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03/05/2005 | FRANCE | N°279999

France | France, Conseil d'État, Juge des referes, 03 mai 2005, 279999


Vu la requête, enregistrée le 27 avril 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat présentée par la CONFEDERATION FRANCAISE DES TRAVAILLEURS CHRETIENS (CFTC) dont le siège est ... (75483 Cedex 10) représentée par son président :

La CFTC demande au juge des référés du Conseil d'Etat, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative ;

1°) d'enjoindre au ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale d'une part de suspendre l'exécution de la « journée de solidarité » fixée au lundi de Pentecôte telle

que résultant de la circulaire du 15 décembre 2004 et de la note du 20 avril 200...

Vu la requête, enregistrée le 27 avril 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat présentée par la CONFEDERATION FRANCAISE DES TRAVAILLEURS CHRETIENS (CFTC) dont le siège est ... (75483 Cedex 10) représentée par son président :

La CFTC demande au juge des référés du Conseil d'Etat, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative ;

1°) d'enjoindre au ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale d'une part de suspendre l'exécution de la « journée de solidarité » fixée au lundi de Pentecôte telle que résultant de la circulaire du 15 décembre 2004 et de la note du 20 avril 2005 du ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale - direction des relations du travail (DRT) et, d'autre part, d'organiser, sous astreinte, une réunion de consultation et de concertation avec les partenaires sociaux aux fins de définir toute mesure susceptible d'atteindre l'objectif défini par la loi du 30 juin 2004 en respectant les libertés fondamentales ;

2° ) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 7 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

la CFTC soutient que les circulaires manifestent une action positive de l'administration, ajoutent à la loi et affectent l'ordre juridique ; que l'urgence est présente du fait de l'absence de négociation de branche et d'entreprise avant le prochain lundi de Pentecôte comme en témoigne la forte couverture médiatique et la mobilisation des acteurs économiques ; que les circulaires et le dispositif de la « journée de solidarité » portent une atteinte grave et manifestement illégale à plusieurs libertés fondamentales comme en premier lieu le principe d'interdiction du travail forcé ou obligatoire, car le paiement d'une rémunération est un élément nécessaire au contrat de travail alors qu'en l'espèce le salarié ne pourra pas refuser de travailler les sept heures supplémentaires sauf à s'exposer à procédure disciplinaire, et, en second lieu, le principe de non discrimination et d'égalité devant la loi, le respect de la vie privée et familiale ou encore la liberté de religion ou d'association ;

Vu enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 29 avril 2005, le mémoire présenté par le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale qui tend au rejet de la requête ; le ministre soutient que la double condition d'atteinte à une liberté fondamentale et d'illégalité manifeste n'est pas remplie ; que les circulaires litigieuses ne contiennent pas de dispositions impératives et n'ajoutent rien à la loi ; que l'inconventionnalité de la loi ne peut être regardée comme revêtant le caractère d'illégalité manifeste exigé pour la procédure de référé ; qu'il ne saurait y avoir du travail forcé puisque la loi se borne à augmenter le temps de travail dans le cadre d'une relation de travail pré-existante ; que le travail supplémentaire est rémunéré pour les salariés non mensualisés ; que les différenciations introduites par la loi entre salariés et non salariés sont justifiées par l'objet même de la mesure et le motif d'intérêt général auquel elle répond ; que les sept heures de travail supplémentaire ne peuvent porter atteinte à des libertés aussi essentielles que le droit au respect de la vie privée et familiale, la liberté de religion ou la liberté de réunion ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution et notamment son Préambule ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code du travail ;

Vu la loi n°2004-626 du 30 juin 2004 relative à la solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique d'une part, la CFTC et, d'autre part, le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 2 mai 2005 à 16 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- Me X..., avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la CFTC ;

- Les représentants de la CFTC ;

- Les représentants du ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale ;

Considérant que la CFTC demande, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, au juge des référés du Conseil d'Etat d'enjoindre au ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale d'une part de différer la mise en oeuvre de la « journée de solidarité » prévue par la loi du 30 juin 2004 et les circulaires litigieuses pour le lundi de Pentecôte du 19 mai 2005 et d'autre part de convier les partenaires sociaux à une négociation en vue de définir d'autres moyens pour atteindre l'objectif de solidarité fixé par cette loi ;

Considérant qu'en vertu de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : « saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public… aurait porté dans l'exercice d'un de ses pouvoirs une atteinte grave et manifestement illégale… » ; que le respect de ces conditions revêt un caractère cumulatif ;

Considérant que si la liberté du salarié de ne pas être astreint à accomplir un travail forcé est une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2, pour la mise en oeuvre des dispositions de cet article, le degré de gravité que peut revêtir une mesure affectant la liberté du travail doit prendre en compte les limitations de portée générale apportée à cette liberté qui ont été introduites par le législateur pour permettre certaines interventions jugées nécessaires de la puissance publique dans les relations du travail notamment sur la durée du travail, les jours fériés et les congés ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 222-1 du Code du travail : « les fêtes légales ci-après désignées sont des jours fériés : - le 1er janvier ; - le lundi de Pâques ; - le 1er mai ; - le 8 mai ; - l'Ascension ; - le lundi de Pentecôte ; - le 14 juillet ; - l'Assomption ; - la Toussaint ; - le 11 novembre ; - le jour de Noël » et qu'aux termes de l'article L. 222-5 du même code : « le 1er mai est jour férié et chômé » ; qu'il résulte de ces dispositions que le lundi de Pentecôte, à la différence du 1er mai, est légalement férié mais non obligatoirement chômé ; que le nouvel article L. 212-16 du code du travail issu de la loi du 30 juin 2004 dispose « qu'une journée de solidarité est instituée en vue d'assurer le financement des actions en faveur de l'autonomie des personnes âgées et handicapées. Elle prend la forme d'une journée supplémentaire de travail non rémunérée pour les salariés…en l'absence de convention ou d'accord, la journée de solidarité est le lundi de Pentecôte…le travail accompli dans la limite de sept heures, durant la journée de solidarité ne donne pas lieu à rémunération lorsque le salarié est rémunéré en application de la loi n°78-49 du 19 janvier 1978 relative à la mensualisation… » ;

Considérant qu'il n'apparaît pas, eu égard à l'office du juge des référés pour l'application de la procédure d'urgence de l'article L. 521-2, que la mise en oeuvre de la loi sur la « journée de solidarité » prévoyant qu'en dehors d'accords de branche ou d'entreprise fixant un autre jour, le lundi de Pentecôte sera travaillé et modifiant à cet effet la durée annuelle du travail sans rémunération supplémentaire pour les salariés mensualisés, telle qu'elle résulte des circulaires litigieuses, méconnaisse l'article 4 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté du travail du salarié ;

Considérant, enfin, qu'eu égard à l'objectif de solidarité poursuivi par le législateur, la mise en oeuvre de cette « journée de solidarité » qui, vis à vis des salariés, a pour seul effet de modifier le droit du temps de travail, même non étendue aux professions indépendantes lesquelles sont placées dans des conditions de droit social différentes et ne relèvent pas du code du travail quand elles ne sont pas employeurs, n'a pas davantage porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de religion, à la liberté d'association ou au droit au respect de la vie privée ;

Considérant qu'il suit de là que l'une des conditions exigées par l'article L. 521-2 du code de justice administrative ne se trouve pas remplie : qu'ainsi les conclusions à fins d'injonction de la CFTC doivent être rejetées ;

Sur les conclusions de la CFTC tendant à ce que l'Etat lui verse une somme de 7 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que la somme de 7 000 euros que la CFTC demande sur ce fondement soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante :

O R D O N N E :

------------------

Article 1er : La requête de la CONFEDERATION FRANCAISE DES TRAVAILLEURS CHRETIENS est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la CONFEDERATION FRANCAISE DES TRAVAILLEURS CHRETIENS et au ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale.


Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

54-035-03-03-01-01 PROCÉDURE. - PROCÉDURES INSTITUÉES PAR LA LOI DU 30 JUIN 2000. - RÉFÉRÉ TENDANT AU PRONONCÉ DE MESURES NÉCESSAIRES À LA SAUVEGARDE D'UNE LIBERTÉ FONDAMENTALE (ART. L. 521-2 DU CODE DE JUSTICE ADMINISTRATIVE). - CONDITIONS D'OCTROI DE LA MESURE DEMANDÉE. - ATTEINTE GRAVE ET MANIFESTEMENT ILLÉGALE À UNE LIBERTÉ FONDAMENTALE. - LIBERTÉ FONDAMENTALE. - LIBERTÉ DU SALARIÉ DE NE PAS ÊTRE ASTREINT UN TRAVAIL FORCÉ - APPRÉCIATION DE LA GRAVITÉ DE LA MESURE - PRISE EN COMPTE DES LIMITATIONS DE PORTÉE GÉNÉRALE APPORTÉES PAR LE LÉGISLATEUR.

54-035-03-03-01-01 Si la liberté du salarié de ne pas être astreint à accomplir un travail forcé est une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, le degré de gravité que peut revêtir une mesure affectant la liberté du travail doit prendre en compte, pour la mise en oeuvre des dispositions de cet article, les limitations de portée générale apportée à cette liberté qui ont été introduites par le législateur pour permettre certaines interventions jugées nécessaires de la puissance publique dans les relations du travail notamment sur la durée du travail, les jours fériés et les congés.


Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 03 mai. 2005, n° 279999
Mentionné aux tables du recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Président : M. Vigouroux

Origine de la décision
Formation : Juge des referes
Date de la décision : 03/05/2005
Date de l'import : 05/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 279999
Numéro NOR : CETATEXT000008217884 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2005-05-03;279999 ?
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