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27/07/2005 | FRANCE | N°268861

France | France, Conseil d'État, 10eme et 9eme sous-sections reunies, 27 juillet 2005, 268861


Vu, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 18 juin 2004, l'ordonnance en date du 8 juin 2004 par laquelle, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, le président de la cour administrative d'appel de Nantes a renvoyé au Conseil d'Etat le dossier de la requête de M. Gilles X ;

Vu la requête enregistrée au greffe de la cour administrative d'appel de Nantes le 21 mai 2004 et le mémoire complémentaire, enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 12 octobre 2004, présentés pour M. Gilles X, demeurant ... ; M.

X demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement en date ...

Vu, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 18 juin 2004, l'ordonnance en date du 8 juin 2004 par laquelle, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, le président de la cour administrative d'appel de Nantes a renvoyé au Conseil d'Etat le dossier de la requête de M. Gilles X ;

Vu la requête enregistrée au greffe de la cour administrative d'appel de Nantes le 21 mai 2004 et le mémoire complémentaire, enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 12 octobre 2004, présentés pour M. Gilles X, demeurant ... ; M. X demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement en date du 16 mars 2004 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la SNCF à lui payer les sommes correspondant au préjudice subi par lui du fait du défaut d'entretien des talus de la voie ferrée Tours-Poitiers, en particulier aux kilomètres 271 et 272 ;

2°) statuant au fond, de condamner la SNCF à lui verser une indemnité de 1 981,84 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 17 septembre 1998 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 97-135 du 13 février 1997 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-François Debat, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Parmentier, Didier, avocat de M. X et de Me Odent, avocat de la Société nationale des chemins de fer français,

- les conclusions de Mme Marie-Hélène Mitjavile, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que M. X demande l'annulation du jugement en date du 16 mars 2004 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la Société nationale des chemins de fer français à lui payer les sommes correspondant au préjudice subi par lui du fait du défaut d'entretien des talus de la voie ferrée Tours-Poitiers, en particulier entre les points kilométriques 270 et 272 ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ;

Considérant qu'aux termes de l'article 5 de la loi du 13 février 1997 : Les biens constitutifs de l'infrastructure et les immeubles non affectés à l'exploitation des services de transport appartenant à l'Etat et gérés par la Société nationale des chemins de fer français sont, à la date du 1er janvier 1997, apportés en pleine propriété à Réseau ferré de France. Les biens constitutifs de l'infrastructure comprennent les voies (…) et qu'aux termes de l'article 6 de la même loi : Réseau ferré de France est substitué à la Société nationale des chemins de fer français pour les droits et obligations liés aux biens qui lui sont apportés, à l'exception de ceux afférents à des dommages constatés avant le 1er janvier 1997 (…) ; qu'aux termes des troisième et quatrième alinéas de l'article 1er de cette loi : Compte tenu des impératifs de sécurité et de continuité du service public, la gestion du trafic et des circulations sur le réseau ferré national ainsi que le fonctionnement et l'entretien des installations techniques et de sécurité de ce réseau sont assurés par la Société nationale des chemins de fer français pour le compte et selon les objectifs et principes de gestion définis par Réseau ferré de France. Il la rémunère à cet effet./ Un décret en Conseil d'Etat précise les modalités d'exercice des missions de Réseau ferré de France. Sur la base de ce décret, une convention entre Réseau ferré de France et la Société nationale des chemins de fer français fixe, notamment, les conditions d'exécution et de rémunération des missions mentionnées au précédent alinéa ; qu'il résulte de ces dispositions que, si la responsabilité de Réseau ferré de France, maître de l'ouvrage, est susceptible d'être engagée sans faute pour tous les dommages permanents imputables à celui-ci, qu'ils résultent de son implantation, de son fonctionnement ou de son entretien, celle de la Société nationale des chemins de fer français, chargée de l'entretien des voies comme prestataire de services de Réseau ferré de France, ne peut être engagée vis-à-vis des tiers que si des dommages sont directement imputables aux modalités d'entretien de l'ouvrage, qui inclut la voie ferrée et ses dépendances ;

Considérant que, pour conclure à l'absence de caractère direct du lien entre l'absence d'entretien normal des talus de la voie ferrée Tours-Poitiers entre les bornes kilométriques 270 et 272, qui incombe à la Société nationale des chemins de fer français, et le préjudice subi par M. X, le tribunal administratif d'Orléans s'est fondé, d'une part, sur l'existence d'une convention de furetage conclue entre la Société nationale des chemins de fer français et M. X entre les bornes kilométriques 270 et 271 autorisant ce dernier à pénétrer sur le domaine public ferroviaire aux fins d'y pratiquer le furetage et, d'autre part, sur le refus de M. X de signer une telle convention entre les bornes kilométriques 271 et 272 ; qu'il ressort des pièces du dossier soumis au tribunal que l'objet de la convention de furetage, signée en 1986 entre M. X et la Société nationale des chemins de fer français et tacitement reconduite depuis lors, est d'autoriser M. X, contre le versement par lui d'une redevance annuelle, à pratiquer le furetage dans les talus et francs-bords de la ligne Paris-Bordeaux entre le km 270 et le km 271 ; qu'en se fondant sur de tels motifs pour conclure à l'absence de caractère direct du lien entre l'entretien du talus et le préjudice subi par M. X, alors que, d'une part, compte tenu de son objet, une telle autorisation ne saurait avoir eu légalement pour effet de transférer sur M. X la responsabilité de l'entretien des abords de la voie ferrée qui incombe à la Société nationale des chemins de fer français, et alors que, d'autre part, le refus de M. X, à le supposer même établi, de signer une telle convention est, en tout état de cause, sans incidence sur le caractère direct de ce lien, le tribunal administratif d'Orléans a commis une erreur de droit ; que M. X est, par suite, fondé à demander l'annulation de ce jugement ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond ;

Considérant qu'il résulte de l‘instruction, et notamment du rapport d'expertise judiciaire du 21 septembre 1998 et du constat d'huissier du 22 septembre 1998, que les dommages subis par les plantations de tournesol de M. X situées à proximité de la voie ferrée Tours-Poitiers, entre les km 270 et 272, sont liés à la prolifération des lapins de garenne dans les talus de cette voie ferrée, en particulier entre le km 271 et le km 272 ; que l'entretien de la voie ferrée et de ses abords incombe à la Société nationale des chemins de fer français sans, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, qu'une convention passée avec un tiers aux fins de furetage entre le km 270 et le km 271 puisse légalement y faire obstacle ; que, dans ces conditions, les dommages causés aux plantations de M. X doivent être regardés comme directement imputables aux conditions d'entretien de la voie ferrée et de ses abords et engagent la responsabilité de la Société nationale des chemins de fer français ;

Considérant qu'il ressort des conclusions de l'expertise judiciaire susmentionnée que les dommages subis par M. X ont été évalués à 13 000 F (1 981,84 euros) ; qu'ainsi, il sera fait une juste appréciation du préjudice causé à M. X en condamnant la Société nationale des chemins de fer français à lui verser la somme de 1 981,84 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 17 septembre 1998 ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la Société nationale des chemins de fer français une somme de 3 500 euros au titre des frais exposés par M. X devant le tribunal administratif et le Conseil d'Etat et non compris dans les dépens ; que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. X, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que demande la Société nationale des chemins de fer français au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif d'Orléans en date du 16 mars 2004 est annulé.

Article 2 : La Société nationale des chemins de fer français versera à M. X la somme de 1 981,84 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 17 septembre 1998.

Article 3 : La Société nationale des chemins de fer français versera à M. X la somme de 3 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions présentées par la Société nationale des chemins de fer français au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. Gilles X, à la Société nationale des chemins de fer français et au ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer.


Synthèse
Formation : 10eme et 9eme sous-sections reunies
Numéro d'arrêt : 268861
Date de la décision : 27/07/2005
Sens de l'arrêt : Satisfaction totale
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

RESPONSABILITÉ DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - FAITS SUSCEPTIBLES OU NON D'OUVRIR UNE ACTION EN RESPONSABILITÉ - FONDEMENT DE LA RESPONSABILITÉ - RESPONSABILITÉ SANS FAUTE - RESPONSABILITÉ ENCOURUE DU FAIT DE L'EXÉCUTION - DE L'EXISTENCE OU DU FONCTIONNEMENT DE TRAVAUX OU D'OUVRAGES PUBLICS - VICTIMES AUTRES QUE LES USAGERS DE L'OUVRAGE PUBLIC - TIERS - EXPLOITANTS DE CULTURES ENDOMMAGÉES PAR LES LAPINS SE MULTIPLIANT DANS LES REMBLAIS DES VOIES FERRÉES AVOISINANTES - A) RESPONSABILITÉ SANS FAUTE DE LA SNCF - CHARGÉE POUR LE COMPTE DE RÉSEAU FERRÉ DE FRANCE DE L'ENTRETIEN DES VOIES - DÈS LORS QUE LES DOMMAGES SONT DIRECTEMENT IMPUTABLES AUX MODALITÉS DE CET ENTRETIEN [RJ1] - B) CIRCONSTANCE SANS INCIDENCE SUR LA DÉVOLUTION DE LA RESPONSABILITÉ ET L'EXISTENCE D'UN LIEN DIRECT - EXISTENCE D'UNE CONVENTION DE FURETAGE OU REFUS DE SIGNER UNE TELLE CONVENTION.

60-01-02-01-03-01-01 a) La responsabilité sans faute de la Société nationale des chemins de fer français (SNCF), chargée de l'entretien des voies ferrées et de leurs dépendances comme prestataire de services de Réseau ferré de France, est engagée vis-à-vis des exploitants de cultures endommagées par les lapins se multipliant dans les remblais des voies, dès lors que ces dommages sont directement imputables aux modalités d'entretien de cet ouvrage public.,,b) La circonstance qu'une convention de furetage ait été signée entre la SNCF et un tiers, ou au contraire que ce dernier se soit refusé à signer une telle convention, n'a pas pour effet de lui transférer la responsabilité de l'entretien des abords de la voie ferrée, qui incombe à la SNCF, et ne saurait en tout état de cause avoir une incidence sur le caractère direct du lien entre le préjudice subi par ce tiers et l'absence d'entretien normal des talus de la voie ferrée.

RESPONSABILITÉ DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - PROBLÈMES D'IMPUTABILITÉ - PERSONNES RESPONSABLES - DOMMAGES PERMANENTS IMPUTABLES AU RÉSEAU FERRÉ NATIONAL DU FAIT DE SON IMPLANTATION - DE SON FONCTIONNEMENT OU DE SON ENTRETIEN - A) PRINCIPE - RESPONSABILITÉ SANS FAUTE DE RÉSEAU FERRÉ DE FRANCE [RJ1] - B) EXCEPTION - RESPONSABILITÉ SANS FAUTE DE LA SNCF POUR TOUS LES DOMMAGES DIRECTEMENT IMPUTABLES AUX MODALITÉS DE SON ENTRETIEN [RJ2] - 1) INCLUSION - RESPONSABILITÉ DE LA SNCF DU FAIT DES DOMMAGES CAUSÉS AUX CULTURES ENVIRONNANTES PAR LES LAPINS SE MULTIPLIANT DANS LES REMBLAIS DES VOIES FERRÉES - 2) CIRCONSTANCE SANS INCIDENCE - EXISTENCE D'UNE CONVENTION DE FURETAGE OU REFUS DE SIGNER UNE TELLE CONVENTION.

60-03-02 a) La responsabilité de Réseau ferré de France (RFF), maître de l'ouvrage constitué par le réseau ferré national et ses dépendances, est susceptible d'être engagée sans faute pour tous les dommages permanents imputables à celui-ci, qu'ils résultent de son implantation, de son fonctionnement ou de son entretien.,,b) La responsabilité sans faute de la Société nationale des chemins de fer (SNCF), chargée de l'entretien des voies comme prestataire de services de RFF, ne peut être engagée vis-à-vis des tiers qu'au titre de dommages directement imputables aux modalités d'entretien de l'ouvrage.... ...1) La SNCF est ainsi responsable des dommages causés aux cultures environnantes par la multiplication de lapins de garenne dans les remblais des voies ferrées.,,2) La circonstance qu'une convention de furetage ait été signée entre la SNCF et un tiers, ou au contraire que ce dernier se soit refusé à signer une telle convention, n'a pas pour effet de lui transférer la responsabilité de l'entretien des abords de la voie ferrée, qui incombe à la SNCF, et ne saurait en tout état de cause avoir une incidence sur le caractère direct du lien entre le préjudice subi par ce tiers et l'absence d'entretien normal des talus de la voie ferrée.

TRANSPORTS - TRANSPORTS FERROVIAIRES - LIGNES DE CHEMIN DE FER - RESPONSABILITÉ DU FAIT DES DOMMAGES PERMANENTS IMPUTABLES AU RÉSEAU FERRÉ NATIONAL DU FAIT DE SON IMPLANTATION - DE SON FONCTIONNEMENT OU DE SON ENTRETIEN - A) PRINCIPE - RESPONSABILITÉ SANS FAUTE DE RÉSEAU FERRÉ DE FRANCE [RJ1] - B) EXCEPTION - RESPONSABILITÉ SANS FAUTE DE LA SNCF POUR TOUS LES DOMMAGES DIRECTEMENT IMPUTABLES AUX MODALITÉS DE SON ENTRETIEN [RJ2] - 1) INCLUSION - RESPONSABILITÉ DE LA SNCF DU FAIT DES DOMMAGES CAUSÉS AUX CULTURES ENVIRONNANTES PAR LES LAPINS SE MULTIPLIANT DANS LES REMBLAIS DES VOIES FERRÉES - 2) CIRCONSTANCE SANS INCIDENCE - EXISTENCE D'UNE CONVENTION DE FURETAGE OU REFUS DE SIGNER UNE TELLE CONVENTION.

65-01-005 a) La responsabilité de Réseau ferré de France (RFF), maître de l'ouvrage constitué par le réseau ferré national et ses dépendances, est susceptible d'être engagée sans faute pour tous les dommages permanents imputables à celui-ci, qu'ils résultent de son implantation, de son fonctionnement ou de son entretien.,,b) La responsabilité sans faute de la Société nationale des chemins de fer (SNCF), chargée de l'entretien des voies comme prestataire de services de RFF, ne peut être engagée vis-à-vis des tiers qu'au titre de dommages directement imputables aux modalités d'entretien de l'ouvrage.... ...1) La SNCF est ainsi responsable des dommages causés aux cultures environnantes par la multiplication de lapins de garenne dans les remblais des voies ferrées.,,2) La circonstance qu'une convention de furetage ait été signée entre la SNCF et un tiers, ou au contraire que ce dernier se soit refusé à signer une telle convention, n'a pas pour effet de lui transférer la responsabilité de l'entretien des abords de la voie ferrée, qui incombe à la SNCF, et ne saurait en tout état de cause avoir une incidence sur le caractère direct du lien entre le préjudice subi par ce tiers et l'absence d'entretien normal des talus de la voie ferrée.


Références :

[RJ1]

Cf. 6 février 1987, Compagnie nationale Air France, p. 37., ,

[RJ2]

Cf. 10 mars 1997, Commune de Lormont c/ Consorts Raynal, p. 74 ;

26 février 2003, Courson, T. p. 982.


Publications
Proposition de citation : CE, 27 jui. 2005, n° 268861
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Martin
Rapporteur ?: M. Jean-François Debat
Rapporteur public ?: Mme Mitjavile
Avocat(s) : SCP PARMENTIER, DIDIER ; ODENT

Origine de la décision
Date de l'import : 05/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2005:268861.20050727
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