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09/03/2005 | FRANCE | N°221463

France | France, Conseil d'État, 7eme sous-section jugeant seule, 09 mars 2005, 221463


Vu le recours du MINISTRE DE LA DEFENSE, enregistré le 25 mai 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat ; le MINISTRE DE LA DEFENSE demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance du 31 mars 2000 par laquelle le président de la cour administrative d'appel de Nantes a confirmé le jugement du 23 février 1998 par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Nantes a annulé sa décision du 23 mars 1993 refusant à M. Francis X le bénéfice de la prime de qualification créée par le décret du 23 décembre 1976 portant création d'u

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Vu le recours du MINISTRE DE LA DEFENSE, enregistré le 25 mai 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat ; le MINISTRE DE LA DEFENSE demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance du 31 mars 2000 par laquelle le président de la cour administrative d'appel de Nantes a confirmé le jugement du 23 février 1998 par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Nantes a annulé sa décision du 23 mars 1993 refusant à M. Francis X le bénéfice de la prime de qualification créée par le décret du 23 décembre 1976 portant création d'une prime de service et d'une prime de qualification en faveur des sous-officiers au titre de son affectation au Gabon du 15 juin 1989 au 1er novembre 1991 et a condamné l'Etat à verser à l'intéressé, dans la limite de 28 600,00 F (4 360,04 euros), le montant de cette prime, assorti des intérêts au taux légal à compter du 9 avril 1993 et de la capitalisation des intérêts au 30 mai 1994 ;

2°) réglant l'affaire au fond, d'annuler le jugement du magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Nantes et de rejeter la demande présentée devant ce tribunal par M. X ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble son premier protocole additionnel ;

Vu la loi n° 94-1163 du 29 décembre 1994 ;

Vu le décret n° 67-290 du 28 mars 1967 modifié ;

Vu le décret n° 68-349 du 19 avril 1968 modifié ;

Vu le décret n° 76-1191 du 23 décembre 1976, modifié notamment par le décret n° 94-1052 du 2 décembre 1994 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Julien Boucher, Auditeur,

- les observations de la SCP Boré, Xavier et Boré, avocat de M. X,

- les conclusions de M. Didier Casas, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que le MINISTRE DE LA DEFENSE demande l'annulation de l'ordonnance du 31 mars 2000 par laquelle le président de la cour administrative d'appel de Nantes a confirmé le jugement du 23 février 1998 par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Nantes a annulé sa décision du 23 mars 1993 refusant à M. Francis X, sous-officier dans l'armée de terre, le bénéfice de la prime de qualification créée par le décret du 23 décembre 1976 portant création d'une prime de service et d'une prime de qualification en faveur des sous-officiers au titre de son affectation au Gabon, du 15 juin 1989 au 1er novembre 1991, et condamné l'Etat à verser à l'intéressé, dans la limite de 28 600,00 F (4 360,04 euros), le montant de cette prime, assorti des intérêts au taux légal à compter du 9 avril 1993 et de la capitalisation des intérêts au 30 mai 1994 ;

Considérant qu'aux termes du I de l'article 47 de la loi du 29 décembre 1994 de finances rectificative pour 1994 : La rémunération des personnels militaires en service à l'étranger ne comprend pas (...) la prime de service et la prime de qualification instituées par le décret n° 76-1191 du 23 décembre 1976 portant création d'une prime de service et d'une prime de qualification en faveur des sous-officiers. / Ces dispositions ont un caractère interprétatif, sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée ; que, pour confirmer le jugement par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Nantes a fait droit à la demande de M. X tendant au bénéfice de la prime de qualification, le président de la cour administrative d'appel de Nantes a estimé que ces dispositions étaient incompatibles avec les stipulations relatives aux droits et obligations de caractère civil du premier paragraphe de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, toutefois, ces stipulations ne s'appliquent pas aux personnes qui, comme c'est le cas des militaires, participent, par leurs fonctions, à l'exercice de la puissance publique et à la sauvegarde des intérêts généraux de l'Etat ; qu'ainsi, le MINISTRE DE LA DEFENSE est fondé à soutenir que le président de la cour administrative d'appel de Nantes a commis une erreur de droit en estimant que le litige dont il était saisi entrait dans le champ d'application de ces stipulations ;

Mais considérant qu'aux termes de l'article premier du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, relatif à la protection de la propriété : Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ; que les primes de qualification que perçoivent les militaires constituent des créances qui doivent être regardées comme des biens au sens de ces stipulations ; que les dispositions précitées du I de l'article 47 de la loi du 29 décembre 1994 de finances rectificative pour 1994 ont été adoptées après que le Conseil d'Etat statuant au contentieux eut, par une décision du 15 janvier 1992, jugé que les personnels militaires servant à l'étranger y conservaient le bénéfice de l'ensemble des accessoires permanents de la solde, au nombre desquels figurait alors, en vertu de l'article 4 du décret du 23 décembre 1976, la prime de qualification créée par ce décret, et après que le décret du 2 décembre 1994 eut modifié ce dernier texte en faisant obstacle à ce que les sous-officiers en service à l'étranger puissent désormais prétendre au versement d'une telle prime ; que ces dispositions législatives, qui sont entrées en vigueur après que M. X eut saisi le tribunal administratif de Nantes du litige l'opposant à l'Etat, ont eu pour effet de le priver rétroactivement du droit à l'attribution de la prime de qualification ; que ni la volonté d'éviter que les personnels militaires affectés à l'étranger conservent le bénéfice des avantages en cause pendant la période transitoire précédant la publication du décret du 2 décembre 1994, ni l'objectif d'éviter que des discriminations puissent naître de ce fait entre fonctionnaires civils et militaires de l'Etat ou entre les militaires ayant introduit un recours et ceux ne l'ayant pas fait, ni le souci de prévenir les conséquences financières de la décision précitée du Conseil d'Etat statuant au contentieux, ne constituent des motifs d'intérêt général de nature à justifier l'atteinte que la privation rétroactive de la prime de qualification que M. X devait légalement percevoir pendant son séjour à l'étranger a porté aux biens de ce dernier ; qu'ainsi, les dispositions du I de l'article 47 de la loi de finances rectificative pour 1994 sont incompatibles avec les stipulations de l'article premier du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que ce motif, qui répond à un moyen soulevé devant les juges du fond et ne nécessite l'appréciation d'aucune circonstance de fait, doit être substitué à celui, erroné en droit, retenu par le président de la cour administrative d'appel de Nantes, dont il justifie légalement la décision ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le MINISTRE DE LA DEFENSE n'est pas fondé à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. X et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le recours du MINISTRE DE LA DEFENSE est rejeté.

Article 2 : L'Etat versera à M. X une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au MINISTRE DE LA DEFENSE et à M. Francis X.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 09 mar. 2005, n° 221463
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Président : M. Delarue
Rapporteur ?: M. Julien Boucher
Rapporteur public ?: M. Casas
Avocat(s) : SCP BORE, XAVIER ET BORE

Origine de la décision
Formation : 7eme sous-section jugeant seule
Date de la décision : 09/03/2005
Date de l'import : 05/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 221463
Numéro NOR : CETATEXT000008217329 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2005-03-09;221463 ?
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