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20/04/2005 | FRANCE | N°265259

France | France, Conseil d'État, 6eme sous-section jugeant seule, 20 avril 2005, 265259


Vu la requête, enregistrée le 5 mars 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. Pierre X, demeurant ... ; M. X demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision implicite par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a rejeté sa demande en date du 6 novembre 2003 tendant à l'obtention de la jouissance immédiate de sa pension sur le fondement de l'article L. 24-I du code des pensions civiles et militaires de retraite ;

2°) d'enjoindre au ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire de le faire bénéficier de la

jouissance immédiate de sa pension de retraite à compter du 1er décembre 2003...

Vu la requête, enregistrée le 5 mars 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. Pierre X, demeurant ... ; M. X demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision implicite par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a rejeté sa demande en date du 6 novembre 2003 tendant à l'obtention de la jouissance immédiate de sa pension sur le fondement de l'article L. 24-I du code des pensions civiles et militaires de retraite ;

2°) d'enjoindre au ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire de le faire bénéficier de la jouissance immédiate de sa pension de retraite à compter du 1er décembre 2003 ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de l 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le traité de Rome instituant la Communauté économique européenne devenue la Communauté européenne ;

Vu le traité sur l'Union européenne et les protocoles qui y sont annexés ;

Vu le code des pensions civiles et militaires de retraites, ensemble la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Bruno Chavanat, Maître des Requêtes,

- les observations de Me Odent, avocat de M. X,

- les conclusions de M. Yann Aguila, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'aux termes de l'article 141 du traité instituant la Communauté européenne : 1. Chaque Etat membre assure l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins pour un même travail ou un travail de même valeur. 2. Aux fins du présent article, on entend par rémunération, le salaire ou traitement ordinaire de base ou minimum, et tous autres avantages payés directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l'employeur au travailleur en raison de l'emploi de ce dernier. L'égalité de rémunération, sans discrimination fondée sur le sexe, implique : a) que la rémunération accordée pour un même travail payé à la tâche soit établie sur la base d'une même unité de mesure ; b) que la rémunération accordée pour un travail payé au temps soit la même pour un même poste de travail ; que les pensions servies par le régime français de retraite des fonctionnaires entrent dans le champ d'application de ces stipulations ; que, nonobstant les stipulations de l'article 6, paragraphe 3, de l'accord annexé au protocole n° 14 sur la politique sociale joint au traité sur l'Union européenne, le principe de l'égalité des rémunérations s'oppose à ce qu'une bonification, pour le calcul d'une pension de retraite, accordée aux personnes qui ont assuré l'éducation de leurs enfants, soit réservée aux femmes, alors que les hommes ayant assuré l'éducation de leurs enfants seraient exclus du bénéfice de cette mesure ;

Considérant que le a) du 3° du I de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite institue la jouissance immédiate de la pension et en réserve le bénéfice aux femmes fonctionnaires lorsqu'elles sont mères de trois enfants vivants ou décédés par faits de guerre ou les ont élevés pendant au moins neuf ans ; que, si ces dispositions ont été modifiées par l'article 136 de la loi de finances rectificative du 30 décembre 2004, la rédaction nouvelle qui est issue de cette modification ne peut, à la date de la présente décision, recevoir d'application, à défaut de l'intervention du décret en Conseil d'Etat permettant sa mise en oeuvre ; qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que les dispositions applicables de l'article L. 24 précité sont incompatibles avec le principe d'égalité des rémunérations tel qu'il est affirmé par le traité instituant la Communauté européenne et par l'accord annexé au protocole n° 14 sur la politique sociale joint au traité sur l'Union européenne ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la décision implicite par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a rejeté la demande de M. X, tendant à l'obtention de la jouissance immédiate de sa pension sur le fondement du I - 3°) de l'article L. 24 alors même qu'il aurait assuré l'éducation de ses enfants, est entachée d'illégalité ; que, dès lors, M. X est fondé à demander pour ce motif l'annulation de la décision attaquée ;

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

Considérant que le contentieux des pensions civiles et militaires de retraite est un contentieux de pleine juridiction ; qu'il appartient, dès lors, au juge saisi de se prononcer lui même sur les droits des intéressés, sauf à renvoyer à l'administration compétente et sous son autorité le règlement de tel aspect du litige dans des conditions précises qu'il lui appartient de fixer ;

Considérant qu'il n'est pas contesté que M. X qui totalise plus de quinze années de service a assuré la charge de l'éducation de trois enfants ; que, dans la mesure où sont maintenues des dispositions plus favorables aux fonctionnaires de sexe féminin ayant assuré l'éducation de leurs enfants, en ce qui concerne la jouissance immédiate de la pension, M. X a droit, ainsi qu'il a été dit plus haut, à la jouissance immédiate de sa pension, prévue au a) du 3° du I de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite dans sa rédaction immédiatement antérieure à celle issue de la loi du 30 décembre 2004 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, en application de l'article L. 911-1 du code de justice administrative d'admettre M. X, dans les deux mois suivant la notification de la présente décision, au bénéfice de la jouissance immédiate de sa pension de retraite, ainsi qu'il le demande, à compter du 1er décembre 2003, l'intéressé ayant toutefois droit, en tout état de cause, à la rémunération du service fait jusqu'à la date de sa cessation définitive de fonctions sans pouvoir cumuler jusqu'à cette date, traitement d'activité et pension de retraite ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. X et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La décision implicite par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a rejeté la demande de M. X, tendant à obtenir la jouissance immédiate de sa pension est annulée.

Article 2 : Il est enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice d'admettre M. X, dans les deux mois suivant la notification de la présente décision, au bénéfice de la jouissance immédiate de sa pension de retraite à compter du 1er décembre 2003, dans les conditions précisées aux motifs de la présente décision.

Article 3 : L'Etat versera une somme de 1 500 euros à M. X au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Pierre X, au garde des sceaux, ministre de la justice et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.


Sens de l'arrêt : Satisfaction totale
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 20 avr. 2005, n° 265259
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Président : M. Bonichot
Rapporteur ?: M. Bruno Chavanat
Rapporteur public ?: M. Aguila
Avocat(s) : ODENT

Origine de la décision
Formation : 6eme sous-section jugeant seule
Date de la décision : 20/04/2005
Date de l'import : 05/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 265259
Numéro NOR : CETATEXT000008212634 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2005-04-20;265259 ?
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