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15/07/2004 | FRANCE | N°263501

France | France, Conseil d'État, 2eme et 7eme sous-sections reunies, 15 juillet 2004, 263501


Vu la requête, enregistrée le 13 janvier 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. Moukhamed X, demeurant ... ; M. X demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance du 24 décembre 2003 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant, d'une part, à suspendre l'exécution de la décision du 2 octobre 2003 par laquelle le préfet de police a refusé son admission au séjour au titre de l'asile et, d'autre part, à ordonner au préfet de police de l'admettre au séjour et de lui délivrer un ré

cépissé lui permettant l'enregistrement de sa demande d'asile, dans un déla...

Vu la requête, enregistrée le 13 janvier 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. Moukhamed X, demeurant ... ; M. X demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance du 24 décembre 2003 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant, d'une part, à suspendre l'exécution de la décision du 2 octobre 2003 par laquelle le préfet de police a refusé son admission au séjour au titre de l'asile et, d'autre part, à ordonner au préfet de police de l'admettre au séjour et de lui délivrer un récépissé lui permettant l'enregistrement de sa demande d'asile, dans un délai de 72 heures à compter de la notification de la décision à intervenir sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;

2°) de suspendre la décision susvisée du 2 octobre 2003 du préfet de police ;

3°) d'enjoindre au préfet de police de l'admettre au séjour ;

4°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu la convention relative à la détermination de l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres des Communautés européennes, signée à Dublin le 15 juin 1990 ;

Vu le règlement CE n° 343 / 2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres par un ressortissant d'un pays tiers ;

Vu le règlement CE n° 1560 / 2003 de la Commission du 2 septembre 2003 portant modalités d'application du règlement CE n° 343 / 2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres par un ressortissant d'un pays tiers ;

Vu l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée ;

Vu la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 modifiée, relative au droit d'asile ;

Vu la loi n° 98-349 du 11 mai 1998 relative à l'entrée et au séjour des étrangers et au droit d'asile ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Christine Maugüé, Maître des Requêtes,

- les observations de Me Bouthors, avocat de M. X,

- les conclusions de Mme Emmanuelle Prada Bordenave, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que, contrairement à ce que soutient le ministre de l'intérieur, le pourvoi de M. X n'a pas perdu son objet alors même que l'intéressé avait été remis aux autorités autrichiennes le 9 octobre 2003 avant de revenir en France ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que M. et Mme X, ressortissants russes originaires de Tchétchénie, entrés en France le 18 juin 2003 en provenance d'Autriche, ont, en juillet 2003, sollicité leur admission au séjour en France au titre de l'asile et déposé une demande de reconnaissance de la qualité de réfugié auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ; que Mme X s'est vu délivrer un récépissé de dépôt de demande de statut de réfugié, le 1er septembre 2003, valant autorisation provisoire de séjour renouvelable pendant toute la durée de l'instruction de son dossier d'asile ; que M. X a fait l'objet, par le préfet de police, le 2 octobre 2003, d'une décision de refus d'admission au séjour, et, le 8 octobre suivant, d'une mesure de réadmission en Autriche, où il a été aussitôt acheminé, aux fins d'examen de sa demande d'asile par les autorités de cet Etat en application de la convention de Dublin du 15 juin 1990 ; que la décision attaquée a eu pour effet de séparer le requérant de sa femme qui avait donné naissance en France en juillet 2003 à un fils, et de ses deux enfants, alors âgés respectivement de 5 ans et de 3 mois ; qu'il n'est pas établi que la vie familiale des intéressés puisse se poursuivre en Autriche dès lors que les autorités françaises se sont reconnues compétentes pour examiner la demande d'asile de Mme X, ce qui implique la présence de celle-ci sur le territoire français pendant l'instruction de cette demande ; qu'ainsi, en jugeant que n'était pas de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée, le moyen tiré de ce que la décision du 2 octobre 2003, par laquelle le préfet de police a refusé l'admission au séjour au titre de l'asile de M. X, portait au droit de celui-ci au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise et violait, par suite, les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a, dans les circonstances de l'espèce, entaché son ordonnance d'une dénaturation des pièces du dossier ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. X est fondé à demander l'annulation de l'ordonnance du 24 décembre 2003 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la suspension de l'exécution de la décision du 2 octobre 2003 du préfet de police lui refusant l'admission au séjour au titre de l'asile ;

Considérant qu'il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée par M. X ;

Considérant, d'une part, qu'une décision de remise à un Etat étranger susceptible d'être exécutée d'office en vertu de l'article 33 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, crée pour son destinataire une situation d'urgence au sens de l'article L. 521-1 du code de justice administrative ;

Considérant, d'autre part, comme il a été dit ci-dessus et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que le moyen tiré de la violation des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de cette décision ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de prononcer la suspension de l'exécution de la décision du préfet de police du 2 octobre 2003 refusant l'admission au séjour au titre de l'asile de M. X ;

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit par la même décision cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ; qu'aux termes de l'article L. 911-3 du même code : Saisie de conclusions en ce sens, la juridiction peut assortir, dans la même décision, l'injonction prescrite en application des articles L. 911-1 et L. 911-2 d'une astreinte qu'elle prononce dans les conditions prévues au présent livre et dont elle fixe la date d'effet ;

Considérant que la présente décision implique que le préfet de police délivre à M. X un document provisoire de séjour lui permettant de solliciter la reconnaissance de la qualité de réfugié auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier qu'à la date de la présente décision, des éléments de droit ou de fait nouveaux justifieraient que le préfet de police en refuse la délivrance ; qu'il y a lieu, par suite, pour le Conseil d'Etat, de prescrire au préfet de police de délivrer à M. X, dans un délai de trois jours à compter de la notification de la présente décision, un document provisoire de séjour lui permettant de solliciter la reconnaissance de la qualité de réfugié auprès de l'OFPRA ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de la date d'expiration de ce délai ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par M. X et qui ne sont pas compris dans les dépens ;

D E C I D E :

-------------

Article 1er : L'ordonnance du 24 décembre 2003 du juge des référés du tribunal administratif de Paris est annulée.

Article 2 : L'exécution de la décision du 2 octobre 2003 du préfet de police refusant l'admission au séjour au titre de l'asile de M. X est suspendue.

Article 3 : Il est enjoint, sous astreinte, au préfet de police de délivrer à M. X un document provisoire de séjour lui permettant de solliciter la reconnaissance de la qualité de réfugié auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides dans un délai de trois jours à compter de la notification de la présente décision. Le taux de cette astreinte est fixé à 200 euros par jour à compter de l'expiration du délai de trois jours suivant la notification de la présente décision.

Article 4 : L'Etat versera à M. X la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de M. X devant le juge des référés du tribunal administratif de Paris est rejeté.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. Moukhamed X et au ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.


Synthèse
Formation : 2eme et 7eme sous-sections reunies
Numéro d'arrêt : 263501
Date de la décision : 15/07/2004
Sens de l'arrêt : Satisfaction totale
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 15 jui. 2004, n° 263501
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Robineau
Rapporteur ?: Mme Christine Maugüé
Rapporteur public ?: Mme Prada Bordenave
Avocat(s) : BOUTHORS

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2004:263501.20040715
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