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14/03/2005 | FRANCE | N°278435

France | France, Conseil d'État, Juge des referes, 14 mars 2005, 278435


Vu la requête, enregistrée le 10 mars 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Bruno X, demeurant ... et tendant à ce que le juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) l'autorise, aux frais de l'Etat, à insérer dans les journaux « Le Progrès », « Lyon Figaro », « Le Figaro », « Le Monde », à la page « Politique », un communiqué (figurant dans un encadré de 7 centimètres de haut sur 15 centimètres de large) rédigé ainsi : « Le juge des référés d

u Conseil d'Etat, par une ordonnance en date du…, a constaté que les déclarations de Mo...

Vu la requête, enregistrée le 10 mars 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Bruno X, demeurant ... et tendant à ce que le juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) l'autorise, aux frais de l'Etat, à insérer dans les journaux « Le Progrès », « Lyon Figaro », « Le Figaro », « Le Monde », à la page « Politique », un communiqué (figurant dans un encadré de 7 centimètres de haut sur 15 centimètres de large) rédigé ainsi : « Le juge des référés du Conseil d'Etat, par une ordonnance en date du…, a constaté que les déclarations de Monsieur A. Morvan - recteur de l'académie de Lyon - à l'égard de M. Bruno X, notamment en date des 21 janvier 2005 dans le journal « Le Progrès », 27 janvier 2005, lors d'une cérémonie, 1er mars lors du journal télévisé du soir de la chaîne de télévision, TLM, 2 mars 2005 dans le journal « Lyon Capitale » ont constitué une atteinte au droit au respect de la présomption d'innocence dont doit bénéficier M. Bruno X. En conséquence, le juge des référés du Conseil d'Etat a ordonné aux frais de l'Etat, l'insertion du présent communiqué dans les journaux « Le Progrès », « Lyon Figaro », « Le Figaro » et « Le Monde ». En outre, le juge des référés du Conseil d'Etat a condamné l'Etat français à payer à Bruno X la somme de 2 000 euros à titre de provision sur les dommages et intérêts correspondants à son préjudice » ;

2°) à titre subsidiaire, au cas où cette formulation ne serait pas jugée adéquate, y substituer tout autre texte susceptible d'affirmer le droit de l'exposant à la présomption d'innocence ;

3°) dire et juger que l'Etat sera tenu de régler le coût de l'insertion de chacun de ces communiqués dans la limite de 4 000 euros, toutes taxes comprises, par insertion ;

4°) d'enjoindre au ministre chargé de l'éducation nationale d'ordonner à M. le recteur Morvan de ne plus prendre de positions dans la presse écrite et audiovisuelle au sujet de l'exposant, tant que les procédures disciplinaire ou pénale ne seront pas définitivement closes ;

5°) mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à titre de provision sur dommages et intérêts ainsi que la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

il fait valoir que depuis qu'il a tenu à Lyon le 11 octobre 2004 une conférence de presse il doit faire face tant à des poursuites disciplinaires qu'à des poursuites pénales ; que, dans le cadre de ces procédures, M. Morvan, recteur de l'académie de Lyon, le poursuit d'une vindicte particulière ; que l'exposant a cherché à faire usage du droit de réponse auprès des organes de presse qui rapportaient les propos du recteur ; qu'il a été contraint d'assigner ce dernier en référé, sur le fondement de l'article 9-1 du code civil devant le tribunal de grande instance de Lyon ; que le juge judiciaire, à la suite d'un déclinatoire de compétence présenté par le préfet du Rhône, s'est déclaré incompétent au profit de la juridiction administrative, au motif que les actes imputés à M. Morvan ne sont pas détachables de ses fonctions ; que si tel est le cas, les conditions d'application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative sont alors réunies ; que, tout d'abord, le droit à la présomption d'innocence, lequel constitue une liberté fondamentale est en cause ; que cette liberté est garantie par l'article 9-1 du code civil, l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, l'article 6, paragraphe 2, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 14, paragraphe 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ; que la Cour européenne des droits de l'homme a précisé que le principe fondamental que consacre l'article 6, paragraphe 2, garantit à tout individu que les représentants de l'Etat ne pourront pas le traiter comme coupable d'une infraction avant qu'un tribunal compétent ne l'ait établi ; qu'il y a lieu de relever ensuite qu'une atteinte grave a été portée au droit à la présomption d'innocence en raison de la multiplicité des interventions publiques de M. Morvan mettant en cause l'exposant ; qu'il en va ainsi des déclarations faites par le recteur à l'Agence France Presse le 13 octobre 2004, de deux interviews du 15 octobre, l'une au journal « Métro », l'autre à l'Agence de presse « Education, emploi formation », de l'entretien publié dans « Lyon Figaro » du 27 octobre, d'une interview à « aministia net » le 28 octobre, de déclarations lors de la réunion du Conseil de l'académie de Lyon du 17 novembre, d'un nouveau communiqué en date du 23 novembre, des propos relatés dans « Le Progrès » du 21 janvier 2005, lesquels ont été repris dans le journal « Lyon Mag », des déclarations faites le 27 janvier 2005 au lycée Ampère au cours d'une célébration de la libération du camp d'Auschwitz Birkenau, des déclarations faites le 1er mars 2005 à 19 heures 30, après la comparution de l'exposant le jour même devant la section disciplinaire, lors du journal télévisé de la chaîne locale T.L.M, des déclarations publiées dans le journal « Lyon capitale » le 2 mars alors que la section disciplinaire délibérait de la plainte formée par le président de l'Université Lyon III à l'encontre de l'exposant, et enfin des déclarations publiées dans le même journal le 9 mars 2005 consécutivement à la sanction infligée par l'instance disciplinaire du premier degré ; que les différentes déclarations du recteur ont été faites à des moments où il eût été nécessaire pour la régularité de la procédure et la sérénité des débats que ce haut fonctionnaire s'abstint de dire qu'il considérait l'exposant comme coupable ; que le comportement du recteur porte une atteinte manifestement illégale à la présomption d'innocence ; que c'est en vain qu'il tente de justifier son attitude par le fait qu'il aurait entendu agir comme « procureur » ; qu'en effet, en matière de respect de la présomption d'innocence il n'y a pas de place pour une justification ; que le recteur n'a au demeurant pas tenu le rôle d'autorité de poursuite dès lors que la section disciplinaire a été saisie par le président de l'université ; qu'en tout état de cause un procureur est tenu à une obligation de réserve jusqu'à la présentation de ses réquisitions à l'audience dans un contexte où l'égalité des moyens entre l'accusation et la défense est assurée ; qu'un procureur commettrait au surplus une grave faute s'il indiquait qu'il interjettera appel d'une décision avant qu'elle ne soit rendue ; que si le recteur entendait informer le public de ses initiatives, il devait le faire avec toute la réserve que commande le respect de la présomption d'innocence ; qu'en agissant comme il l'a fait, il a également porté atteinte au principe général d'égalité devant la justice ; qu'il y a lieu de relever en dernier lieu, que la condition d'urgence posée par l'article L. 521-2 du code de justice administrative est remplie ; qu'il y a en effet urgence à faire cesser des comportements répétés que seule une intervention extérieure, peut empêcher afin de garantir l'équité et la sérénité de la poursuite de la procédure disciplinaire, et du déroulement de la procédure pénale ; qu'en tout cas, l'exposant a droit à une réparation publique et immédiate ;

Vu le mémoire en défense enregistré le 11 mars 2005 présenté par le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche ; il tend au rejet de la requête ; il soutient que le requérant ne démontre pas que la condition d'urgence serait remplie dès lors que M. X ne met en cause aucune déclaration postérieure à la sanction disciplinaire prononcée le 3 mars 2005 ; que l'affirmation de la requête selon laquelle le recteur de l'académie de Lyon aurait méconnu de manière grave et manifestement illégale le droit à la présomption d'innocence repose sur une confusion entre la procédure disciplinaire dans le cadre de laquelle se situaient les interventions du recteur et l'enquête judiciaire ouverte par le procureur de la République ; que seules les déclarations non couvertes par le délai de prescription de trois mois découlant de l'article 65-1 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse peuvent être prises en compte ; que les déclarations du recteur contestées par le requérant se situent strictement dans le cadre de la procédure disciplinaire engagée par le président de l'université à son encontre et ne se prononcent pas sur sa culpabilité éventuelle sur le plan pénal ; que l'article 9-1 du code civil qui ne vise que les enquêtes et instructions judiciaires ne concerne pas l'engagement et le suivi d'une procédure disciplinaire contre un fonctionnaire ; que dès lors que les déclarations du recteur se placent exclusivement sur le terrain disciplinaire, et mettent en cause un manquement aux « obligations déontologiques et scientifiques » elles ne constituent pas une atteinte à la présomption d'innocence en raison de l'indépendance des procédures disciplinaires et pénales ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution, notamment son Préambule ;

Vu la loi n° 73-1227 du 31 décembre 1973 autorisant la ratification de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble le décret n° 74-360 du 3 mai 1974 portant publication de cette convention ;

Vu la loi n° 80-461 du 25 juin 1980 autorisant la ratification du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ensemble le décret n° 81-77 du 29 janvier 1981 qui en porte publication ;

Vu l'article 9-1 du code civil ;

Vu le III de l'article préliminaire du code de procédure pénale ;

Vu le code de l'éducation, notamment ses articles L. 141-6, L. 232-2, L. 232-3, L. 712-4, L. 952-2, L. 952-7, L. 952-8, et R. 232-23 à 232-43 ;

Vu la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, notamment ses articles 23, 35 ter et 65-1 ;

Vu le décret n° 92-657 du 13 juillet 1992 relatif à la procédure disciplinaire dans les établissements publics d'enseignement supérieur placés sous la tutelle du ministre chargé de l'enseignement supérieur, modifié par les décrets n° 95-842 du 13 juillet 1995 et n° 2001-98 du 1er février 2001, en particulier ses articles 9, 19, 23 et 37 ;

Vu le code de justice administrative, notamment ses articles L. 511-2, L. 521-2, L. 761-1, L. 911-1 et R. 311-1 (3°) ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. Bruno X, et d'autre part, le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 12 mars 2005 à 10 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- M. Bruno X ;

- les représentants du ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public (…) aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale… » ; que ces conditions revêtent un caractère cumulatif ;

Sur l'étendue des conclusions :

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier qu'à la suite d'une conférence de presse de M. X le 11 octobre 2004 à Lyon au siège de la fédération d'un parti politique, le président de l'Université Jean Moulin Lyon III, dont relève l'intéressé en sa qualité de professeur dans cette université, a saisi, le 22 octobre 2004, sur le fondement des dispositions de l'article 23 du décret du 13 juillet 1992 susvisé, la section disciplinaire de l'établissement, en faisant grief en particulier à la personne poursuivie d'avoir tenu en public « des propos à connotation négationniste et révisionniste réprouvés par le code pénal » ; qu'indépendamment des poursuites disciplinaires ainsi engagées et qui ont conduit au prononcé le 3 mars 2005 d'une sanction d'interdiction d'exercer toutes fonctions d'enseignement ou de recherche dans l'Université Lyon III pendant cinq ans, une enquête préliminaire a été ouverte avant que, sur instructions du garde des sceaux, ministre de la justice, le procureur général près la Cour d'appel de Lyon demande le 29 novembre 2004 au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Lyon d'engager des poursuites pour « contestation de crimes contre l'humanité » ;

Considérant que M. X a saisi le juge des référés du Conseil d'Etat, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une requête, dont il a modifié les termes au cours de l'audience publique par l'abandon de toute demande de versement d'une provision et par laquelle il sollicite, à titre principal, que soit ordonnée l'insertion dans divers organes de presse, d'un communiqué constatant que plusieurs déclarations publiques du recteur de l'académie de Lyon ont constitué une atteinte à son droit au respect de la présomption d'innocence et, à titre subsidiaire à ce qu'il soit enjoint au ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche d'ordonner au recteur de l'académie de Lyon de ne plus prendre de positions dans la presse écrite et audiovisuelle à son sujet tant que les procédures disciplinaire ou pénale ne seront pas définitivement closes ;

Sur l'atteinte alléguée à des libertés fondamentales :

En ce qui concerne le principe d'égalité :

Considérant que si le requérant se prévaut au soutien de ses conclusions, à la fois d'une atteinte à la présomption d'innocence et d'une méconnaissance du principe général d'égalité devant la justice, ce principe est distinct des libertés fondamentales dont la protection relève de la procédure instituée par l'article L. 521-2 du code de justice administrative ; que l'argumentation présentée sur ce dernier point ne saurait être accueillie ;

En ce qui concerne la présomption d'innocence :

Quant à la portée du principe :

Considérant en revanche que la présomption d'innocence, qui concourt à la liberté de la défense et à la protection des droits de la personne, constitue une liberté fondamentale ; qu'elle implique qu'en matière répressive la culpabilité d'une personne faisant l'objet de poursuites ne puisse être présentée publiquement comme acquise avant que ne soit intervenue une condamnation devenue irrévocable ; que le respect de cette exigence s'impose, non seulement devant les instances chargées de l'instruction puis du jugement de l'affaire, mais également vis-à-vis d'autres autorités publiques ;

Considérant que la présomption d'innocence ne saurait cependant faire obstacle à ce que l'autorité en charge des poursuites ou de l'instruction rassemble tous éléments de preuve susceptibles d'étayer à ses yeux un verdict de culpabilité ; que la présomption d'innocence doit en outre être conciliée avec l'information du public sur le déroulement des instances répressives en cours dans le respect des règles définies par les lois et règlements ;

Quant à l'étendue du contrôle du juge administratif des référés :

Considérant que l'article 9-1 du code civil, dans sa rédaction issue de l'article 91 de la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000, après avoir rappelé dans son premier alinéa que « Chacun a droit au respect de la présomption d'innocence » dispose dans son second alinéa que « lorsqu'une personne est, avant toute condamnation, présentée publiquement comme coupable de faits faisant l'objet d'une enquête ou d'une instruction judiciaire, le juge peut, même en référé, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que l'insertion d'une rectification ou la diffusion d'un communiqué, aux fins de faire cesser l'atteinte à la présomption d'innocence, et ce aux frais de la personne, physique ou morale, responsable de cette atteinte » ;

Considérant que si l'article 65-1 ajouté à la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse par la loi n° 93-2 du 4 janvier 1993 énonce que les actions fondées sur une atteinte au respect de la présomption d'innocence par voie de presse ou de communication audiovisuelle se prescrivent après trois mois révolus à compter du jour de l'acte de publicité, ces dispositions, alors même qu'elles sont applicables aussi bien aux délits de presse qu'aux actions introduites sur le fondement du second alinéa de l'article 9-1 du code civil, ne s'opposent pas à ce que le juge administratif des référés, prenne en considération tout élément de fait utile susceptible d'établir qu'une atteinte grave et manifestement illégale a été portée à la présomption d'innocence et à ce qu'il prescrive en pareil cas, toute mesure nécessaire à la sauvegarde de cette liberté fondamentale relevant de son office ;

Quant à l'application en l'espèce de la présomption d'innocence :

Considérant qu'aussi bien le décret du 13 juillet 1992 susvisé que le décret n° 90-1011 du 14 novembre 1990 relatif au Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche statuant en matière disciplinaire, dont les dispositions ont été codifiées par le décret n° 2004-703 du 13 juillet 2004 sous les articles R. 231-17 et suivants du code de l'éducation, confèrent des pouvoirs étendus au recteur en matière disciplinaire ; qu'à l'égard des enseignants-chercheurs, il a, conformément à l'article 23 du décret du 13 juillet 1992, la faculté d'engager la procédure en cas de défaillance du président de l'établissement ; que l'article 37 du même décret lui reconnaît un droit propre à interjeter appel devant la formation disciplinaire du Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche ; que la décision rendue par cette instance juridictionnelle, peut faire l'objet de sa part d'un recours en cassation formé devant le Conseil d'Etat ainsi que le prévoit l'article R. 232-43 du code de l'éducation, même s'il n'a pas engagé les poursuites en première instance ;

Considérant qu'il appartient au recteur d'académie dans le cadre de ces compétences, de rassembler tous éléments de preuve de nature à provoquer l'engagement de poursuites ou à justifier de sa part l'exercice d'une voie de recours ; que si, en fonction du contexte propre à chaque affaire, il lui est également loisible d'informer le public sur l'état d'avancement de la procédure, il doit, sauf à porter atteinte à la présomption d'innocence, s'abstenir de préjuger de l'issue des poursuites ; que s'impose en outre à lui, comme à toute autorité administrative, une obligation de neutralité ;

Considérant que le respect de ces impératifs vaut tout autant lorsque, indépendamment de poursuites disciplinaires, un agissement ou des propos reprochés à un enseignant-chercheur font également l'objet de poursuites pénales ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que jusqu'au 22 octobre 2004, date à laquelle comme il a été dit ci-dessus le président de l'Université Lyon III a décidé de saisir la section disciplinaire de poursuites à l'encontre de M. X, le recteur de l'académie de Lyon a agi dans le cadre de ses compétences et ses prises de position n'ont pas excédé l'exercice normal de ses responsabilités ; qu'en revanche, pendant la période où il a été procédé à l'instruction de la plainte ainsi que le soir même de l'audition de M. X par la section disciplinaire, le recteur a multiplié les déclarations publiques attestant qu'à ses yeux le manquement de l'intéressé à ses obligations déontologiques était établi et a appelé de ses voeux la sanction la plus grave susceptible d'être prononcée, celle de la révocation ; que ces prises de position, en raison de leur contenu catégorique, contrevenaient par elles-mêmes au principe de la présomption d'innocence ; que de plus, elles ont été formulées dans des termes désobligeants à l'égard de M. X, dont le recteur a estimé ne pas devoir même prononcer le nom « par souci d'hygiène » et dont il a appelé de ses voeux qu'il « soit chassé de la fonction publique » ; que, dans ces conditions, une atteinte grave et manifestement illégale a été portée à une liberté fondamentale ; qu'il y a lieu de relever à l'inverse que ni l'attitude du président de l'Université Lyon III, ni celle des rapporteurs devant la section disciplinaire ne tombent sous le coup de ces critiques ;

Sur la condition d'urgence :

Considérant qu'eu égard à la double circonstance que l'instance disciplinaire n'est pas close et que des poursuites pénales sont en cours, il y a urgence à ce que le juge des référés du Conseil d'Etat prenne les mesures nécessaires à la sauvegarde, au cas présent, de la présomption d'innocence ;

Sur l'injonction :

Considérant qu'il convient, non d'ordonner les insertions par voie de presse sollicitées par le requérant, à titre principal, mais de faire droit, pour partie, à ses conclusions subsidiaires en enjoignant aux diverses autorités administratives ayant à connaître de l'action disciplinaire engagée à l'encontre de M. X de s'abstenir de prendre des positions publiques, au sujet tant de la procédure disciplinaire que des poursuites pénales consécutives aux propos tenus le 11 octobre 2004 par l'intéressé, dans des conditions qui seraient contraires au principe de la présomption d'innocence ;

Considérant que la présente ordonnance ne préjuge en rien de l'appréciation à porter sur les poursuites engagées à l'encontre de M. X par les juridictions disciplinaires et pénales compétentes ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, par application de ces dispositions, de mettre à la charge de l'Etat, la somme de 2 000 euros réclamée par le requérant au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

O R D O N N E :

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Article 1er : Il est enjoint aux autorités administratives ayant à connaître de l'action disciplinaire qui a été engagée à l'encontre de M. Bruno X, en raison des propos qu'il a tenus le 11 octobre 2004, de s'abstenir de prendre des positions publiques, tant à son sujet qu'en ce qui concerne les poursuites pénales diligentées du fait de ces mêmes propos, dans des conditions qui seraient contraires au principe de la présomption d'innocence.

Article 2 : L'Etat versera à M. Bruno X la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à M. Bruno X et au ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.


Synthèse
Formation : Juge des referes
Numéro d'arrêt : 278435
Date de la décision : 14/03/2005
Sens de l'arrêt : Satisfaction partielle
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

PROCÉDURE - PROCÉDURES INSTITUÉES PAR LA LOI DU 30 JUIN 2000 - RÉFÉRÉ TENDANT AU PRONONCÉ DE MESURES NÉCESSAIRES À LA SAUVEGARDE D'UNE LIBERTÉ FONDAMENTALE (ART - L - 521-2 DU CODE DE JUSTICE ADMINISTRATIVE) - CONDITIONS D'OCTROI DE LA MESURE DEMANDÉE - ATTEINTE GRAVE ET MANIFESTEMENT ILLÉGALE À UNE LIBERTÉ FONDAMENTALE - LIBERTÉ FONDAMENTALE - EXISTENCE - PRÉSOMPTION D'INNOCENCE.

54-035-03-03-01-01 La présomption d'innocence, qui concourt à la liberté de la défense, constitue une liberté fondamentale. Elle implique qu'en matière répressive la culpabilité d'une personne faisant l'objet de poursuites ne puisse être présentée publiquement comme acquise avant l'intervention d'une condamnation devenue irrévocable. Le respect de cette exigence s'impose, non seulement devant les instances chargées de l'instruction puis du jugement de l'affaire, mais également vis-à-vis d'autres autorités publiques.

PROCÉDURE - PROCÉDURES INSTITUÉES PAR LA LOI DU 30 JUIN 2000 - RÉFÉRÉ TENDANT AU PRONONCÉ DE MESURES NÉCESSAIRES À LA SAUVEGARDE D'UNE LIBERTÉ FONDAMENTALE (ART - L - 521-2 DU CODE DE JUSTICE ADMINISTRATIVE) - CONDITIONS D'OCTROI DE LA MESURE DEMANDÉE - ATTEINTE GRAVE ET MANIFESTEMENT ILLÉGALE À UNE LIBERTÉ FONDAMENTALE - ATTEINTE GRAVE ET MANIFESTEMENT ILLÉGALE - EXISTENCE - PRÉSOMPTION D'INNOCENCE - DÉCLARATIONS PUBLIQUES D'UN RECTEUR D'ACADÉMIE RÉCLAMANT LA SANCTION LA PLUS SÉVÈRE À L'ENCONTRE D'UN PROFESSEUR D'UNIVERSITÉ FAISANT L'OBJET DE PROCÉDURES PÉNALES ET DISCIPLINAIRES.

54-035-03-03-01-02 Professeur d'université poursuivi devant le juge pénal et les instances disciplinaires pour avoir proféré des propos négationnistes. Recteur d'académie multipliant les déclarations publiques attestant qu'à ses yeux le manquement de l'intéressé à ses obligations déontologiques est établi et appelant de ses voeux la sanction la plus grave susceptible d'être prononcée, celle de la révocation. Prises de position, en raison de leur contenu catégorique et de la manière désobligeante dont elles ont été exprimées, qui constituent, dans les conditions de l'espèce, une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale qu'est la présomption d'innocence.


Publications
Proposition de citation : CE, 14 mar. 2005, n° 278435
Publié au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Genevois
Rapporteur ?: M. Bruno Genevois

Origine de la décision
Date de l'import : 05/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2005:278435.20050314
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