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09/12/2004 | FRANCE | N°274852

France | France, Conseil d'État, Juge des referes, 09 décembre 2004, 274852


Vu, la requête enregistrée le 3 décembre 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par la COMMUNE DE BEZIERS représentée par son maire dûment habilité, domicilié ès-qualités Hôtel de Ville, à Béziers (34500) ; la COMMUNE DE BEZIERS demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance en date du 18 novembre 2004 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a ordonné la suspension de l'arrêté du 8 octobre 200

4 pris par son maire ayant interdit à M. et Mme B... l'accès pour habitation ou...

Vu, la requête enregistrée le 3 décembre 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par la COMMUNE DE BEZIERS représentée par son maire dûment habilité, domicilié ès-qualités Hôtel de Ville, à Béziers (34500) ; la COMMUNE DE BEZIERS demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance en date du 18 novembre 2004 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a ordonné la suspension de l'arrêté du 8 octobre 2004 pris par son maire ayant interdit à M. et Mme B... l'accès pour habitation ou utilisation de l'immeuble situé au ... et a condamné la commune à leur verser la somme de 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code précité ;

2°) rejette les conclusions présentées par M et Mme B... ;

3°) condamne M. et Mme B... à lui verser la somme de 2 300 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 ainsi qu'aux dépens ;

elle expose qu'au mois de décembre 2003, le passage en rampe sur le terrain en dénivelé entre la rampe des Moulins et l'avenue Valentin Duc s'est effondré ; que le 29 avril 2004 le terrain en dénivelé entre le boulevard d'Angleterre et la rampe des Moulins a subi un éboulement ; qu'à la suite des études réalisées à sa demande par l'agence de Béziers du centre d'expertise du bâtiment et des travaux publics (Y...) et lors d'une réunion sur le terrain en date du 29 septembre 2004, a été constaté un danger pour les occupants des parcelles cadastrées respectivement section RT n° 160 (...) et n° 317 (...) ; que, dans ces circonstances, deux arrêtés d'interdiction d'habiter ont été pris par le maire sur le fondement des dispositions du 5° de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales et de l'article L. 2214-4 de ce code ; qu'à la demande de M et Mme B..., propriétaires de l'immeuble sis sur la parcelle n° 317, le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier, saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a ordonné la suspension de l'arrêté d'interdiction d'habiter frappant leur immeuble ; que cette ordonnance comporte des erreurs de fait ; qu'elle mentionne à tort un rapport du Y... réalisé à la suite d'une constatation sur le terrain le 29 septembre 2004 ; que, contrairement à ce qu'a relevé le premier juge, d'autres parcelles que celle appartenant à M. et Mme B... ont fait l'objet d'une interdiction d'habiter ; que tel est le cas pour la parcelle située n° 34 de l'avenue Valentin Duc, appartenant à M. X... ; que le principe de précaution a été invoqué au cours de l'audience, sans que le premier juge réponde à l'argument présenté par la commune sur ce point ; que le lancement en parallèle d'une expertise judiciaire n'implique pas une hésitation de la part du maire ; qu'indépendamment des vices qui entachent la motivation de l'ordonnance contestée, les conditions du référé liberté ne sont pas remplies ; que la condition d'urgence n'a pas été examinée objectivement ; qu'en effet, au regard de la gène causée à M. et Mme B..., que la commune s'est efforcée d'atténuer ainsi que l'atteste la délibération du conseil municipal du 10 novembre 2004 posant le principe de l'octroi d'une aide pour leur relogement, l'arrêté contesté est motivé par l'existence d'un danger grave et imminent ; que cet arrêté ne met pas en cause le droit de propriété de M. et Mme B... dans la mesure où il vise simplement, pour une période provisoire, la possession de leur maison et la possibilité d'y habiter ; que l'arrêté d'interdiction d'habiter est motivé en la forme ; qu'une procédure contradictoire a été respectée puisque les intéressés ont été mis à même de faire valoir leurs observations le 5 octobre 2004 ; qu'ainsi la violation de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 n'est pas établie ; que sur le plan de la légalité interne, les mesures prises sont justifiées pour faire cesser un danger pour la sécurité publique ; que le principe de précaution permet également, et par substitution de motifs s'il en était de besoin, de justifier légalement la mesure prise ;

Vu l'ordonnance attaquée ;

Vu, enregistré le 7 décembre 2004, le mémoire en défense présenté pour M. et Mme B... qui tend au rejet de la requête et à ce que la commune de Béziers soit condamnée à leur payer la somme de 2 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; M. et Mme B... font valoir que les griefs mettant en cause la régularité en la forme de l'ordonnance rendue par le premier juge ne sont pas pertinents ; qu'à cet égard, il n'est pas établi que l'ordonnance ne prendrait pas en compte l'audience de référé ; que même si le principe de précaution a été évoqué lors de la procédure orale, le juge des référés n'était pas tenu de répondre expressément à un tel argument ; qu'il ne saurait davantage lui être reproché d'avoir omis de mentionner un arrêté d'interdiction d'habiter concernant un autre propriétaire qui n'avait pas été produit ; que les conditions mises à l'application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative sont, ainsi que l'a estimé le premier juge, remplies ; que, tout d'abord, il y a urgence à ce que le juge des référés se prononce sur une mesure dont l'effet est d'empêcher des personnes d'occuper leur domicile ; qu'il y a également atteinte à la libre disposition de son bien par le propriétaire, laquelle constitue une liberté fondamentale ; que cette atteinte est manifestement illégale dès lors que la mesure d'interdiction prononcée n'est pas justifiée au regard des dispositions de l'article L. 2212-4 du code général des collectivités territoriales qui subordonnent l'intervention du maire à l'existence d'un danger grave ou imminent et imposent que ne soient prescrites que les mesures de sûreté exigées par les circonstances ; qu'en outre, ainsi que l'a relevé le premier juge, aucune des expertises diligentées depuis huit mois par la commune de Béziers n'a porté sur la parcelle qui appartient aux exposants ; que dans sa lettre du 30 novembre 2004 l'expert du Y... souligne qu'aucun signe visuel de glissement à court terme n'existe au droit de la parcelle de M. B... et conclut en revanche, à ce que soit réparée au plus tôt une fuite d'eau sur une parcelle voisine ; que bien que cette fuite date de décembre 2003, la commune s'est abstenue d'y remédier ;

Vu, enregistré le 8 décembre 2004, le mémoire complémentaire présenté par la commune de Béziers qui tend aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens ;

Vu les autres pièces du dossier et notamment l'arrêté n° 3191 du 8 octobre 2004 du maire de Béziers ;

Vu la Constitution, notamment son préambule ;

Vu le code général des collectivités territoriales, notamment ses articles L. 2212-2 (5°), L. 2212-4, L. 2213-24 et L. 2214-4 ;

Vu l'article L. 110-1 du code de l'environnement ;

Vu les articles L. 511-1 à L. 511-4 du code de la construction et de l'habitation ;

Vu le code de justice administrative, notamment ses articles L. 511-2, L. 521-2 et L. 761-1 ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la commune de Béziers, d'autre part, M. et Mme B... ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 8 décembre 2004 à 17 heures 30 au cours de laquelle ont été entendus :

- Maître Z..., avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la commune de Béziers,

- Maître A..., avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. et Mme B... ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ... aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale... ;

Considérant que l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales dont l'origine remonte à l'article 97 de la loi du 5 avril 1884, range parmi les buts assignés à la police municipale : 5° le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents et les fléaux calamiteux ainsi que les pollutions de toute nature, tels que .... les éboulements de terre ou de rochers ..... de pourvoir d'urgence à toutes les mesures d'assistance et de secours et, s'il y a lieu, de provoquer l'intervention de l'administration supérieure ; que l'article L. 2212-4 du même code, dont l'origine remonte à l'article 7 de la loi du 21 juin 1898, dispose dans son premier alinéa qu' En cas de danger grave ou imminent tel que les accidents naturels prévus au 5° de l'article L. 2212-2, le maire prescrit l'exécution des mesures de sûreté exigées par les circonstances ; qu'en pareil cas, il est spécifié au second alinéa du même article que le maire informe d'urgence le représentant de l'Etat dans le département et lui fait connaître les mesures qu'il a prescrites ;

Considérant qu'il appartient au maire, sur le fondement de ces dispositions, qui s'inspirent au demeurant d'une exigence de précaution inhérente à la sauvegarde de la sécurité publique, de prendre les mesures de sûreté exigées par les circonstances en cas de danger grave ou imminent tel que celui afférent à une mesure d'éboulement de terre ; qu'à ce titre, et pour autant que la situation de fait le justifie, il lui incombe d'interdire l'habitation ou la circulation dans la zone exposée à un tel danger ;

Considérant que les pouvoirs ainsi reconnus au maire, qui s'appliquent dans l'hypothèse où le danger menaçant un immeuble résulte d'une cause qui lui est extérieure, sont distincts des procédures de péril ou de péril imminent régies par les articles L. 511-1 à L. 511-4 du code de la construction et de l'habitation auxquels renvoie l'article L. 2213-24 du code général des collectivités territoriales, qui doivent être mises en oeuvre lorsque le danger provoqué par un immeuble provient à titre prépondérant de causes qui lui sont propres ;

Considérant que par un arrêté en date du 8 octobre 2004, pris sur le visa des articles L. 2212-2 et L. 2212-4 du code général des collectivités territoriales, le maire de Béziers a interdit à M. et Mme B..., occupants de l'immeuble sis ... et à toute personne d'accéder à cet immeuble pour habitation ou pour utilisation ; que cet arrêté est motivé par le risque d'effondrement du terrain en dénivelé entre la rampe des Moulins et l'avenue Valentin Duc et conclut à la nécessité de procéder à des études complémentaires de ce talus en vue de prévoir les mesures indispensables à la mise hors de danger du site ; que les appréciations ainsi portées sur la situation de fait sont déduites, d'une part, d'un rapport d'expertise établi à la date du 19 mai 2004, à la demande de la commune de Béziers, par un expert près la cour d'appel de Montpellier et, d'autre part, d'une réunion sur le terrain , en date du 29 septembre 2004 avec le représentant local du centre d'expertise du bâtiment et des travaux publics (Y...), où il a été constaté la dangerosité du terrain en dénivelé entre la rampe des Moulins et l'avenue Valentin Duc ;

Considérant que même si, comme le fait valoir la commune appelante, une interdiction d'habiter figure au nombre des mesures de police de la sécurité susceptibles d'être prises par le maire sur le fondement des dispositions précitées du code général des collectivités territoriales, l'interdiction faite à M. et Mme B... d'habiter l'immeuble dont ils sont propriétaires, n'en affecte pas moins l'exercice d'une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative ;

Considérant que la condition d'urgence posée par cet article s'apprécie objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce ; qu'à cet égard, doivent être prise en compte, non seulement l'atteinte portée de manière suffisamment grave et immédiate à la situation de la personne qui est visée par l'exécution de la mesure décidée par l'autorité administrative et dont la suspension est demandée, mais également les considérations d'intérêt général qui servent de fondement à cette mesure ; que lorsque l'autorité de police a recours aux pouvoirs qui lui sont conférés par l'article L. 2212-4 du code général des collectivités territoriales, dont l'usage légal est lui-même conditionné par l'existence d'un danger grave ou imminent, le respect de la condition d'urgence exigé par l'article L. 521-2 du code de justice administrative recoupe très largement, l'appréciation que le juge des référés est amenée à porter, en l'état de l'instruction, sur la légalité interne de la mesure de police contestée ;

Considérant sans doute que les éléments versés au dossier ne permettent pas de regarder comme établi avec certitude que la parcelle cadastrée 317, sur laquelle est implanté l'immeuble à usage d'habitation appartenant à M. et Mme B..., serait exposée à un danger grave ou imminent ; qu'en effet, aucun des rapports d'expertise qui traitent des désordres ayant affecté le talus de la rampe des Moulins ne mentionne cette parcelle ; qu'en outre, s'il est soutenu que la situation de cet immeuble a été évoquée lors de la visite faite sur le terrain par un représentant du Y..., aucun procès-verbal n'a été dressé de ce transport sur les lieux ; que dans une lettre du 30 novembre 2004 émanant de cet organisme, il est relevé à titre de synthèse qu'il peut être retenu qu'aucun signe visuel de glissement à court terme n'existe au droit de la parcelle de M. B... ; qu'il ressort de ce même document qu'il y a urgence à procéder à la réparation d'une fuite d'eau à hauteur de l'immeuble voisin, sis au 34 de la rue Valentin Duc lequel a fait l'objet d'un arrêté d'interdiction d'habiter pris le 12 mars 2004 ;

Considérant cependant qu'il ne peut être déduit des éléments versés au dossier que l'arrêté du 8 octobre 2004 ait été, à la date où il a été pris, entaché d'une illégalité revêtant un caractère manifeste, seule susceptible de justifier la mise en oeuvre de la procédure de protection particulière instituée par l'article L. 521-2 du code de la justice administrative ; que la commune de Béziers est, dès lors, fondée à demander l'annulation de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Montpellier dont elle a relevé appel ;

Sur les conclusions relatives à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la commune de Béziers, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, soit condamnée à verser à M. et Mme B... la somme que ces derniers réclament au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ; que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions ayant le même objet présentées par la commune et tendant à la condamnation de M. et Mme B... ;

O R D O N N E :

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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Montpellier en date du 18 novembre 2004 est annulée.

Article 2 : La demande de M. et Mme B... tendant à la mise en oeuvre de l'article L. 521-2 du code de justice administrative est rejetée.

Article 3 : Les conclusions de M. et Mme B... tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la COMMUNE DE BEZIERS est rejeté.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à la COMMUNE DE BEZIERS et à M. et Mme B....

Copie en sera adressée pour information au ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.


Sens de l'arrêt : Satisfaction totale
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 09 déc. 2004, n° 274852
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Président : M. Genevois
Avocat(s) : SCP CHOUCROY, GADIOU, CHEVALLIER ; SCP GASCHIGNARD

Origine de la décision
Formation : Juge des referes
Date de la décision : 09/12/2004
Date de l'import : 02/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 274852
Numéro NOR : CETATEXT000008233986 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2004-12-09;274852 ?
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