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03/03/2005 | FRANCE | N°277736

France | France, Conseil d'État, Juge des referes, 03 mars 2005, 277736


Vu la requête, enregistrée le 18 février 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la société EUTELSAT, dont le siège est ... ; la société EUTELSAT demande au juge des référés du Conseil d'Etat, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de la décision du 10 février 2005 par laquelle le Conseil supérieur de l'audiovisuel l'a mise en demeure de cesser dans le délai d'un mois la diffusion du service de télévision SAHAR 1 ;

2°) d'enjoindre au Conseil supérieur de l'audiovis

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Vu la requête, enregistrée le 18 février 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la société EUTELSAT, dont le siège est ... ; la société EUTELSAT demande au juge des référés du Conseil d'Etat, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de la décision du 10 février 2005 par laquelle le Conseil supérieur de l'audiovisuel l'a mise en demeure de cesser dans le délai d'un mois la diffusion du service de télévision SAHAR 1 ;

2°) d'enjoindre au Conseil supérieur de l'audiovisuel de publier l'ordonnance de suspension sur son site internet le jour de sa notification ;

elle soutient qu'eu égard aux conséquences de la décision dont elle demande la suspension, la condition d'urgence est remplie ; que la mise en demeure contestée a le caractère d'une décision faisant grief ; que, prise sans procédure contradictoire, elle a été adoptée dans des conditions irrégulières au regard de la loi du 12 avril 2000 ; que la société EUTELSAT, transporteur par satellites, n'a pas à veiller au contenu des programmes qu'elle transporte ; que cette société n'a pas non plus à s'assurer que les services qu'elle transporte ont satisfait à l'obligation qui leur incombe de passer une convention ; que le Conseil supérieur de l'audiovisuel ne tire d'aucun texte de droit interne ni d'aucune convention internationale le pouvoir d'ordonner à un opérateur satellitaire de cesser la diffusion d'un service de télévision ;

Vu la décision dont la suspension est demandée ;

Vu la copie de la requête à fin d'annulation présentée à l'encontre de cette décision ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 1er mars 2005, présenté par le Conseil supérieur de l'audiovisuel ; il tend au rejet de la requête ; le Conseil supérieur de l'audiovisuel soutient que la requête, dont l'objet va au-delà des mesures provisoires susceptibles d'être demandées au juge des référés, n'est pas recevable ; que la condition d'urgence n'est pas remplie ; qu'une mise en demeure n'a pas à être précédée d'une procédure contradictoire ; que la société EUTELSAT est soumise à des obligations qui découlent de la convention internationale qui est à l'origine de sa création et de la loi française ; qu'il appartient au Conseil supérieur de l'audiovisuel de mettre cette société en demeure de respecter ces obligations, et notamment celles de veiller à ce que les programmes transportés respectent les principes de la législation nationale et de s'assurer que les chaînes diffusées sont conventionnées ou déclarées ;

Vu les observations, enregistrées le 1er mars 2005, présentées par le ministre de la culture et de la communication ; elles tendent au rejet de la requête ; le ministre de la culture et de la communication soutient qu'EUTELSAT SA est un opérateur de réseaux satellitaires qui relève de la France ; qu'il appartient au Conseil supérieur de l'audiovisuel de le mettre en demeure de respecter ses obligations et notamment celle de ne diffuser que des chaînes conventionnées ; qu'une telle mise en demeure n'a pas le caractère d'une sanction ;

Vu le mémoire en réplique, enregistré le 2 mars 2005, présenté pour la société EUTELSAT ; la société EUTELSAT reprend les conclusions et les moyens de sa requête ; elle soutient en outre que la suspension de la mise en demeure contestée est au nombre des mesures que le juge des référés a compétence pour prononcer ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, modifiée notamment par la loi n° 2004-669 du 9 juillet 2004 ;

Vu la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la société EUTELSAT, d'autre part, le Conseil supérieur de l'audiovisuel, le Premier ministre et le ministre de la culture et de la communication ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 3 mars 2005 à 10 heures 30 au cours de laquelle ont été entendus :

- Me X..., avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la société EUTELSAT et les représentants de celle-ci ;

- les représentants du Conseil supérieur de l'audiovisuel ;

- les représentants du Premier ministre et du ministre de la culture et de la communication ;

Considérant que la société de droit français EUTELSAT, opérateur de réseau de télécommunications par satellite, a, par contrat, mis une partie de sa capacité de diffusion à la disposition d'un autre opérateur de réseaux satellitaires, la société de droit britannique British Télécommunications plc ; que cette société utilise la capacité mise contractuellement à sa disposition par la société EUTELSAT pour diffuser notamment vers la France un ensemble de chaînes de télévision, au nombre desquelles figure la chaîne SAHAR 1 dont les programmes sont édités par l' Islamic Republic of Iran Broadcasting (IRIB), qui a son siège en Iran ; que, par une décision en date du 10 février 2005, le Conseil supérieur de l'audiovisuel a mis en demeure la société EUTELSAT de cesser dans un délai d'un mois la diffusion du service de télévision SAHAR 1 ; que la société EUTELSAT demande au juge des référés du Conseil d'Etat d'ordonner la suspension de cette mise en demeure, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, en vertu duquel le juge des référés peut ordonner la suspension d'une décision administrative qui fait l'objet d'une requête à fin d'annulation lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de cette décision ;

Sur les dispositions législatives applicables :

Considérant que l'article 1er de la loi du 30 septembre 1986 dispose que la communication au public par voie électronique est libre et ajoute que l'exercice de cette liberté ne peut être limité que dans la mesure requise notamment par le respect de la dignité de la personne humaine et par la sauvegarde de l'ordre public ; que l'article 3-1 de cette loi confie au Conseil supérieur de l'audiovisuel, autorité indépendante le soin de garantir l'exercice de la liberté de communication en matière de radio et de télévision par tout procédé de communication électronique, dans les conditions définies par la présente loi ; que le cinquième alinéa de l'article 15 de la même loi précise que le Conseil supérieur de l'audiovisuel veille...à ce que les programmes des services de radiodiffusion sonore et de télévision ne contiennent aucune incitation à la haine ou à violence pour des raisons de race, de sexe, de moeurs, de religion ou de nationalité ;

Considérant que la loi n° 2004-469 du 9 juillet 2004 a introduit dans la loi du 30 septembre 1986 des dispositions nouvelles dont l'objet est de garantir le respect effectif des principes énoncés par cette loi dans le cas de services de télévision diffusés par des chaînes non européennes qui utilisent la capacité d'opérateurs de réseaux satellitaires relevant de la France ; qu'ainsi le Conseil supérieur de l'audiovisuel peut, en vertu de l'article 19 modifié de la loi du 30 septembre 1986, recueillir auprès de ces opérateurs toutes les informations nécessaires à l'identification des éditeurs des services de télévision transportés ; qu'à défaut d'autorisation, ces services doivent, en vertu de l'article 33-1 de la loi, conclure avec le Conseil supérieur de l'audiovisuel une convention définissant leurs obligations particulières ; que, dans la rédaction que lui a donnée la loi du 9 juillet 2004, l'article 42 de la loi du 30 septembre 1986 dispose que les opérateurs de réseaux satellitaires peuvent être mis en demeure de respecter les obligations qui leur sont imposées par les textes législatifs et réglementaires et par les principes définis aux articles 1er et 3-1. Le Conseil supérieur de l'audiovisuel rend publiques ces mises en demeure ; qu'aux termes enfin de l'article 42-10 de la loi du 30 septembre 1986, tel qu'il résulte également de la loi du 9 juillet 2004 : En cas de manquement aux obligations résultant des dispositions de la présente loi et pour l'exécution des missions du Conseil supérieur de l'audiovisuel, son président peut demander en justice qu'il soit ordonné à la personne qui en est responsable de se conformer à ces dispositions, de mettre fin à l'irrégularité ou d'en supprimer les effets. Cette demande peut avoir pour objet de faire cesser la diffusion, par un opérateur satellitaire, d'un service de télévision relevant de la compétence de la France dont les programmes portent atteinte à l'un au moins des principes mentionnés aux articles 1er, 3-1 ou 15 ;

Considérant, d'une part, qu'il incombe à tout opérateur de réseaux satellitaires relevant de la France de veiller à ce que les contrats qu'il conclut dans l'exercice de son activité subordonnent leur application au respect par les services de télévision transportés des règles et principes énoncés par ces dispositions législatives, en particulier l'obligation de conventionnement avec le Conseil supérieur de l'audiovisuel et l'interdiction dans les programmes de toute incitation à la haine ou à la violence pour des raisons de race, de sexe, de moeurs, de religion ou de nationalité ; qu'il appartient, d'autre part, au Conseil supérieur de l'audiovisuel d'user des pouvoirs que lui confère la loi pour assurer l'application effective des principes qu'elle a énoncés et, en particulier, de prendre les mesures appropriées pour faire cesser dans les plus brefs délais le transport et la diffusion de tout programme contenant une incitation à la haine ou à la violence pour des raisons de race, de sexe, de moeurs, de religion ou de nationalité ; qu'il peut à cet effet adresser aux opérateurs de réseaux satellitaires une mise en demeure sur le fondement de l'article 42 de la loi du 30 septembre 1986 ; qu'une telle mise en demeure, qui n'a pas le caractère d'une sanction, a pour objet de prescrire, sans préjudice d'une éventuelle saisine du président de la section du contentieux du Conseil d'Etat selon la procédure prévue par l'article 42-10 de cette loi, des mesures proportionnées à la nature et à la gravité des manquements constatés et destinées à mettre fin à ceux-ci ;

Sur la demande de suspension de la mise en demeure contestée :

Considérant, en premier lieu, que les mises en demeure adressées par le Conseil supérieur de l'audiovisuel en application de l'article 42 de la loi du 30 septembre 1986, qui, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, n'ont pas le caractère de sanction, engagent une procédure au cours de laquelle l'opérateur est à même de s'expliquer devant l'autorité de régulation et n'ont pas à être elles-mêmes précédées d'un débat contradictoire ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'il ressort des pièces versées au dossier soumis au juge des référés, et qu'il n'est d'ailleurs pas contesté, que la chaîne SAHAR 1 a diffusé deux feuilletons et une émission qui comportent des connotations antisémites caractérisées ; qu'au demeurant l'un de ces feuilletons est au nombre des émissions qui ont conduit le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat à enjoindre, par une ordonnance en date du 13 décembre 2004 rendue dans le cadre de la procédure prévue par l'article 42-10 de la loi du 30 septembre 1986, à la société EUTELSAT de faire cesser dans un délai de quarante-huit heures la diffusion sur ses satellites d'un autre service de télévision ; qu'au surplus la société SAHAR 1 n'a conclu aucun conventionnement avec le Conseil supérieur de l'audiovisuel ; que dans ces conditions, et eu égard en particulier à la nature et la gravité des manquements constatés aux principes énoncés par l'article 15 de la loi du 30 septembre 1986, le moyen tiré de ce qu'en décidant de mettre la société EUTELSAT, opérateur de réseaux satellitaires qui relève de la France, en demeure de prendre, dans un délai d'un mois, les mesures nécessaires pour faire cesser le transport sur ses satellites des émissions de la chaîne SAHAR 1, le Conseil supérieur de l'audiovisuel aurait excédé les pouvoirs que lui confère l'article 42 de cette loi n'est pas, en l'état de l'instruction, de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de cette mesure ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le Conseil supérieur de l'audiovisuel, que la requête à fin de suspension de la société EUTELSAT doit être rejetée ; que les conclusions à fin d'injonction présentées par cette société doivent être rejetées par voie de conséquence ;

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de la société EUTELSAT est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la société EUTELSAT, au président du Conseil supérieur de l'audiovisuel, au Premier ministre et au ministre de la culture et de la communication.


Synthèse
Formation : Juge des referes
Numéro d'arrêt : 277736
Date de la décision : 03/03/2005
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 03 mar. 2005, n° 277736
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Stirn
Rapporteur ?: M. Bernard Stirn
Avocat(s) : SCP PIWNICA, MOLINIE

Origine de la décision
Date de l'import : 05/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2005:277736.20050303
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