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21/12/2004 | FRANCE | N°275362

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 21 décembre 2004, 275362


Vu la requête, enregistrée le 16 décembre 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par Mme Julianne X, demeurant chez ... ; Mme X demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance en date du 30 novembre 2004 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa requête présentée sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative tendant à ce qu'il soit fait injonction au préfet de l'Isère d'enregistrer sa demande d'asile et de lui délivrer une autorisation provisoire d

e séjour nécessaire à l'examen de cette demande par l'Office français de p...

Vu la requête, enregistrée le 16 décembre 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par Mme Julianne X, demeurant chez ... ; Mme X demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance en date du 30 novembre 2004 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa requête présentée sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative tendant à ce qu'il soit fait injonction au préfet de l'Isère d'enregistrer sa demande d'asile et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour nécessaire à l'examen de cette demande par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et la Commission des recours des réfugiés ;

2°) d'enjoindre au préfet de l'Isère, sous astreinte, d'une part de la convoquer dans les trois jours et d'enregistrer sa demande d'asile et, d'autre part, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour aux fins susanalysées ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 900 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

elle expose qu'elle a été contrainte de quitter le Congo du fait de son activité militante ; qu'elle est entrée en France le 14 août 2004 en provenance de Brazzaville ; qu'une première autorisation provisoire de séjour en vue de présenter une demande d'asile lui a été délivrée par le préfet de l'Isère ; qu'en raison de son état de santé elle n'a pu transmettre de demande à l'OFPRA avant l'expiration du mois de validité mentionné dans cette autorisation ; que le préfet de l'Isère lui a délivré le 22 septembre 2004 une nouvelle autorisation provisoire de séjour ; qu'elle a saisi l'OFPRA d'une demande d'asile le 19 octobre 2004 ; qu'un refus lui a été opposé le 22 octobre au motif qu'en vertu du deuxième alinéa de l'article 1er du décret du 14 août 2004 la demande d'asile doit être déposée, complète, dans les vingt et un jours suivant la remise du document provisoire de séjour ; que la forclusion qui lui a ainsi été opposée étant imputable aux indications erronées figurant dans l'imprimé d'autorisation provisoire de séjour, elle a cherché à présenter une nouvelle demande le 22 novembre 2004 ; qu'un refus d'enregistrement lui a été opposé ; que, contrairement à ce qu'a estimé le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble le refus d'enregistrement de la demande d'asile par la préfecture est manifestement illégal, dès lors que celle-ci a compétence liée pour procéder à un tel enregistrement ; que le refus d'admission au séjour viole manifestement les articles 8 et 9 de la loi du 25 juillet 1952 dans leur rédaction issue de la loi du 10 décembre 2003 ; qu'en outre, le préfet de l'Isère en donnant des indications inexactes quant au délai de dépôt de la demande d'asile auprès de l'OFPRA a méconnu les dispositions de l'article 2 de la loi du 12 avril 2000 qui font obligation aux autorités administratives d'organiser un accès simple aux règles de droit qu'elles édictent ; qu'en tout état de cause, on ne saurait déduire de l'article 1er du décret du 14 août 2004 que le rejet d'une demande d'asile pour tardiveté ferait obstacle au dépôt d'une nouvelle demande ; que le refus du préfet méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ; qu'il ressort de l'ensemble de ces circonstances que la préfecture de l'Isère a porté une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ; que l'urgence est caractérisée par l'éventualité d'une reconduite à la frontière, par la nécessité pour elle de continuer à bénéficier de la couverture maladie universelle par application de l'article R. 380-1 du code de la sécurité sociale et par l'intérêt qui s'attache à ce qu'elle puisse se voir allouer l'allocation d'insertion prévue par l'article R. 351-10 du code du travail ;

Vu l'ordonnance attaquée ;

Vu, enregistré le 20 décembre 2004 le mémoire en défense présenté par le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales qui conclut au rejet de la requête par les motifs que la préfecture de l'Isère n'a pas, à ce jour opposé un refus de séjour à Mme X alors qu'elle aurait pu prendre une mesure en ce sens sur le fondement du troisième alinéa de l'article 16 du décret du 30 juin 1946 modifié par le décret n° 2004-813 du 14 août 2004 ; que même si la requérante a été induite en erreur par les mentions de l'imprimé d'autorisation provisoire de séjour délivré le 22 septembre 2004, sa demande d'asile était en tout état de cause tardive au regard du délai de vingt et un jours fixé par le décret n° 2004-814 du 14 août 2004 ; que faute pour l'intéressée de produire des pièces justifiant les persécutions dont elle aurait été l'objet, il n'est nullement établi qu'elle se trouverait exposée en cas de retour dans le pays dont elle a la nationalité à des traitements prohibés par l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ; que de toute façon aucune décision de refus de séjour n'a été prise à son encontre ; qu'il n'y a pas urgence ; qu'en effet, le retard dans le dépôt du dossier de demande d'asile est imputable à la requérante et ne se trouve pas justifié par son état de santé ; que l'administration conserve la possibilité de lui accorder un titre de séjour ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution, notamment son préambule et l'article 55 ;

Vu la loi n° 54-290 du 17 mars 1954 autorisant le Président de la République à notifier la convention de Genève relative au statut des réfugiés, ensemble le décret n° 54-1055 du 14 octobre 1954 portant publication de cette convention ;

Vu la loi n° 70-1076 du 25 novembre 1970 autorisant l'adhésion de la France au protocole relatif au statut des réfugiés signé à New York le 31 janvier 1967 par le Président de l'assemblée générale et par le secrétaire général des Nations Unies, ensemble le décret n° 71-289 du 9 avril 1971 portant publication de ce protocole ;

Vu l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France modifiée notamment par la loi n° 2003-1119 du 26 novembre 2003, en particulier ses articles 2 et 5 ;

Vu la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, notamment ses articles 2 et 20 ;

Vu l'article 6 de l'ordonnance n° 2004-1248 du 24 novembre 2004 relative à la partie législative du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu l'article R. 380-1 du code de la sécurité sociale ;

Vu le décret n° 46-1574 du 30 juin 1946 réglementant les conditions d'entrée et de séjour en France des étrangers modifié notamment par le décret n° 2004-813 du 14 août 2004, en particulier ses articles 14, 15, 16 et 19 ;

Vu le décret n° 2004-814 du 14 août 2004 relatif à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et à la Commission des recours des réfugiés, notamment ses articles 1er, 2 et 33 ;

Vu le code de justice administrative, notamment ses articles L. 511-2, L. 521-2, L. 761-1 et L. 911-1 ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, Mme Julianne X, d'autre part, le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 20 décembre 2004 à 17 heures 30, au cours de laquelle ont été entendus :

- les représentants du ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public (...) aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale » ; que le respect de ces conditions revêt un caractère cumulatif ;

Considérant qu'au nombre des libertés fondamentales au sens de ces dispositions, il y a lieu de ranger le droit constitutionnel d'asile, qui a pour corollaire le droit pour un ressortissant étranger de solliciter le statut de réfugié ;

Considérant que l'article 8 de la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 dans sa rédaction issue de la loi du 10 décembre 2003 prévoit, dans un premier alinéa, qu'un étranger se trouvant à l'intérieur du territoire français doit, s'il demande à bénéficier de l'asile être préalablement admis au séjour ; qu'en vertu du deuxième alinéa du même article, cette admission au séjour ne peut être refusée au seul motif que l'intéressé est démuni des documents et des visas mentionnés à l'article 5 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 ; que, sans préjudice du droit souverain de l'Etat d'accorder l'asile et sous réserve du respect des stipulations de l'article 33 de la convention de Genève sur le statut des réfugiés, l'admission en France d'un étranger qui demande à bénéficier de l'asile ne peut être refusée que pour l'un des motifs énumérés aux 1° à 4° de l'article 8 de la loi n° 52-893 ; qu'en vertu de l'article 9 de la même loi, tel qu'il résulte de la loi du 10 décembre 2003, lorsqu'il est admis à séjourner en Franc en application de l'article 8, l'étranger qui demande à bénéficier de l'asile « se voit remettre un document provisoire de séjour lui permettant de déposer une demande d'asile auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides » (O.F.P.R.A) ; qu'il est spécifié que « l'office ne peut être saisi qu'après la remise de ce document au demandeur » ; que par son article 19 de la loi du 25 juillet 1952 a laissé à un décret en Conseil d'Etat le soin de fixer notamment, les conditions d'instruction des demandes d'asile dont l'office est saisi ; que le décret n° 2004-814 du 14 août 2004, pris sur ce fondement, énonce au deuxième alinéa de son article 1er qu' « A compter de la remise de l'autorisation provisoire de séjour prévue à l'article 9 de la loi... l'étranger demandeur d'asile dispose d'un délai de vingt et un jours pour présenter sa demande d'asile complète à l'office » ;

Considérant que le décret du 30 juin 1946, tel qu'il a été modifié par le décret n° 2004-813 du 14 août 2004, précise dans son titre III, intitulé « Du séjour des demandeurs d'asile » les formalités qui doivent être remplies par l'étranger qui, n'étant pas déjà admis à résider en France, sollicite son admission au titre de l'asile ; que, sous réserve que l'intéressé ait présenté une demande d'identification satisfaisant aux prescriptions de l'article 14 de ce décret, il doit, dans une délai de quinze jours, être mis en possession d'une autorisation provisoire de séjour portant la mention « en vue de démarches auprès de l'O.F.P.R.A. », d'une validité d'un mois, pour autant qu'il n'entre pas dans l'un des cas de refus énoncés aux 1° à 4° de l'article 8 de la loi du 25 juillet 1952 ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que Mme X ressortissante du Congo, a présenté, peu après son arrivée sur le territoire national, une demande tendant à l'obtention d'une autorisation provisoire de séjour en vue de démarches auprès de l'O.F.P.R.A. ; que le préfet de l'Isère a fait droit à sa demande le 24 août 2004 ; que l'intéressée n'ayant pu pour des raisons de santé transmettre de dossier complet de demande d'asile, le préfet lui a délivré une autorisation provisoire de séjour le 22 septembre 2004, valable pour une durée d'un mois en l'invitant à saisir dans ce même délai, l'O.F.P.R.A. d'une demande en vue du bénéfice de l'asile ; que, dans le délai qui lui était ainsi indiqué Mme X a saisi le 19 octobre 2004 l'O.F.P.R.A. d'un dossier qui a été rejeté par le directeur de l'office le 22 octobre, faute pour ce dossier d'avoir été présenté dans le délai de vingt et un jours prévu par l'article 1er du décret n° 2004-814 du 14 août 2004 ; qu'invités à corriger les conséquences du renseignement erroné contenu dans l'autorisation provisoire de séjour délivrée le 22 septembre 2004, les services de la préfecture de l'Isère ont refusé d'instruire une nouvelle demande d'autorisation provisoire de séjour dont la requérante les avait saisi afin de sauvegarder son droit de solliciter l'asile ;

Considérant qu'à aucun moment de la procédure il n'a été soutenu par l'administration que la demande d'autorisation de séjour en vue de solliciter l'asile devait se voir opposer un refus au titre de l'un des cas mentionnés aux 1° à 4° de l'article 8 de la loi du 25 juillet 1952 ; que l'autorité administrative, contrairement à l'obligation qui découle de l'article 2 de la loi du 12 avril 2000 susvisée d'informer le demandeur de l'étendue de ses droits et obligations, a adopté un comportement reposant sur une interprétation manifestement illégale des dispositions combinées de l'article 15 du décret du 30 juin 1946 modifié et de l'article 1er du décret n° 2004-814 du 14 août 2004 ; qu'un tel comportement est, dans les circonstances de l'espèce, constitutif d'une atteinte grave à une liberté fondamentale ;

Considérant que, compte tenu d'une part, de la volonté du législateur de voir régler rapidement la situation des demandeurs d'asile et, d'autre part, du fait que l'état de santé de la requérante nécessite que puisse lui être reconnue la qualité de demandeur du statut de réfugié, laquelle ouvre droit à la couverture maladie universelle, la condition d'urgence posée par l'article L. 521-2 du code de justice administrative est remplie ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu d'enjoindre au préfet de l'Isère de procéder à l'examen, dans un délai de huit jours suivant son dépôt par la requérante, lequel devra lui-même intervenir dans les huit jours suivant la notification de la présente ordonnance, d'une demande d'autorisation provisoire de séjour en vue de lui permettre de saisir, en pleine connaissance de ses droits et obligations, le directeur de l'O.F.P.R.A. d'une demande d'asile ; qu'il convient, ainsi que la requérante l'a demandé au cours de la procédure orale en premier ressort et conformément à ses écritures en cause d'appel, d'assortir l'injonction adressée au préfet de l'Isère d'une astreinte de 300 euros par jour de retard ; que Mme X est fondée en conséquence à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu de faire droit à ces conclusions et de condamner l'Etat à verser à Mme X la somme de 900 euros qu'elle réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

O R D O N N E :

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Article 1er : L'ordonnance susvisée du juge des référés du tribunal administratif de Grenoble est annulée.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de l'Isère de procéder à l'examen, dans un délai de huit jours suivant son dépôt par la requérante, lequel devra lui-même intervenir dans les huit jours suivant la notification de la présente ordonnance, d'une demande d'autorisation provisoire de séjour en vue de lui permettre de saisir le directeur de l'O.F.P.R.A.

Article 3 : Tout dépassement par le préfet de l'Isère du délai prescrit par l'article 2 exposera l'Etat à une astreinte de 300 euros par jour de retard.

Article 4 : L'Etat versera la somme de 900 euros au titre des frais exposés par Mme X et non compris dans les dépens.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme Julianne X, au préfet de l'Isère et au ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 21 déc. 2004, n° 275362
Mentionné aux tables du recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Président : M. Genevois
Rapporteur ?: M. Bruno Genevois

Origine de la décision
Formation : Juge des référés
Date de la décision : 21/12/2004
Date de l'import : 02/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 275362
Numéro NOR : CETATEXT000008230979 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2004-12-21;275362 ?
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