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04/02/2005 | FRANCE | N°261029

France | France, Conseil d'État, 2eme et 7eme sous-sections reunies, 04 février 2005, 261029


Vu la requête, enregistrée le 14 octobre 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. Olivier X..., demeurant ... ; M. X... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance en date du 8 octobre 2003 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté, selon la procédure prévue à l'article L. 522 ;3 du code de justice administrative, sa demande tendant à la suspension de l'exécution de la décision implicite par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a refusé d'intervenir auprès de son homologue al

lemand afin que son fils mineur rejoigne le domicile conjugal d'origine...

Vu la requête, enregistrée le 14 octobre 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. Olivier X..., demeurant ... ; M. X... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance en date du 8 octobre 2003 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté, selon la procédure prévue à l'article L. 522 ;3 du code de justice administrative, sa demande tendant à la suspension de l'exécution de la décision implicite par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a refusé d'intervenir auprès de son homologue allemand afin que son fils mineur rejoigne le domicile conjugal d'origine de ses parents en France, ou à tout le moins, afin que les juridictions allemandes se déclarent incompétentes pour statuer sur la demande de divorce déposée par son épouse ainsi que sur l'autorité parentale exercée sur son fils ;

2°) statuant comme juge des référés, de suspendre l'exécution de cette décision ;

3°) d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, d'intervenir auprès de son homologue allemand aux fins susmentionnées dans un délai de deux jours à compter de la décision à intervenir, sous astreinte de 2 000 euros par jour de retard ;

4°) à défaut, d'ordonner toutes mesures utiles de nature à faire cesser les atteintes aux droits au respect d'une vie familiale normale ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761 ;1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91 ;647 du 10 juillet 1991 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu la convention sur les aspects civils de l'enlèvement international, signée à La Haye le 25 octobre 1980, ensemble la loi n° 82 ;486 du 10 juin 1982 qui en a autorisé la ratification et le décret n° 83 ;1021 du 29 septembre 1983 portant publication de cette convention ;

Vu la loi n° 91 ;647 du 10 juillet 1991 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-François Mary, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat de M. X...,

- les conclusions de Mme Emmanuelle Prada Bordenave, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'aux termes de l'article 3 de la convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants, publiée au Journal officiel de la République française du 1er décembre 1983 et entrée en vigueur, le même jour, à l'égard de la France : « Le déplacement ou le non-retour d'un enfant est considéré comme illicite : a) Lorsqu'il a lieu en violation d'un droit de garde, attribué à une personne, une institution ou tout autre organisme, seul ou conjointement, par le droit de l'Etat dans lequel l'enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour ; et b) Que ce droit était exercé de façon effective seul ou conjointement, au moment du déplacement et du non-retour, ou l'eût été si de tels événements n'étaient survenus.// Le droit de garde visé en a) peut notamment résulter d'une attribution de plein droit, d'une décision judiciaire ou administrative, ou d'un accord en vigueur selon le droit de cet Etat » ; que l'article 5 de cette même convention précise qu'au sens de celle-ci : « a) le ‘‘droit de garde'' comprend le droit portant sur les soins de la personne de l'enfant, et en particulier, celui de décider de son lieu de résidence ;// b) le ‘‘droit de visite'' comprend le droit d'emmener l'enfant pour une période déterminée dans un lieu autre que celui de sa résidence habituelle » ; que, selon le premier alinéa de l'article 8 de la convention : « La personne, l'institution ou l'organisme qui prétend qu'un enfant a été déplacé ou retenu en violation d'un droit de garde peut saisir soit l'autorité centrale de la résidence habituelle de l'enfant, soit celle de tout autre Etat contractant pour que celles-ci prêtent leur assistance en vue d'assurer le retour de l'enfant… » ; que l'article 27 de la convention dispose, toutefois, que : « Lorsqu'il est manifeste que les conditions requises par la Convention ne sont pas remplies ou que la demande n'est pas fondée, une autorité centrale n'est pas tenue d'accepter une telle demande. En ce cas, elle informe immédiatement de ses motifs le demandeur ou, le cas échéant, l'autorité centrale qui lui a transmis la demande » ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que, par lettres en date des 23 et 30 avril 2003, M. X... a demandé au garde des sceaux, ministre de la justice, désigné par la France comme étant l'autorité centrale chargée de satisfaire aux obligations qui lui sont imposées par la convention de La Haye, de lui prêter l'assistance prévue par l'article 8 de cette convention, en vue d'assurer le retour de son fils Julian, né le 15 septembre 1994 à Pontault-Combault, que sa mère aurait selon lui « déplacé », au sens de l'article 3 de la convention, en l'emmenant en 1998 en Allemagne, pour y vivre avec elle ; que le garde des sceaux, ministre de la justice, a implicitement refusé d'accéder à la demande de M. X... ;

Considérant qu'en retenant, dans le motif de l'ordonnance contre laquelle M. X... se pourvoit en cassation, que les actions susceptibles d'être entreprises sur le fondement des stipulations précitées sont au nombre des actes se rattachant aux relations internationales de la France, qui en raison de leur nature, échapperaient à tout contrôle juridictionnel, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a entaché son ordonnance d'une erreur de droit ; que M. X... est, par suite, fondé à demander l'annulation de cette ordonnance ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de l'article L. 821 ;2 du code de justice administrative et de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 521 ;2 du code de justice administrative : Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale... » ;

Considérant qu'il résulte des stipulations de la convention de La Haye que la saisine d'un Etat contractant, dans les conditions prévues par l'article 8 de cette convention, ne crée pour cet Etat une obligation d'agir vis-à-vis d'un autre Etat contractant que si la demande ne présente pas, eu égard, en particulier, à la nature illicite du déplacement de l'enfant, un caractère infondé ou n'a pas un objet étranger au champ d'application de la convention ; qu'il ressort des pièces du dossier que, par ordonnance en date du 16 novembre 2000, le juge aux affaires familiales de Melun, statuant avant dire droit sur la demande de divorce présentée par M. X... et après avoir constaté l'absence de conciliation des époux, a fixé, à titre provisoire, la résidence habituelle de l'enfant auprès de sa mère, en Allemagne, et accordé un droit de visite au père ; que cette mesure provisoire est devenue caduque par l'effet de l'ordonnance du 7 juin 2002 prononçant la radiation de la procédure de divorce engagée par M. X... du fait qu'aucun des époux n'avait assigné son conjoint dans le délai requis ; qu'enfin, le tribunal d'instance de Hambourg, après avoir donné le droit de garde provisoire à la mère, par une ordonnance du 4 septembre 1998, a prononcé le divorce des époux à la demande de Mme Y et attribué à cette dernière l'autorité parentale exclusive sur l'enfant, par un jugement du 10 mars 2003, dont M. X..., pourtant dûment averti, n'a pas interjeté appel ; qu'ainsi, la décision du garde des sceaux, ministre de la justice, refusant de prêter son assistance afin que les juridictions allemandes se déclarent incompétentes pour connaître du litige opposant M. X... à la mère de son fils, et que celui-ci puisse rentrer en France, au motif que le déplacement et le non-retour de cet enfant ne présentaient pas de caractère illicite, ne saurait être regardée comme ayant méconnu les stipulations de cette convention ; que la décision attaquée ne porte pas une atteinte manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue pour M. X... le droit au respect de sa vie familiale ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la requête de M. X..., y compris en ce qu'elle comporte des conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761 ;1 du code de justice administrative, doit être rejetée ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris en date du 8 octobre 2003 est annulée.

Article 2 : La demande présentée par M. X... devant ce tribunal est rejetée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. Olivier X... et au garde des sceaux, ministre de la justice.


Synthèse
Formation : 2eme et 7eme sous-sections reunies
Numéro d'arrêt : 261029
Date de la décision : 04/02/2005
Sens de l'arrêt : Satisfaction totale
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

54-035-03-02 PROCÉDURE. - PROCÉDURES INSTITUÉES PAR LA LOI DU 30 JUIN 2000. - RÉFÉRÉ TENDANT AU PRONONCÉ DE MESURES NÉCESSAIRES À LA SAUVEGARDE D'UNE LIBERTÉ FONDAMENTALE (ART. L. 521-2 DU CODE DE JUSTICE ADMINISTRATIVE). - RECEVABILITÉ. - EXISTENCE - CONVENTION DE LA HAYE DU 25 OCTOBRE 1980 SUR LES ASPECTS CIVILS DE L'ENLÈVEMENT INTERNATIONAL D'ENFANTS - RÉFÉRÉ DIRIGÉ CONTRE UN REFUS D'ASSISTANCE DU GARDE DES SCEAUX EN VUE D'ASSURER LE RETOUR DE L'ENFANT (ART. 8) - CONDITION - ATTEINTE AU RESPECT DE LA VIE FAMILIALE (SOL. IMPL.).

54-035-03-02 Il est possible d'engager une action en référé-liberté contre le refus du garde des sceaux de prêter son assistance à un parent qui le saisit en vue d'assurer le retour de son enfant en application de l'article 8 de la convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants, dès lors qu'est en cause le droit au respect de la vie familiale de l'intéressé.


Publications
Proposition de citation : CE, 04 fév. 2005, n° 261029
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : Mme Hagelsteen
Rapporteur ?: M. Jean-François Mary
Rapporteur public ?: Mme Prada Bordenave
Avocat(s) : SCP DELAPORTE, BRIARD, TRICHET

Origine de la décision
Date de l'import : 05/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2005:261029.20050204
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