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15/10/2004 | FRANCE | N°272934

France | France, Conseil d'État, Juge des referes, 15 octobre 2004, 272934


Vu la requête, enregistrée le 6 octobre 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la SOCIÉTÉ SUD-EST REALISATIONS, dont le siège est ... ; elle demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance du 17 septembre 2004 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa requête tendant, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, à ce qu'il soit enjoint au préfet des Alpes de Haute Provence de lui accorder le concours de la force publique en vue de l'exécutio

n d'un jugement d'adjudication du 19 novembre 1992 prescrivant l'expulsio...

Vu la requête, enregistrée le 6 octobre 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la SOCIÉTÉ SUD-EST REALISATIONS, dont le siège est ... ; elle demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance du 17 septembre 2004 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa requête tendant, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, à ce qu'il soit enjoint au préfet des Alpes de Haute Provence de lui accorder le concours de la force publique en vue de l'exécution d'un jugement d'adjudication du 19 novembre 1992 prescrivant l'expulsion de M. X... d'une propriété située à Lurs ;

2°) d'enjoindre au préfet des Alpes de Haute Provence de prendre toutes mesures nécessaires pour assurer cette expulsion sous astreinte de 1000 euros par jours de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

elle soutient que c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a estimé que le refus du préfet de lui accorder le concours de la force publique ne portait pas d'atteinte manifestement illégale à son droit de propriété au motif que l'expulsion des occupants, dont la situation sociale sans relogement serait extrêmement difficile, était de nature à créer un trouble grave à l'ordre public ; que M. X... est indivisaire majoritaire d'une propriété située à Revest-du-Bion dans laquelle il pourrait se reloger ; que c'est par une décision de justice du 19 novembre 1992 que la société requérante a été déclarée adjudicataire de la propriété de Lurs ; qu'ainsi, l'administration ne saurait se prévaloir d'une difficulté de relogement qu'elle a eu onze ans pour résoudre ; que les biens dont la société s'est rendue propriétaire en vue de les revendre dans le cadre de son activité de marchand de biens, se dégradent par manque d'entretien ; qu'ainsi l'atteinte portée au droit de la société de disposer de son bien est manifestement illégale ; que la condition d'urgence est remplie ;

Vu l'ordonnance attaquée ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 12 octobre 2004, présenté par le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales ; il tend au rejet de la requête ; le ministre soutient que la décision du préfet de ne pas accorder le concours de la force publique à la société requérante ne porte pas d'atteinte manifestement illégale au droit de propriété de la requérante dès lors que l'expulsion des occupants est de nature à créer un trouble grave à l'ordre public ; qu'en effet, ces derniers n'ont pas d'autre possibilité de logement à leur disposition et que l'attitude de M. X... permet de craindre des désordres graves ;

Vu le mémoire en réplique, enregistré le 12 octobre 2004, présenté pour la SOCIÉTÉ SUD-EST REALISATIONS ; elle reprend les mêmes conclusions par les mêmes moyens ;

Vu les pièces complémentaires, enregistrées le 13 octobre 2004, produites par le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la SOCIÉTÉ SUD-EST REALISATIONS et le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, d'autre part ;

Vu le procès verbal de l'audience publique du jeudi 14 octobre 2004 à 15 heures, à laquelle ont été entendus :

- Me Y... DE LA VARDE, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la SOCIÉTÉ SUD-EST REALISATIONS ;

- les représentants du ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale ;

Considérant, qu'il incombe à l'autorité administrative d'assurer, en accordant au besoin le concours de la force publique, l'exécution des décisions de justice ; que le droit de propriété, qui constitue une liberté fondamentale, a pour corollaire la liberté de disposer d'un bien ; que le refus de concours de la force publique pour assurer l'exécution d'une décision juridictionnelle ordonnant l'expulsion d'un immeuble porte atteinte à cette liberté fondamentale ; que les exigences de l'ordre public, appréciées au regard des conséquences de toute nature de l'exécution matérielle de la décision juridictionnelle, peuvent toutefois légalement justifier un refus de concours de la force publique tout en engageant la responsabilité de l'Etat sur le terrain de l'égalité devant les charges publiques ;

Considérant qu'il résulte tant des pièces de l'instruction écrite que des débats au cours de l'audience publique que la SOCIÉTÉ SUD-EST REALISATIONS, qui exerce une activité de marchands de biens, a acquis par une procédure d'adjudication judiciaire une propriété agricole de 36 hectares à Lurs, dans les Alpes de Haute Provence ; que le jugement d'adjudication du 19 novembre 1992 ordonne à l'occupant des lieux, M. Alain X..., de les libérer ; que, si la société a pu revendre trente et un hectares de terres, M. X... s'est maintenu sans titre dans les bâtiments d'habitation, ce qui a fait obstacle à la vente de ceux-ci et des cinq hectares qui les entourent par la société ; que l'autorité préfectorale n'a pas donné suite à une demande de concours de la force publique que la société lui a présentée en septembre 1993 ; que l'Etat a été en conséquence condamné à lui verser une indemnité pour rupture de l'égalité devant les charges publiques par un jugement du tribunal administratif de Marseille du 23 juin 1998 puis un arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 8 décembre 2003, frappé d'un pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat ;

Considérant que pour justifier le refus de concours de la force publique, l'autorité préfectorale fait valoir que M. X..., qui est né en 1948, se trouve depuis plusieurs années dans une situation sociale et financière d'une grande détresse ; que son épouse, avec qui il a contracté mariage en 1993, connaît de graves difficultés de santé ; que M. X..., qui dispose d'une arme, s'est signalé par un comportement violent et un refus de dialogue avec les institutions tant judiciaires que sociales ; qu'il se refuse à admettre l'expulsion d'une ferme qu'il exploite à la suite de son père et qu'il est prêt à commettre, y compris contre lui-même, des actes graves pour s'y opposer ; qu'il existe dans ces conditions des risques sérieux tant à l'expulser avec le concours de la force publique qu'à l'empêcher ensuite de revenir ; que des procès verbaux de gendarmerie produits devant le juge des référés du Conseil d'Etat confirment la réalité de ces affirmations ; que, dans ces conditions, et même si l'occupation indue se prolonge depuis plusieurs années, le refus d'accorder le concours de la force publique, fondé sur des motifs d'ordre public qui revêtent un caractère sérieux, n'est pas entaché d'une illégalité manifeste ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la SOCIÉTÉ SUD-EST REALISATIONS n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant ce qu'il fasse usage des pouvoirs que l'article L. 521-2 du code de justice administrative lui confère ; que les conclusions de la société requérante tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées par voie de conséquence ;

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de la SOCIETE SUD-EST REALISATIONS est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la SOCIETE SUD-EST REALISATIONS et au ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.


Synthèse
Formation : Juge des referes
Numéro d'arrêt : 272934
Date de la décision : 15/10/2004
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 15 oct. 2004, n° 272934
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Stirn
Rapporteur ?: M. Bernard Stirn
Avocat(s) : SCP BACHELLIER, POTIER DE LA VARDE

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2004:272934.20041015
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