004
Date de l'import : 02/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 267360
Numéro NOR : CETATEXT000008155580 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2004-05-14;267360 ?
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