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23/08/2005 | FRANCE | N°283266

France | France, Conseil d'État, Juge des referes, 23 août 2005, 283266


Vu la requête, enregistrée le 29 juillet 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour l'ASSOCIATION FRANÇAISE DES OPERATEURS DE RESEAUX ET SERVICES DE TÉLÉCOMMUNICATIONS (AFORS Télécom), dont le siège est situé ..., agissant poursuites et diligences de son président ; elle demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) de suspendre, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la décision de l'Autorité de régulation des télécommunications (ART devenue l'ARCEP) n° 2005-0277 du 19 mai 2005 en ce qu'elle dispo

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Vu la requête, enregistrée le 29 juillet 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour l'ASSOCIATION FRANÇAISE DES OPERATEURS DE RESEAUX ET SERVICES DE TÉLÉCOMMUNICATIONS (AFORS Télécom), dont le siège est situé ..., agissant poursuites et diligences de son président ; elle demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) de suspendre, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la décision de l'Autorité de régulation des télécommunications (ART devenue l'ARCEP) n° 2005-0277 du 19 mai 2005 en ce qu'elle dispose en son article 9, troisième alinéa, que, s'agissant du tarif du dégroupage total, l'obligation faite à France Télécom d'adopter un tarif conforme aux dispositions de cet article « fera l'objet d'une décision complémentaire ultérieure » et en ce qu'elle n'impose pas, dès à présent, à France Télécom l'obligation de ne pas pratiquer de tarifs excessifs ou d'éviction ;

2°) d'enjoindre à l'ARCEP de fixer, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, le tarif mensuel du dégroupage total par ligne à un niveau tel qu'il permette la création d'un espace tarifaire de 4 euros avec le tarif normal de l'abonnement résidentiel et d'imposer à France Télécom de modifier son offre de référence en conséquence ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

elle soutient que l'édiction par l'Autorité de régulation de mesures spécifiques concernant le tarif du dégroupage total repose sur la constatation de l'existence, à l'heure actuelle, d'une barrière à l'entrée sur le marché du dégroupage résultant de ce que, en dépit de l'obligation légale s'imposant à l'opérateur historique France Télécom, le tarif d'accès pratiqué est à la fois un tarif d'éviction et un tarif injustifié au regard de ses coûts ; que l'Autorité de régulation, bien qu'elle ait identifié les conditions permettant de mettre immédiatement fin à la barrière à l'entrée sur le marché des opérateurs alternatifs concurrents de France Télécom, a choisi de ne pas intervenir en ce sens ; qu'elle laisse ainsi se développer une situation qui préjudicie directement aux intérêts des acteurs du secteur comme du consommateur ; que, ce faisant, elle contrevient aux dispositions combinées du 2° de l'article L. 37-2 du code des postes et des communications électroniques qui lui imposent de fixer « les obligations des opérateurs réputés exercer une influence significative sur un marché du secteur des communications électroniques » et du 4° du I de l'article L. 38 du même code qui prévoient que de tels opérateurs peuvent se voir imposer, en matière d'interconnexion et d'accès, diverses obligations au nombre desquelles figure celle de « ne pas pratiquer de tarifs excessifs ou d'éviction sur le marché en cause et pratiquer des tarifs reflétant les coûts correspondants » ; qu'en outre, par l'effet du troisième alinéa de l'article 9 de la décision contestée, France Télécom se trouve placée dans la situation d'abuser automatiquement de sa position dominante, en violation des prescriptions de l'article L. 420-2 du code de commerce ; qu'il y a urgence à l'intervention du juge des référés dans la mesure où, au regard de la jurisprudence, la disposition contestée est susceptible par ses effets d'affecter durablement la structure concurrentielle du marché en cause ; qu'en revanche, une mesure de suspension n'entraînerait aucun effet négatif ni sur le développement de la concurrence ni pour les consommateurs ;

Vu la décision n° 2005-0277 du 19 mai 2005 de l'Autorité de régulation des télécommunications ;

Vu, enregistré le 10 août 2005, le mémoire en intervention présenté par la société Télé 2 France SAS, dont le siège est ..., agissant poursuites et diligences de son directeur général ; la société conclut à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de la requête de l'AFORS Télécom et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; elle soutient liminairement qu'elle a intérêt à présenter une intervention en sa qualité d'opérateur alternatif ; qu'elle s'associe aux deux moyens de légalité interne invoqués par l'AFORS ; qu'eu égard à la circonstance que son intervention est introduite dans le délai de recours contentieux, elle s'estime en droit d'énoncer également des moyens de légalité externe à l'encontre de la décision contestée ; que celle-ci est entachée d'incompétence négative, faute pour l'Autorité de régulation d'avoir exercé la plénitude des compétences qui lui sont conférées par la loi ; qu'eu égard au fait que l'ARCEP n'avance aucun motif de droit ou de fait qui justifierait qu'elle ne procède pas immédiatement à la fixation du tarif du dégroupage total, le troisième alinéa de l'article 9 de la décision contestée ne satisfait pas à l'exigence de motivation découlant de l'article 8, paragraphe 4 de la directive n° 2002/19/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 et de l'article L. 37-2 du code des postes et des communications électroniques ; qu'il y a urgence à suspendre la décision critiquée au motif que la stratégie d'éviction de France Télécom, combinée avec le développement de la technologie sur protocole IP, entraîne pour l'intervenant un préjudice grave et immédiat ; qu'en effet, sa situation commerciale risque à très court terme, d'être fortement dégradée ;

Vu, enregistré le 18 août 2005, le mémoire en intervention présenté pour la société France Télécom, dont le siège est ... ; France Télécom demande au Conseil d'Etat de rejeter la requête de l'AFORS Télécom ; elle soutient liminairement que l'AFORS est dépourvue d'intérêt à agir, en tant que groupement, à l'encontre d'un acte négatif ; que la requête est également irrecevable en ce qu'elle conteste, non le refus de l'Autorité de régulation d'imposer une obligation en matière de tarif du dégroupage local qui serait alors intervenu dans le cadre défini par l'article 4.3 du règlement (CE) n° 2887/2000 du Parlement européen et du Conseil du 18 décembre 2000 et l'article D. 307 du code des postes et des communications électroniques, mais une décision prise sur le fondement de l'article L. 38 de ce code, décision qui, dans sa partie contestée, ordonne une mesure préparatoire liée à la mise en oeuvre de cet article et ne faisant pas grief ; qu'aucun des moyens de la requête n'est propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'acte contesté ; que le prétendu effet de ciseaux tarifaires dénoncé n'a jamais été constaté par l'Autorité de régulation ; que le test de ciseaux proposé par l'AFORS Télécom, mettant en rapport le tarif du dégroupage total avec celui de l'abonnement téléphonique résidentiel de France Télécom, repose sur des hypothèses non pertinentes ; qu'à cet égard, la requérante ne produit aucun élément chiffré et aucune analyse économique sérieuse permettant de justifier la nécessité d'un écart de 4 euros ; qu'en outre, l'abonnement téléphonique ne peut être arbitrairement dissocié des services de communications téléphoniques qu'il permet de fournir ; qu'enfin, si le tarif de référence retenu dans le test de ciseaux est celui du dégroupage total, il doit alors être mis en rapport avec l'ensemble des offres que le dégroupage total permet aux opérateurs alternatifs de fournir sur les marchés aval et non avec le seul abonnement téléphonique résidentiel ; qu'à supposer même pertinent et avéré le test de ciseaux proposé, il ne saurait permettre en théorie économique, de qualifier le tarif du dégroupage total de tarif d'éviction et donc d'en obtenir la baisse ; que, dans cette éventualité, c'est le tarif de l'abonnement téléphonique qui devrait être augmenté pour réserver aux concurrents de l'exposante un espace tarifaire suffisant avec le tarif du dégroupage total ; qu'en tout état de cause, l'Autorité de régulation ne peut, au titre de ses pouvoirs, imposer un écart tarifaire minimum entre le tarif de dégroupage total et celui de l'abonnement téléphonique résidentiel ; qu'en effet, chacun de ces deux tarifs fait l'objet d'un encadrement légal et est réputé refléter les coûts des prestations qu'il recouvre ; que ces tarifs ne peuvent donc se définir qu'en fonction de coûts propres et non l'un par rapport à l'autre ; qu'en tout état de cause, l'Autorité de régulation était en droit d'attendre les résultats de la consultation qu'elle avait lancée avant d'imposer à l'exposante des obligations nouvelles ; que ce pouvoir ne peut faire l'objet au contentieux que d'un contrôle restreint ; qu'il n'est pas allégué que la décision contestée soit entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ; que l'urgence n'est pas qualifiée et ceci pour un triple motif ; d'abord, parce que la requérante, qui connaissait le nouveau tarif du dégroupage total et celui de l'abonnement depuis janvier 2005, a tardé à saisir le juge des référés ; ensuite, parce que l'AFORS Télécom n'établit pas l'existence d'un préjudice grave et immédiat lié à la décision en cause ; enfin, parce que la suspension sollicitée n'aurait aucun effet sur la situation dénoncée ; que, par leur contenu, les mesures qu'il est demandé au juge des référés d'ordonner ne correspondent pas à l'objet de la décision contestée, laquelle ne constitue pas un refus d'imposer à l'exposante de modifier son offre de référence ; qu'en outre, comme il a été démontré, les conditions de la suspension ne sont pas réunies ; que, subsidiairement, à supposer même que l'Autorité de régulation ait manqué à ses obligations, il n'appartient pas au Conseil d'Etat de substituer son appréciation à la sienne quant au contenu des obligations à imposer à l'exposante ; qu'en tout état de cause, l'injonction sollicitée contraindrait l'ARCEP à violer le cadre légal qui régit son intervention en fixant un tarif de dégroupage total indépendamment de toute méthodologie préalablement publiée de comptabilisation des coûts d'accès à la boucle locale ;

Vu, enregistré le 18 août 2005, le mémoire en défense présenté pour l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) ; elle conclut au rejet de la requête d'AFORS Télécom, au rejet de l'intervention de la société Télé 2 France et à ce que soit mise à la charge de l'AFORS Télécom et de la société Télé 2 la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; l'ARCEP soutient tout d'abord qu'il n'est pas satisfait à la condition d'urgence exigée par l'article L. 521-1 du code de justice administrative ; qu'en effet, l'urgence fait défaut à plusieurs titres ; qu'en premier lieu, les opérateurs alternatifs bénéficient actuellement d'un tarif du dégroupage total de 9,5 euros, soit l'un des niveaux les plus bas d'Europe, ce qui permet le développement du marché et ce qu'atteste, au demeurant, l'essor du nombre de lignes totalement dégroupées ; qu'en deuxième lieu, dans ce contexte, ni l'AFORS Télécom ni la société Télé 2 France ne démontrent que le maintien du tarif de 9,5 euros jusqu'à l'adoption, à l'automne, de la méthode relative à la valorisation de la paire de cuivre, préjudicie de manière grave et immédiate aux opérateurs alternatifs, aux consommateurs ou à l'état concurrentiel du marché ; qu'enfin, la demande de suspension, qui a été formée tardivement, est en grande partie dépourvue d'utilité et se heurte manifestement à l'intérêt général qui commande de poursuivre l'exécution de la décision ; que n'est pas davantage démontrée l'existence d'un doute sérieux quant à la légalité de la décision ; que celle-ci s'inscrit dans le respect des compétences dévolues à l'exposante ; qu'en tant qu'Autorité de régulation elle était fondée à dissocier, comme le fait l'article 9 de la décision contestée, le principe d'une tarification en fonction des coûts et la définition d'une méthode devant déboucher sur une décision subséquente ; qu'une telle démarche ne constitue ni un refus de prescrire, ni une incompétence négative ; qu'elle ne pouvait légalement adopter dès à présent une mesure ayant une influence sur le marché, sans mettre en oeuvre une procédure de consultation préalable ; que le moyen tiré du défaut de motivation ne saurait être retenu ; que tout d'abord, un tel moyen est doublement inopérant ; qu'en effet, d'une part, le 2°) de l'article L. 37-2 du code des postes et des communications électroniques impose la motivation des décisions de fond et non de procédure ; que, d'autre part, cet article vise les décisions prises sur le fondement des articles L. 38 et L. 38-1 du code précité, ce qui n'est pas le cas du troisième alinéa de l'article 9 de la décision contestée, qui a pour fondement l'article D. 311 du code ; qu'au demeurant, et à titre subsidiaire, le moyen manque en fait dans la mesure où l'instance de régulation a informé l'ensemble des acteurs des motifs de droit et de fait fondant sa décision ; que la décision contestée ne méconnaît ni les directives « cadre » et « accès » du 7 mars 2002, ni les articles L.37-2 et L. 38-I (4°) du code des postes et des communications électroniques ; que les pratiques dénoncées et en particulier l'effet de ciseaux tarifaires ne sont pas caractérisées ; que l'obligation d'orientation vers les coûts imposée à France Télécom est une obligation nécessaire, suffisante et proportionnée ; que la décision contestée n'a pas non plus méconnu l'article L. 420-2 du code de commerce ; que, par ailleurs, la demande d'injonction est irrecevable ; qu'en effet, la mise en oeuvre de l'article L. 911-1 du code de justice administrative suppose que l'administration se trouve dans une situation de compétence liée, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ; que de plus, l'AFORS Télécom et la société Télé 2 France ne sauraient demander qu'il soit enjoint à l'instance de régulation d'édicter des décisions, au mépris de la procédure prévue par les textes communautaires et nationaux ;

Vu, enregistré le 19 août 2005, le rectificatif au mémoire en intervention présenté pour France Télécom ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le règlement (CE) n° 2887/2000 du Parlement européen et du Conseil du 18 décembre 2000 relatif au dégroupage de l'accès à la boucle locale, notamment ses articles 1, paragraphe 4, 3, paragraphe 2 et 4 ;

Vu la directive 2002/19/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 relative à l'accès aux réseaux de communications électroniques et aux ressources associées, ainsi qu'à leur interconnexion (directive « accès ») ;

Vu la directive 2002/21/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques (directive « cadre »), notamment son article 15 ;

Vu les lignes directrices 2002/C 165/03 de la Commission sur l'analyse du marché et l'évaluation de la puissance sur le marché en application du cadre réglementaire communautaire pour les réseaux et les services de communications électroniques ;

Vu le livre II de la première partie (législative) du code des postes et des communications électroniques dans sa rédaction issue de la loi n° 2004-669 du 9 juillet 2004 relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle ;

Vu l'article L. 420-2 du code de commerce ;

Vu la loi n° 2005-519 du 20 mai 2005 relative à la régulation des activités postales ;

Vu la troisième partie (décret) du code des postes et des communications électroniques, telle qu'elle a été modifiée notamment par le décret n° 2004-1301 du 26 novembre 2004 relatif aux dispositions applicables aux opérateurs exerçant une influence significative sur un marché du secteur des communications électroniques en application des articles L. 37-1 à L. 38-3 ;

Vu la décision n° 00-1171 de l'Autorité de régulation des télécommunications en date du 31 octobre 2000 prise en application de l'article D.99-24 du code des postes et des télécommunications ;

Vu la décision n° 02-323 du 16 avril 2002 de l'Autorité de régulation des télécommunications demandant à France Télécom d'apporter des modifications à son offre de référence pour l'accès à la boucle locale, ensemble la décision du Conseil d'Etat statuant au contentieux n° 247-866 du 25 février 2005 ;

Vu la décision n° 05-0267 de l'Autorité de régulation des télécommunications en date du 24 mars 2005 modifiant la décision n° 00-1171 du 31 octobre 2000 de l'Autorité quant à la méthode de calcul des coûts moyens incrémentaux de long terme relatifs à l'accès à la boucle locale ;

Vu la décision n° 2005-0275 du 19 mai 2005 portant sur la définition du marché pertinent de gros des offres d'accès dégroupé à la boucle locale cuivre et à la sous-boucle locale cuivre et sur la désignation d'un opérateur exerçant une influence significative sur ce marché ;

Vu le code de justice administrative, notamment ses articles L. 511-2, L. 521-1 et L. 761-1 ;

Après avoir convoqué à une audience publique l'ASSOCIATION FRANÇAISE DES OPERATEURS DE RESEAUX ET SERVICES DE TÉLÉCOMMUNICATIONS, la société Télé 2 France, l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes et France Télécom ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du vendredi 19 août 2005 à 15 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Z..., avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'AFORS Télécom ;

- Me Y..., avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'ARCEP ;

- Me X..., avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de France Télécom ;

- la représentante de l'AFORS Télécom ;

- les représentants de l'ARCEP ;

- les représentants de France Télécom ;

- le représentant de la société Télé 2 France ;

Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : « Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision » ;

Considérant que l'article L. 37-2 du code des postes et des communications électroniques, qui figure dans une partie de ce code regroupant des dispositions relatives aux opérateurs exerçant une influence significative sur un marché du secteur des communications électroniques, habilite l'Autorité de régulation des télécommunications, devenue à la suite de la loi du 22 mai 2005 susvisée, l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes à fixer, en les motivant, les obligations des opérateurs réputés exercer une influence significative sur un marché de ce secteur ; que ces obligations sont celles prévues notamment par l'article L. 38 du même code ; que cet article prévoit en particulier que les opérateurs réputés exercer une influence significative sur un marché peuvent se voir imposer « en matière d'interconnexion et d'accès » une ou plusieurs obligations au nombre desquelles figure celle de : « 4°) Ne pas pratiquer de tarifs excessifs ou d'éviction sur le marché en cause et pratiquer des tarifs reflétant les coûts correspondants » ;

Considérant qu'après avoir, par une décision n° 2005-0275 du 19 mai 2005, déclaré « pertinent » le marché de gros des offres d'accès dégroupé à la boucle locale cuivre et à la sous-boucle locale cuivre et désigné France Télécom comme opérateur exerçant une influence significative sur ce marché, l'Autorité de régulation, a, par une décision n° 2005-0277 du même jour, fixé les obligations imposées corrélativement à France Télécom ; qu'outre l'obligation impartie à l'opérateur historique de « faire droit à toute demande raisonnable d'accès », la décision énonce au premier alinéa de son article 9 que « France Télécom doit offrir les prestations d'accès dégroupé …. à des tarifs reflétant les coûts correspondants, en respectant en particulier les principes d'efficacité, de non-discrimination et de concurrence effective et loyale » ; qu'il est indiqué au deuxième alinéa de cet article que le tarif d'un accès partagé, encore appelé « dégroupage partiel », doit correspondre aux coûts incrémentaux de l'accès partagé, c'est-à-dire à ses coûts spécifiques ; qu'il est spécifié au troisième et dernier alinéa de l'article 9 que : « S'agissant du dégroupage total, cette obligation fera l'objet d'une décision complémentaire ultérieure » ; qu'il résulte du rapprochement des différents alinéas de l'article 9, que le renvoi fait par le dernier alinéa à l'obligation s'imposant à France Télécom doit s'entendre d'une référence aux prescriptions du premier alinéa relatives à une tarification « reflétant les coûts correspondants » et respectant, entre autres, l'exigence d'une « concurrence effective et loyale » ;

Considérant qu'après avoir introduit une requête en annulation dirigée contre les dispositions du troisième alinéa de l'article 9 de la décision susanalysée, l'ASSOCIATION FRANÇAISE DES OPERATEURS DE RESEAUX ET SERVICES DE TÉLÉCOMMUNICATIONS (AFORS Télécom) a saisi sans délai le juge des référés aux fins qu'il en ordonne la suspension, en faisant grief à la décision contestée de ne pas imposer, dès à présent, à France Télécom de ne pas pratiquer de tarifs excessifs ou d'éviction ;

Sur la recevabilité de la requête :

Considérant d'une part, que la disposition dont la suspension est demandée s'analyse comme apportant une dérogation temporaire à une norme fixée par son auteur ; qu'il ne saurait par suite être valablement soutenu que la demande de suspension viserait un acte inexistant ou une mesure préparatoire ne faisant pas grief ;

Considérant d'autre part, que l'association requérante, qui a pour objet statutaire la défense des intérêts moraux et professionnels de ses membres, opérateurs de télécommunication autorisés en France à établir et exploiter un réseau de télécommunications ouvert au public en vertu du « code des postes et télécommunications », auquel la loi du 9 juillet 2004 susvisée a substitué le code des postes et des communications électroniques, justifie d'un intérêt et a qualité pour demander la suspension de la décision contestée ;

Sur l'intervention de la société Télé 2 France :

Considérant que la société Télé 2 France, eu égard à sa qualité d'opérateur d'un réseau de communications électroniques ouvert au public ayant, au demeurant, conclu une convention de dégroupage de la boucle locale avec France Télécom, justifie d'un intérêt à demander la suspension de la décision contestée ; que, par suite, son intervention au soutien de la requête est recevable ; que toutefois, ainsi qu'il a été souligné lors de l'audience publique, en sa qualité d'intervenant, elle n'est pas recevable à présenter des moyens reposant sur une cause juridique distincte de celle invoquée par la requérante ; qu'il en va ainsi quand bien même la société est intervenue dans le délai de recours contentieux au soutien tant de la requête en annulation que de la requête aux fins de suspension ;

Sur l'intervention de la société France Télécom :

Considérant que si la décision contestée a le caractère d'un acte normatif, elle intéresse au premier chef la société France Télécom prise en sa qualité d'opérateur exerçant une influence significative sur le marché de gros de l'accès dégroupé à la boucle locale ; qu'à ce titre, France Télécom avait vocation à être mise en cause dans la présente instance ; que cependant, du fait de l'annonce par cette société de la présentation d'une intervention, il n'a pas été procédé à sa mise en cause dans le cadre de l'instance de référé ; qu'en cet état de la procédure, France Télécom, qui a intérêt au maintien de la décision contestée, est recevable dans son intervention ;

Sur le respect des conditions exigées par l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'en vertu des dispositions précitées de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, le juge des référés peut prononcer la suspension d'une décision administrative à la condition notamment que l'urgence le justifie ; que cette condition doit être regardée comme remplie lorsque la décision administrative contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre ;

Considérant que lorsque comme cela est le cas en l'espèce, sont invoqués pour justifier une situation d'urgence, les effets anticoncurrentiels d'une décision administrative, de tels effets doivent être caractérisés et susceptibles d'affecter durablement la structure concurrentielle du marché en cause ;

Considérant que l'association requérante se prévaut des constatations faites par l'Autorité de régulation dans son dernier rapport d'activité où il est indiqué que « le but est d'atteindre, dans les deux ou trois ans, un écart d'environ 4 euros entre la vente en gros du dégroupage total et le prix de détail de l'abonnement » principal de France Télécom et qui relève que « seul un tel écart permettra aux concurrents de l'opérateur historique de disposer d'un espace économique suffisant pour investir dans le dégroupage total » ; qu'elle en infère que le tarif du dégroupage total d'une ligne téléphonique devrait être non de 9,5 euros par mois mais s'établir au montant du tarif de l'abonnement principal de France Télécom, lequel a été fixé à 11,70 euros hors taxe jusqu'au 1er juillet 2006, diminué de 4 euros, soit 7,70 euros ;

Considérant toutefois, que l'absence de réalisation dans l'immédiat de l'objectif que s'assigne l'Autorité de régulation ne suffit pas à établir l'existence, en l'espèce, d'une situation d'urgence ; qu'à cet égard, il y a lieu de relever, d'une part, qu'en droit et quel que soit le libellé de l'article 9 de la décision contestée, France Télécom reste tenue conformément au règlement (CE) n° 2287/2000 du 18 décembre 2000, d'assurer aux opérateurs concurrents l'accès à l'infrastructure essentielle que constitue la « boucle locale » à des conditions « transparentes, équitables et non discriminatoires » et que, dans ce but, les tarifs de l'accès dégroupé à la boucle locale doivent être orientés en fonction des coûts ; que, d'autre part, le tarif mensuel du dégroupage total a progressivement baissé ; que le niveau de 9,50 euros à compter du 1er juin 2005 n'est pas plus élevé que celui consenti dans la plupart des pays voisins membres de l'Union européenne ; qu'enfin et surtout le nombre de lignes en dégroupage total a augmenté très sensiblement entre le 31 décembre 2004 et le 31 juillet 2005 ;

Considérant en outre, que la requête en annulation dont est saisi le Conseil d'Etat est susceptible d'être examinée par une formation de jugement collégiale d'ici la fin de l'année civile ;

Considérant, dans ces conditions, que la requête de l'ASSOCIATION FRANÇAISE DES OPERATEURS DE RESEAUX ET SERVICES DE TÉLÉCOMMUNICATIONS, ne satisfait pas à la condition d'urgence ; qu'ainsi et sans qu'il y ait lieu pour le juge des référés de prendre position sur le sérieux des moyens invoqués, les conclusions aux fins de suspension et d'injonction ne peuvent qu'être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que l'ARCEP n'étant pas dans la présente instance la partie perdante, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme réclamée par l'association requérante au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

Considérant que l'article L. 761-1 du code précité prévoit que seules les parties à l'instance peuvent en solliciter l'application ; que la société Télé 2 France ayant dans la présente instance la qualité d'intervenant, doivent dès lors être rejetées aussi bien les conclusions par lesquelles elle sollicite que les frais qu'elle a exposés soient mis à la charge de l'Etat, que les conclusions de l'ARCEP tendant à ce que la société intervenante supporte les frais de même nature qu'elle a elle-même exposés ;

Considérant enfin que, dans les circonstances de l'espèce, l'ARCEP est fondée à demander que les frais qu'elle a exposés et qui ne sont pas compris dans les dépens, soient supportés à hauteur de 5 000 euros par l'association requérante ;

O R D O N N E :

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Article 1er : Les interventions de la société Télé 2 France et de la société France Télécom présentées respectivement en demande et en défense sont admises.

Article 2 : Les conclusions de la requête de l'ASSOCIATION FRANÇAISE DES OPERATEURS DE RESEAUX ET SERVICES DE TÉLÉCOMMUNICATIONS sont rejetées.

Article 3 : Les conclusions de la société Télé 2 France présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : L'ASSOCIATION FRANÇAISE DES OPERATEURS DE RESEAUX ET SERVICES DE TÉLÉCOMMUNICATIONS versera à l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions présentées par l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes est rejeté.

Article 6 : La présente ordonnance sera notifiée à l'ASSOCIATION FRANÇAISE DES OPERATEURS DE RESEAUX ET SERVICES DE TÉLÉCOMMUNICATIONS, à l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, à la société Télé 2 France et à la société France Télécom.

Copie en sera adressée pour information au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.


Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

54-035-02-03-02 PROCÉDURE. - PROCÉDURES INSTITUÉES PAR LA LOI DU 30 JUIN 2000. - RÉFÉRÉ SUSPENSION (ART. L. 521-1 DU CODE DE JUSTICE ADMINISTRATIVE). - CONDITIONS D'OCTROI DE LA SUSPENSION DEMANDÉE. - URGENCE. - EFFETS ANTICONCURRENTIELS CARACTÉRISÉS ET DURABLES - ABSENCE - ABSTENTION DE L'AUTORITÉ DE RÉGULATION DES TÉLÉCOMMUNICATIONS DE FIXER IMMÉDIATEMENT LE TARIF DE FRANCE TÉLÉCOM POUR L'ACCÈS TOTALEMENT DÉGROUPÉ À LA BOUCLE LOCALE.

54-035-02-03-02 Par une décision du 19 mai 2005, l'Autorité de régulation des télécommunications a indiqué comment devaient être fixés les tarifs proposés par France Télécom pour l'accès partiellement dégroupé à la boucle locale mais reporté à une décision ultérieure la détermination du mode de fixation des tarifs de l'opérateur historique pour l'accès totalement dégroupé à cette boucle. L'association requérante, qui a pour objet statutaire la défense des intérêts moraux et professionnels de ses membres, opérateurs de télécommunication autorisés en France à établir et exploiter un réseau de télécommunications ouvert au public, demande la suspension de cette décision en tant qu'elle procède à ce report. Elle se prévaut des constatations faites par l'Autorité de régulation dans son dernier rapport d'activité dont elle infère que le tarif du dégroupage total d'une ligne téléphonique devrait s'établir au montant du tarif de l'abonnement principal de France Télécom pour permettre à d'autres opérateurs d'investir sur ce marché. Toutefois, l'absence de réalisation dans l'immédiat de l'objectif que s'assigne l'Autorité de régulation ne suffit pas à établir l'existence, en l'espèce, d'une situation d'urgence. A cet égard, il y a lieu de relever, d'une part, qu'en droit et quel que soit le libellé de l'article 9 de la décision contestée, France Télécom reste tenu conformément au règlement (CE) n° 2287/2000 du 18 décembre 2000, d'assurer aux opérateurs concurrents l'accès à l'infrastructure essentielle que constitue la « boucle locale » à des conditions « transparentes, équitables et non discriminatoires » et que, dans ce but, les tarifs de l'accès dégroupé à la boucle locale doivent être orientés en fonction des coûts. D'autre part, le tarif mensuel du dégroupage total a progressivement baissé et n'est pas plus élevé que celui consenti dans la plupart des pays voisins membres de l'Union européenne. Enfin et surtout le nombre de lignes en dégroupage total a augmenté très sensiblement sur les 12 derniers mois. L'urgence à suspendre la décision contestée n'est donc pas avérée.


Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 23 aoû. 2005, n° 283266
Mentionné aux tables du recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Président : M. Genevois
Rapporteur ?: M. Bruno Genevois
Avocat(s) : FOUSSARD ; SCP DELVOLVE, DELVOLVE ; SCP VIER, BARTHELEMY, MATUCHANSKY

Origine de la décision
Formation : Juge des referes
Date de la décision : 23/08/2005
Date de l'import : 05/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 283266
Numéro NOR : CETATEXT000008163189 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2005-08-23;283266 ?
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