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10/01/2005 | FRANCE | N°262419

France | France, Conseil d'État, 6eme et 1ere sous-sections reunies, 10 janvier 2005, 262419


Vu, 1°, sous le numéro 262419, la requête, enregistrée le 5 décembre 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Guillaume Y, demeurant ... ; M. Y demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté sa demande tendant, d'une part, au retrait de certaines dispositions des articles 2 et 6 de l'arrêté du 8 juillet 2003 modifiant l'arrêté du 25 avril 1995 relatif à l'indemnisation des commissaires enquêteurs assurant les fonctions prévues par la loi n° 83-630 du 12 juillet 1983 et ch

argés de conduire les enquêtes prévues par le code de l'expropriat...

Vu, 1°, sous le numéro 262419, la requête, enregistrée le 5 décembre 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Guillaume Y, demeurant ... ; M. Y demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté sa demande tendant, d'une part, au retrait de certaines dispositions des articles 2 et 6 de l'arrêté du 8 juillet 2003 modifiant l'arrêté du 25 avril 1995 relatif à l'indemnisation des commissaires enquêteurs assurant les fonctions prévues par la loi n° 83-630 du 12 juillet 1983 et chargés de conduire les enquêtes prévues par le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, et l'arrêté du 27 février 1986 portant attribution d'indemnités aux commissaires enquêteurs assurant les fonctions prévues au code de l'expropriation pour cause d'utilité publique pour les procédures d'enquête préalables de droit commun et parcellaires, et d'autre part, à l'abrogation du troisième alinéa de l'article 3 de l'arrêté du 27 février 1986 et du deuxième alinéa de l'article 5 de l'arrêté du 25 avril 1995 ;

Vu, 2°, sous le numéro 265312, la requête, enregistrée le 8 mars 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Erwan X, demeurant ... ; M. X demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 4 décembre 2003 par laquelle le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie a rejeté sa demande d'abrogation du troisième alinéa de l'article 3 de l'arrêté du 27 février 1986 du deuxième alinéa de l'article 5 de l'arrêté du 25 avril 1995 relatifs à l'indemnisation des commissaires enquêteurs, ensemble les décisions implicites du ministre de l'écologie et du développement durable, du ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, du garde des sceaux, ministre de la justice, du ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire, du ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer, du ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales, du secrétaire d'Etat aux transports et à la mer et du secrétaire d'Etat au tourisme refusant d'abroger ces mêmes dispositions ;

2°) d'enjoindre à chacun des ministres et secrétaires d'Etat signataires desdits arrêtés d'abroger les dispositions en cause dans un délai d'un mois à compter de la décision à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de chacun des ministres et secrétaires d'Etat signataires desdits arrêtés le versement d'une somme de 150 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

…………………………………………………………………………

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu le code de l'environnement ;

Vu le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;

Vu le décret du 29 octobre 1936 relatif au cumul de retraites, de rémunérations et de fonctions ;

Vu le décret n° 85-453 du 23 avril 1985 ;

Vu le décret n° 2002-952 du 3 juillet 2002 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Bertrand Dacosta, Maître des Requêtes,

- les conclusions de M. Yann Aguila, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que les requêtes de MM. Y et X présentent à juger les mêmes questions ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une même décision ;

Considérant que l'arrêté interministériel du 27 février 1986 portant attribution d'indemnités aux commissaires enquêteurs assurant les fonctions prévues au code de l'expropriation pour cause d'utilité publique pour les procédures d'enquêtes préalables de droit commun et parcellaires prévoit, au troisième alinéa de son article 3, dans sa rédaction issue de l'arrêté du 8 juillet 2003, que « les vacations allouées aux commissaires enquêteurs qui perçoivent une rémunération quelconque d'une administration publique sont calculées sur la base d'un taux réduit de moitié » et que leur montant global annuel ne peut excéder un montant actuellement fixé à 2014 euros par commissaire enquêteur ; que l'arrêté interministériel du 25 avril 1995 relatif à l'indemnisation des commissaires enquêteurs assurant les fonctions prévues par la loi n° 83-630 du 12 juillet 1983 et chargés de conduire les enquêtes prévues par le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique prévoit, dans sa rédaction issue du même arrêté du 8 juillet 2003, des règles identiques au deuxième alinéa de son article 5 pour les seuls commissaires enquêteurs ayant la qualité de fonctionnaires en activité ;

Considérant que la requête de M. Y doit être interprétée comme tendant à l'annulation du refus par le Premier ministre d'abroger le troisième alinéa de l'article 3 de l'arrêté du 27 février 1986 et le deuxième alinéa de l'article 5 de l'arrêté du 25 avril 1995 ; que celle de M. X tend aux mêmes fins ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens des requêtes :

Considérant que l'autorité compétente, saisie d'une demande tendant à l'abrogation d'un règlement illégal, est tenue d'y déférer, que ce règlement ait été illégal dès son origine ou que son illégalité résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures ;

Considérant que les requérants soutiennent que les dispositions contestées portent atteinte au principe d'égalité entre commissaires enquêteurs ;

Considérant que si le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que des situations différentes soient réglées de manière différente ni à ce qu'il soit dérogé à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, c'est à la condition que la différence de traitement qui en résulte soit, dans l'un comme l'autre cas, en rapport avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des différences de situation ou des motifs susceptibles de la justifier ;

Considérant que ni la circonstance que le décret du 29 octobre 1936 encadre le cumul de rémunérations des fonctionnaires et agents publics ni le fait que ceux-ci sont soumis à un ensemble de règles spécifiques ne les placent, au regard de l'objet de la réglementation en cause, dans une situation différente de celle des autres commissaires enquêteurs ;

Considérant, il est vrai, que, comme le soutient l'administration en défense, la diversification de l'origine professionnelle des commissaires enquêteurs constitue un objectif d'intérêt général, eu égard à la proportion importante de fonctionnaires et agents publics dans les listes d'aptitude à ces fonctions ;

Mais considérant que s'il est loisible au pouvoir réglementaire d'instituer un dispositif propre à augmenter la proportion de commissaires enquêteurs issus du secteur privé, ou de prévoir des différences de rémunération d'une ampleur limitée, il ne saurait, sans méconnaître le principe d'égalité, réduire de moitié la rémunération des commissaires enquêteurs ayant la qualité de fonctionnaire ou d'agent public ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les requérants sont fondés à demander l'annulation du refus d'abroger le troisième alinéa de l'article 3 de l'arrêté du 27 février 1986 et le deuxième alinéa de l'article 5 de l'arrêté du 25 avril 1995 ;

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : « Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ... prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution » ;

Considérant que la présente décision implique nécessairement que les ministres compétents abrogent le troisième alinéa de l'article 3 de l'arrêté du 27 février 1986 et le deuxième alinéa de l'article 5 de l'arrêté du 25 avril 1995 ; qu'il y a lieu, dès lors, d'enjoindre au ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer, au ministre de l'écologie et du développement durable, au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et au ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales d'abroger ces dispositions dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1000 euros au titre des frais exposés par M. X et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

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Article 1er : Les décisions ministérielles refusant d'abroger le troisième alinéa de l'article 3 de l'arrêté du 27 février 1986 et le deuxième alinéa de l'article 5 de l'arrêté du 25 avril 1995 sont annulées.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer, au ministre de l'écologie et du développement durable, au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et au ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales d'abroger le troisième alinéa de l'article 3 de l'arrêté du 27 février 1986 et le deuxième alinéa de l'article 5 de l'arrêté du 25 avril 1995 dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision.

Article 3 : L'Etat versera à M. X une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des deux requêtes est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. Guillaume Y, à M. Erwan X, au Premier ministre, au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, au ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, au garde des sceaux, ministre de la justice, au ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer, au ministre de l'écologie et du développement durable, au ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, au ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité, au secrétaire d'Etat aux transports et à la mer et au secrétaire d'Etat au tourisme.


Synthèse
Formation : 6eme et 1ere sous-sections reunies
Numéro d'arrêt : 262419
Date de la décision : 10/01/2005
Sens de l'arrêt : Satisfaction totale
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

ACTES LÉGISLATIFS ET ADMINISTRATIFS - VALIDITÉ DES ACTES ADMINISTRATIFS - VIOLATION DIRECTE DE LA RÈGLE DE DROIT - PRINCIPES GÉNÉRAUX DU DROIT - ÉGALITÉ DEVANT LA LOI - VIOLATION - PROCÉDURE D'EXPROPRIATION POUR CAUSE D'UTILITÉ PUBLIQUE - ATTRIBUTION D'INDEMNITÉS AUX COMMISSAIRES ENQUÊTEURS - RÉDUCTION DE MOITIÉ DE LA RÉMUNÉRATION DES COMMISSAIRES ENQUÊTEURS AYANT LA QUALITÉ DE FONCTIONNAIRE OU D'AGENT PUBLIC (ARRÊTÉ DU 8 JUILLET 2003 MODIFIANT L'ARRÊTÉ DU 27 FÉVRIER 1986).

01-04-03-01 Ni la circonstance que le décret du 29 octobre 1936 encadre le cumul de rémunérations des fonctionnaires et agents publics ni le fait que ceux-ci sont soumis à un ensemble de règles spécifiques ne les placent, au regard de l'objet de la réglementation en cause, dans une situation différente de celle des autres commissaires enquêteurs. La diversification de l'origine professionnelle des commissaires enquêteurs constitue certes un objectif d'intérêt général, eu égard à la proportion importante de fonctionnaires et agents publics dans les listes d'aptitude à ces fonctions. S'il est ainsi loisible au pouvoir réglementaire d'instituer un dispositif propre à augmenter la proportion de commissaires enquêteurs issus du secteur privé, ou de prévoir des différences de rémunération d'une ampleur limitée, il ne peut légalement, sans méconnaître le principe d'égalité, réduire de moitié la rémunération des commissaires enquêteurs ayant la qualité de fonctionnaire ou d'agent public.

EXPROPRIATION POUR CAUSE D'UTILITÉ PUBLIQUE - RÈGLES GÉNÉRALES DE LA PROCÉDURE NORMALE - ENQUÊTES - ENQUÊTE PRÉALABLE - COMMISSAIRE ENQUÊTEUR - INDEMNITÉS - RÉDUCTION DE MOITIÉ DE LA RÉMUNÉRATION DES COMMISSAIRES ENQUÊTEURS AYANT LA QUALITÉ DE FONCTIONNAIRE OU D'AGENT PUBLIC (ARRÊTÉ DU 8 JUILLET 2003 MODIFIANT L'ARRÊTÉ DU 27 FÉVRIER 1986) - MÉCONNAISSANCE DU PRINCIPE D'ÉGALITÉ DEVANT LA LOI.

34-02-01-01-02 Ni la circonstance que le décret du 29 octobre 1936 encadre le cumul de rémunérations des fonctionnaires et agents publics ni le fait que ceux-ci sont soumis à un ensemble de règles spécifiques ne les placent, au regard de l'objet de la réglementation en cause, dans une situation différente de celle des autres commissaires enquêteurs. La diversification de l'origine professionnelle des commissaires enquêteurs constitue certes un objectif d'intérêt général, eu égard à la proportion importante de fonctionnaires et agents publics dans les listes d'aptitude à ces fonctions. S'il est ainsi loisible au pouvoir réglementaire d'instituer un dispositif propre à augmenter la proportion de commissaires enquêteurs issus du secteur privé, ou de prévoir des différences de rémunération d'une ampleur limitée, il ne peut légalement, sans méconnaître le principe d'égalité, réduire de moitié la rémunération des commissaires enquêteurs ayant la qualité de fonctionnaire ou d'agent public.

FONCTIONNAIRES ET AGENTS PUBLICS - RÉMUNÉRATION - CUMULS - ATTRIBUTION D'INDEMNITÉS AUX COMMISSAIRES ENQUÊTEURS DANS LE CADRE DE LA PROCÉDURE D'EXPROPRIATION POUR CAUSE D'UTILITÉ PUBLIQUE - RÉDUCTION DE MOITIÉ DE LA RÉMUNÉRATION DES COMMISSAIRES ENQUÊTEURS AYANT LA QUALITÉ DE FONCTIONNAIRE OU D'AGENT PUBLIC (ARRÊTÉ DU 8 JUILLET 2003 MODIFIANT L'ARRÊTÉ DU 27 FÉVRIER 1986) - MÉCONNAISSANCE DU PRINCIPE D'ÉGALITÉ DEVANT LA LOI.

36-08-04 Ni la circonstance que le décret du 29 octobre 1936 encadre le cumul de rémunérations des fonctionnaires et agents publics ni le fait que ceux-ci sont soumis à un ensemble de règles spécifiques ne les placent, au regard de l'objet de la réglementation en cause, dans une situation différente de celle des autres commissaires enquêteurs. La diversification de l'origine professionnelle des commissaires enquêteurs constitue certes un objectif d'intérêt général, eu égard à la proportion importante de fonctionnaires et agents publics dans les listes d'aptitude à ces fonctions. S'il est ainsi loisible au pouvoir réglementaire d'instituer un dispositif propre à augmenter la proportion de commissaires enquêteurs issus du secteur privé, ou de prévoir des différences de rémunération d'une ampleur limitée, il ne peut légalement, sans méconnaître le principe d'égalité, réduire de moitié la rémunération des commissaires enquêteurs ayant la qualité de fonctionnaire ou d'agent public.


Publications
Proposition de citation : CE, 10 jan. 2005, n° 262419
Publié au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Martin
Rapporteur ?: M. Bertrand Dacosta
Rapporteur public ?: M. Aguila

Origine de la décision
Date de l'import : 05/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2005:262419.20050110
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