La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

22/06/2004 | FRANCE | N°268076

France | France, Conseil d'État, Juge des referes, 22 juin 2004, 268076


Vu la requête, enregistrée le 28 mai 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la société d'exercice libéral LANDWELL ET ASSOCIES, dont le siège est ... (75833) ; elle demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) de suspendre, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la décision du Conseil national des barreaux du 24 avril 2004 instituant le règlement unifié des barreaux de France , et notamment son article 16 relatif aux réseaux et autres conventions pluridisciplinaires ;

2°) de condamner le Co

nseil national des barreaux à lui verser 5 000 euros en application de l'arti...

Vu la requête, enregistrée le 28 mai 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la société d'exercice libéral LANDWELL ET ASSOCIES, dont le siège est ... (75833) ; elle demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) de suspendre, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la décision du Conseil national des barreaux du 24 avril 2004 instituant le règlement unifié des barreaux de France , et notamment son article 16 relatif aux réseaux et autres conventions pluridisciplinaires ;

2°) de condamner le Conseil national des barreaux à lui verser 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

elle soutient que la condition d'urgence est remplie ; qu'en effet, l'article 16 du règlement intérieur unifié, en interdisant aux avocats de participer à un réseau pluridisciplinaire, lui cause une perte importante de clientèle et perturbe son fonctionnement comme celui de nombreuses sociétés d'avocats travaillant en réseaux ; que, faute de suspension, la société se verrait contrainte de contester devant les cours d'appel la transposition des dispositions du règlement intérieur unifié dans les règlements intérieurs des barreaux où elle est implantée ; que ces recours ont un caractère non suspensif et qu'une solution définitive émanant de la Cour de cassation, qui n'est pas le juge naturel des décisions du Conseil national des barreaux, interviendrait dans un délai trop long pour prévenir une désorganisation définitive de la société requérante ; qu'il existe, en l'état de l'instruction, plusieurs moyens susceptibles de créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision litigieuse ; que le Conseil national des barreaux n'est pas compétent pour édicter, par voie de dispositions générales, des règles relatives à la participation des avocats à un réseau pluridisciplinaire ; que les dispositions de l'article 16 du règlement contesté sont illégales au regard des textes de valeur supérieure relatifs à la profession d'avocat ou disproportionnées avec les objectifs poursuivis ; qu'elles méconnaissent le droit national et communautaire de la concurrence ; qu'elles dérogent au principe de légalité des délits et des peines ;

Vu la décision dont la suspension est demandée ;

Vu les observations enregistrées le 11 juin 2004, présentées par le garde des sceaux, ministre de la justice ; il fait valoir que les dispositions de l'article 16-6 alinéa 4 du règlement intérieur unifié qui édictent une interdiction pour un avocat, de participer à un réseau comprenant un membre d'une profession ayant une activité de caractère commercial, sont dénuées de fondement légal et relèvent du domaine de la loi ;

Vu le mémoire en défense enregistré le 11 juin 2004, présenté pour le Conseil national des barreaux qui conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société requérante la somme de 5000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; il soutient que l'exécution de la décision litigieuse n'est pas constitutive d'une situation d'urgence dès lors que, d'une part, celle-ci n'interdit pas la participation des avocats à un réseau mais se borne à en réglementer l'exercice et que, d'autre part, l'interdiction contestée du cumul des activités de conseil et de certification des comptes au sein d'un même réseau, source principal du préjudice allégué, a un fondement légal ; qu'au surplus, la société requérante n'apporte aucun élément chiffré permettant d'apprécier la gravité de l'atteinte portée à ses intérêts ; qu'il n'existe pas, en l'état de l'instruction, de moyen susceptible de faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée ; que le Conseil national des barreaux est compétent pour édicter, par voie de dispositions générales, des règles relatives à la participation des avocats à un réseau pluridisciplinaire ; que les dispositions de l'article 16 du règlement intérieur sont proportionnées aux objectifs poursuivis et légales au regard des textes de valeur supérieure relatifs à la profession d'avocat ; qu'elles ne méconnaissent pas le droit national et communautaire de la concurrence ; que le moyen tiré du non respect de la légalité des délits et des peines est inopérant ;

Vu le mémoire en réplique enregistré le 17 juin 2004, présenté pour la société LANDWELL ET ASSOCIES, qui reprend les mêmes conclusions et les mêmes moyens ; pour justifier de la gravité de l'atteinte portée à ses intérêts, elle ajoute des éléments chiffrés ; elle soutient en outre que le moyen tiré du fondement légal des dispositions contestées est inopérant au stade de l'appréciation de l'urgence ; qu'il est par ailleurs erroné ; que l'intérêt public commande que le Conseil d'Etat, juge naturel des décisions du Conseil national des barreaux, se prononce sur l'étendu du pouvoir normatif que le législateur a entendu lui conféré ;

Vu le mémoire, enregistré le 21 juin 2004, présenté pour la société LANDWELL ET ASSOCIES ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code du commerce ;

Vu la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, modifiée notamment par la loi n° 2004-130 du 11 février 2004 ;

Vu le décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 modifié ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la SOCIETE LANDWELL ET ASSOCIES et d'autre part, le Conseil national des barreaux et le garde des sceaux, ministre de la justice ;

Vu le procès verbal de l'audience publique du mardi 22 juin 2004 à 11 heures à laquelle ont été entendus :

- Me X..., avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la SOCIETE LANDWELL ET ASSOCIES,

- Me Y..., avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat du Conseil national des barreaux,

- le représentant de la SOCIETE LANDWELL ET ASSOCIES,

- le représentant du Conseil national des barreaux ;

Sur les conclusions à fins de suspension :

Considérant qu'il résulte du rapprochement entre les conclusions et les moyens de la requête ainsi que des déclarations de la société requérante au cours de l'audience du 22 juin que celle-ci doit être regardée comme demandant la suspension du seul article 16 du règlement unifié des barreaux de France, dont les dispositions sont divisibles du surplus de ce texte ;

Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : quand une décision administrative (...) fait l'objet d'une requête en annulation (...) le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision (...) lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ;

En ce qui concerne la condition relative à l'urgence :

Considérant que la requête fait valoir qu'en faisant obstacle à ce que des avocats participent à des réseaux pluridisciplinaires, même non intégrés, l'application des dispositions contestées entraînerait pour elle une grave perte de clientèle ; que la seule perspective de la mise en oeuvre de telles mesures a déjà provoqué une baisse sensible de son chiffre d'affaires ainsi que le départ de nombreux collaborateurs ; qu'au vu de ces indications - accompagnées d'éléments chiffrés précis - ainsi que des débats auxquels a donné lieu l'audience publique, il y a lieu d'admettre que la condition tenant à l'urgence est remplie ;

En ce qui concerne la condition relative à l'existence d'un doute sérieux quant à la légalité des dispositions contestées :

Considérant, d'une part, qu'aux termes du 1er alinéa introduit à l'article 21-1 de la loi du 31 décembre 1971 par l'article 25 de la loi du 11 février 2004 : Le Conseil national des barreaux, établissement d'utilité publique doté de la personnalité morale, est chargé de représenter la profession d'avocat notamment auprès des pouvoirs publics. Dans le respect des dispositions législatives et réglementaires en vigueur, le Conseil national des barreaux unifie par voie de dispositions générales les règles et usages de la profession d'avocat ;

Considérant, d'autre part, qu'aux termes des dispositions, non modifiées sur ce point par la loi du 11 février 2004, de l'article 53 de la loi précitée du 31 décembre 1971 : Dans le respect de l'indépendance de l'avocat, de l'autonomie des conseils de l'ordre et du caractère libéral de la profession, des décrets en Conseil d'Etat fixent les conditions d'application du présent titre. Ils précisent notamment : 1° les conditions d'accès à la profession d'avocat ainsi que les incompatibilités, les conditions d'inscription au tableau et d'omission du tableau et les conditions d'exercice de la profession dans les cas prévus aux articles 6 à 8-1 (...) ;

Considérant que le moyen tiré par la société requérante de ce que certaines au moins des dispositions de l'article 16 du règlement unifié des barreaux de France excèderaient les limites de la compétence que le 1er alinéa, reproduit ci-dessus, de l'article 21-1 de la loi du 31 décembre 1971 a attribuée au conseil national des barreaux pour unifier les règles et usages de la profession d'avocat paraît, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de ces dispositions ;

Considérant dès lors qu'il y a lieu, en application de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de prononcer la suspension de l'exécution des dispositions de l'article 16 du règlement unifié des barreaux de France, lesquelles doivent, en l'état de l'instruction, être regardées comme présentant entre elles un caractère d'indivisibilité ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant, d'une part, qu'il y a lieu en application de ces dispositions de mettre à la charge du Conseil national des barreaux la somme de 5 000 euros que la société requérante demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

Considérant, d'autre part, que ces mêmes dispositions font obstacle à ce que la somme de 5 000 euros que demande le Conseil national des barreaux soit mise à la charge de la société LANDWELL ET ASSOCIES qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante ;

O R D O N N E :

------------------

Article 1er : L'article 16 du règlement unifié des barreaux de France édicté par la décision du Conseil national des barreaux du 24 avril 2004 est suspendu.

Article 2 : Le Conseil national des barreaux versera à la société LANDWELL ET ASSOCIES une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions du Conseil national des barreaux tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la SOCIÉTÉ D'EXERCICE LIBERAL LANDWELL ET ASSOCIES, au conseil national des barreaux et au garde des sceaux, ministre de la justice.


Synthèse
Formation : Juge des referes
Numéro d'arrêt : 268076
Date de la décision : 22/06/2004
Sens de l'arrêt : Satisfaction totale
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 22 jui. 2004, n° 268076
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Labetoulle
Rapporteur ?: M. Daniel Labetoulle
Avocat(s) : SCP LYON-CAEN, FABIANI, THIRIEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2004:268076.20040622
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award