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31/08/2005 | FRANCE | N°283925

France | France, Conseil d'État, Juge des referes, 31 août 2005, 283925


Vu la requête, enregistrée le 9 août 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Youcef A, demeurant 8, Lotissement de Bairi-Lakhdaria (Algérie) ; M. A demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) de suspendre, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, l'exécution de la décision en date du 15 juillet 2005 par laquelle la Commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté sa réclamation dirigée contre le refus du Consul général de France à Alger de lui accorder un v

isa d'entrée en France ;

2°) d'enjoindre au ministre des affaires étrangè...

Vu la requête, enregistrée le 9 août 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Youcef A, demeurant 8, Lotissement de Bairi-Lakhdaria (Algérie) ; M. A demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) de suspendre, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, l'exécution de la décision en date du 15 juillet 2005 par laquelle la Commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté sa réclamation dirigée contre le refus du Consul général de France à Alger de lui accorder un visa d'entrée en France ;

2°) d'enjoindre au ministre des affaires étrangères et au Consul général de France à Alger de procéder au réexamen de la demande dans un délai de 15 jours à compter de la notification de la décision à intervenir ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

il expose qu'il est né le 9 novembre 1963 en Algérie et qu'il est venu en France à l'âge de trois ans pour y rejoindre son père, Ali, ancien combattant de l'armée française, sa mère, Baya, et son frère, Mohamed ; qu'en 1983, du fait de l'oubli de son titre de séjour lors d'un contrôle, il a été condamné par défaut à une peine d'emprisonnement d'un mois pour séjour irrégulier ; qu'en 1989, il a fait l'objet d'une condamnation à trois mois d'emprisonnement et à cinq ans d'interdiction du territoire pour incitation à l'usage de stupéfiants ; qu'après avoir purgé ces peines, il a présenté des demandes de visa qui ont été rejetées le 14 janvier 2003 puis le 1er février 2005, par le Consul général de France à Alger ; que la Commission instituée par le décret du 10 novembre 2000 a, par une décision du 15 juillet 2005, confirmé le refus de visa ; qu'il a formé un recours en annulation à l'encontre de cette décision ; qu'il en sollicite la suspension au motif qu'il y a urgence en raison de l'état de santé de ses parents et en particulier de sa mère, qui doit être à nouveau hospitalisée à compter du 5 septembre 2005 ; que la décision contestée est illégale à plus d'un titre ; qu'en premier lieu, elle est entachée d'erreur de fait en ce qu'elle refuse le visa non seulement à l'exposant mais aussi à son épouse alors que cette dernière n'a pas formé de demande ; qu'elle est constitutive d'une erreur de droit, faute d'avoir pris en compte des éléments nouveaux relatifs à l'état de santé de la mère de l'exposant ; qu'elle porte une atteinte excessive au droit de l'exposant au respect de sa vie privée et familiale, garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ; qu'elle procède enfin d'une erreur manifeste d'appréciation quant à l'atteinte que porterait à l'ordre public le retour de l'exposant en France auprès de ses parents ;

Vu la décision dont la suspension est demandée ;

Vu, enregistré le 18 août 2005, le mémoire complémentaire présenté pour M. A, qui tend aux mêmes fins que sa requête, laquelle ne conclut pas, contrairement à ce qu'indique une pièce de la procédure à ce qu'il soit enjoint à l'administration de délivrer le visa sollicité, par les mêmes moyens et en outre à ce que la somme devant lui être accordée au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens soit portée à 4 000 euros ;

Vu, le mémoire en défense, enregistré le 22 août 2005, présenté par le ministre des affaires étrangères ; le ministre conclut au rejet de la requête au motif que les conditions exigées par l'article L. 521-1 du code de justice administrative pour le prononcé d'une mesure de suspension de la décision contestée ne sont pas remplies ; qu'il en va ainsi tout d'abord de la condition d'urgence, au motif que les certificats médicaux produits ne font état ni de pronostic vital, ni d'incapacité définitive de voyager, du père ou de la mère du requérant ; que les parents sont à même de compter sur l'aide de leur fils Mohamed, de nationalité française et domicilié à Melun ; qu'en outre, les moyens invoqués ne sont pas propres à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision de refus de visa ; qu'aucune erreur de fait n'a été commise par la Commission instituée par le décret du 10 novembre 2000 dès lors que cette instance avait été saisie non seulement du refus de visa opposé à M. A, mais également d'une réclamation dirigée contre le refus de visa opposé à Mme A le 4 janvier 2005 ; que, contrairement à ce qui est soutenu, le refus de visa n'est pas motivé par une menace à l'ordre public ; qu'il est fondé sur le risque de détournement migratoire de l'objet du visa ; que ce dernier ne repose pas en réalité sur un motif d'ordre familial ; qu'en effet, lors de la présentation de précédentes demandes de visa de long séjour, qui ont été rejetées en raison de l'insuffisance des ressources de M. A, celui-ci avait manifesté son intention de s'installer durablement en France ; que les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées par voie de conséquence du rejet des conclusions présentées à titre principal ; qu'en tout état de cause, le requérant ne justifie en rien en quoi la somme de 1 000 euros réclamée initialement sur le fondement de cet article devrait être portée à 4 000 euros ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution, notamment son Préambule ;

Vu la loi n° 73-1227 du 31 décembre 1973 autorisant la ratification de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, ensemble le décret n° 74-360 du 3 mai 1974 portant publication de cette convention ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu le décret n° 2000-1093 du 10 novembre 2000 ;

Vu le code de justice administrative, notamment ses articles L. 511-2, L. 521-1 et L. 761-1 ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. Youcef A, d'autre part, le ministre des affaires étrangères ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 23 août à 15 heures au cours de laquelle, après audition de Me Lyon-Caen, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. A et du représentant du ministre des affaires étrangères, il a été décidé de prolonger l'instruction jusqu'au mardi 30 août 2005 à 12 heures ;

Vu, enregistré le 30 août 2005 le nouveau mémoire présenté pour M. A qui tend aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens et qui précise qu'il y a eu aggravation de l'état de santé de sa mère, qu'il n'a pas vu ses parents depuis 10 ans, qu'il justifie exercer régulièrement en Algérie une activité commerciale depuis plus de six ans avec son épouse ;

Considérant qu'en vertu du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la possibilité pour le juge des référés d'ordonner la suspension de l'exécution d'une décision administrative est subordonnée à la double condition que soit invoqué un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de cette décision et qu'il y ait urgence ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. Youcef A est né le 9 novembre 1963 à Lakhdaria en Algérie, pays dont il a la nationalité ; qu'il est entré à l'âge de trois ans en France où il y a été scolarisé ; qu'il a cependant accompli ses obligations militaires en Algérie ; qu'à son retour en France il a été contraint de regagner son pays d'origine en 1989 en raison d'une condamnation à une peine de trois mois d'emprisonnement et de cinq ans d'interdiction du territoire pour incitation à l'usage de stupéfiants ; que depuis plusieurs années M. A est propriétaire d'un commerce de restauration ambulante ; qu'il a épousé une ressortissante algérienne le 18 avril 1999 et est le père d'une fille née le 12 août 2000 ;

Considérant que dans la mesure où son père et sa mère ainsi que son frère aîné résident en France et ont d'ailleurs été réintégrés en février 2004 dans la nationalité française, M. A a souhaité s'installer en France et a présenté à cette fin une demande de visa de long séjour pour lui-même, sa femme et sa fille ; que cette demande a été rejetée par une décision du 14 janvier 2003 du Consul général de France à Alger dont l'intéressé n'a pas contesté la légalité ; qu'il a choisi de saisir l'autorité consulaire de demandes de visa de court séjour pour raisons familiales, à la date des 10 avril 2003, 23 septembre 2004 et 10 février 2005 ; qu'il a contesté devant la Commission instituée par le décret du 10 novembre 2000 le refus opposé à ses deux dernières demandes ; que par une unique décision rendue le 15 juillet 2005, la Commission a confirmé les décisions de refus, en relevant que sous couvert d'un motif d'ordre familial relatif à l'état de santé de ses parents, M. A cherche à s'établir durablement en France ; que pour la même raison, le Consul général de France à Alger a, le 4 janvier 2005, opposé un refus à une demande de visa de court séjour formée par Mme Samira A, épouse du requérant ;

Considérant que l'autorité administrative peut légalement s'opposer à une demande de visa, fût-ce pour un court séjour, en raison du risque migratoire qui résulterait de la venue en France du demandeur ; que, toutefois, un tel refus est susceptible de porter au droit de l'intéressé à une vie familiale normale une atteinte injustifiée si, au regard d'un motif d'ordre familial dont la réalité est établie, le risque migratoire apparaît, au vu de l'ensemble des circonstances, comme étant infime ;

Considérant que la demande de visa de court séjour formée par M. A a pour justification sa volonté d'entourer sa mère qui souffre d'une maladie cardiaque et doit être hospitalisée à compter du 5 septembre 2005 pour subir une intervention chirurgicale lourde ; que son accueil temporaire est prévu au domicile de ses parents ; que le frère de l'intéressé, qui fait état de ressources régulières d'un montant significatif s'est porté garant du coût de son rapatriement à l'expiration de la durée de validité du visa ; qu'il est attesté également de la réalité du foyer fondé par le requérant dans son pays d'origine et de sa pérennité depuis 1999 ; qu'ainsi, en l'état de l'instruction, le moyen tiré de la violation de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales est propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ;

Considérant qu'en raison notamment de l'état de santé de la mère du requérant et de l'intérêt qui s'attache à ce qu'elle soit entourée par lui à l'occasion de l'intervention chirurgicale qui doit être pratiquée, il est satisfait à la condition d'urgence posée par l'article L. 521-1 du code de justice administrative ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision de refus de visa de court séjour et de prescrire à la Commission instituée par le décret du 10 novembre 2000 de procéder au réexamen de la demande de visa au vu des motifs de la présente ordonnance dans un délai de quinze jours à compter de sa notification ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, M. A est fondé à demander que les frais qu'il a exposés et qui ne sont pas compris dans les dépens, soient supportés par l'Etat à hauteur de 3 000 euros ;

O R D O N N E :

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Article 1er : Est ordonnée la suspension de l'exécution de la décision refusant à M. Youcef A un visa d'entrée en France pour un court séjour.

Article 2 : Il est enjoint à la Commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France de procéder au réexamen de la demande de visa présentée par M. Youcef A au vu des motifs de la présente ordonnance dans un délai de quinze jours à compter de sa notification.

Article 3 : L'Etat versera à M. Youcef A la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. Youcef A est rejeté.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à M. Youcef A, au ministre des affaires étrangères et au président de la Commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.


Synthèse
Formation : Juge des referes
Numéro d'arrêt : 283925
Date de la décision : 31/08/2005
Sens de l'arrêt : Satisfaction totale
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 31 aoû. 2005, n° 283925
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Genevois
Rapporteur ?: M. Bruno Genevois
Avocat(s) : SCP LYON-CAEN, FABIANI, THIRIEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 05/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2005:283925.20050831
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