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16/11/2005 | FRANCE | N°269120

France | France, Conseil d'État, 9eme sous-section jugeant seule, 16 novembre 2005, 269120


Vu la requête, enregistrée le 25 juin 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par le PREFET DE L'EURE ; le PREFET DE L'EURE demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement n° 0401136-0 du 24 mai 2004 par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé son arrêté du 19 mai 2004 décidant la reconduite à la frontière de M. Bilal Y ;

2°) de rejeter la demande de M. Y présentée devant le tribunal administratif de Rouen ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européen

ne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu l'ordonnance n° 45...

Vu la requête, enregistrée le 25 juin 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par le PREFET DE L'EURE ; le PREFET DE L'EURE demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement n° 0401136-0 du 24 mai 2004 par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé son arrêté du 19 mai 2004 décidant la reconduite à la frontière de M. Bilal Y ;

2°) de rejeter la demande de M. Y présentée devant le tribunal administratif de Rouen ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée ;

Vu la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952, dans sa rédaction issue de la loi n° 2003-1176 du 10 décembre 2003 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Charlotte Avril, chargée des fonctions de Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Laugier, Caston, avocat de M. Y,

- les conclusions de M. Laurent Vallée, Commissaire du gouvernement ;

Sur la légalité de l'arrêté de reconduite à la frontière :

Considérant qu'aux termes du I de l'article 22 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée, en vigueur à la date de l'arrêté attaqué : Le représentant de l'Etat dans le département et, à Paris, le préfet de police peuvent, par arrêté motivé, décider qu'un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants : (...) 3° Si l'étranger auquel la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé ou dont le titre de séjour a été retiré, s'est maintenu sur le territoire au-delà du délai d'un mois à compter de la date de notification du refus ou du retrait (...) ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. Y, de nationalité turque, s'est maintenu sur le territoire français plus d'un mois après la notification, le 26 mars 2004, de la décision du PREFET DE L'EURE du 24 mars 2004, lui refusant la délivrance d'un titre de séjour et l'invitant à quitter le territoire ; qu'il était ainsi dans le cas prévu par les dispositions précitées du 3° du I de l'article 22 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 où le préfet peut décider la reconduite d'un étranger à la frontière ;

Considérant que M. Y, qui est entré irrégulièrement en France à l'âge de 21 ans, le 11 février 2002 et dont la demande d'admission au statut de réfugié a été rejetée par l'office français de protection des réfugiés et apatrides par une décision en date du 23 mai 2003, confirmée par la commission des recours des réfugiés le 27 février 2004, a sollicité le 28 mars 2004 soit deux jours après avoir été invité à quitter le territoire, un nouvel examen de sa demande d'asile ; qu'il a justifié cette démarche par la production d'une lettre le concernant, datée du 18 mars 2004 et qui aurait été adressée, en Turquie, par le procureur de la République du Tribunal de sûreté de l'Etat de la ville d'Erzurum au commandant de gendarmerie central du district de Sereflikochisar ; qu'un tel document est dépourvu de toute garantie d'authenticité dès lors, notamment, qu'il se présente comme un document interne aux services judiciaires et policiers de l'Etat turc et que les conditions alléguées dans lesquelles l'intéressé a pu cependant en disposer personnellement et le produire en France le 28 mars 2004, soit dix jours après son émission supposée, sont dépourvues de toute vraisemblance ; que si l'intéressé a, en outre, lors de l'audience qui s'est tenue au tribunal administratif le 26 juillet 2004, produit en séance un nouveau document se présentant comme un jugement de condamnation de M. Y rendu par la cour de sûreté de l'Etat de la ville d'Erzurum, le 3 février 2004, soit deux ans après son départ de Turquie et quelques jours avant son audition par la commission des recours des réfugiés et avant le rejet par celle-ci de son appel contre la décision de l'office français de protection des réfugiés et apatrides, un tel document est également dépourvu de tout caractère probant ; que, par suite, la demande de réouverture de la procédure tendant à l'obtention du statut de réfugié présentée par M. Y qui a été, par ailleurs, rejetée par une nouvelle décision de l'office français de protection des réfugiés et apatrides prise le 25 mai 2004 frappée par l'intéressé d'un recours devant la commission des recours des réfugiés dont il s'est ensuite désisté, doit être regardée comme ayant été, dans les circonstances de l'espèce, de nature purement dilatoire et destinée seulement à faire obstacle à la mesure prise à l'encontre de M. Y ; que, par suite, c'est à tort que le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Rouen s'est fondé sur l'existence de cette demande pour annuler l'arrêté du PREFET DE L'EURE en date du 19 mai 2004 ordonnant la reconduite à la frontière de M. Y ;

Considérant, cependant, qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens présentés par M. Y devant le tribunal administratif de Rouen ;

Considérant, d'une part, que l'arrêté ordonnant la reconduite à la frontière de M. Y a été signé par M. Stéphane Guyon, secrétaire général de la préfecture de l'Eure ; que, par un arrêté en date du 26 juillet 2002, régulièrement publié au recueil des actes administratifs du département le 29 juillet 2002, le PREFET DE L'EURE a donné à M. Guyon délégation à l'effet de signer les arrêtés de reconduite à la frontière des étrangers ; que, par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué aurait été signé par une personne incompétente, manque en fait ;

Considérant, d'autre part, que le moyen tiré de ce que M. Y courrait des risques importants s'il devait retourner en Turquie ne saurait être utilement invoqué à l'appui d'un recours dirigé contre l'arrêté attaqué, qui n'indique pas le pays vers lequel l'intéressé devra être reconduit ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le PREFET DE L'EURE est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté de reconduite à la frontière pris le 19 mai 2004 à l'encontre de M. Y ;

Sur la légalité de la décision désignant le pays de destination :

Considérant que si M. Y fait valoir que la décision fixant la Turquie comme pays de destination aurait été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des dispositions de l'article 27 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945, il se borne, au soutien de cette allégation, à se prévaloir de son origine kurde et des persécutions qu'auraient subis certains membres de sa famille et à invoquer les documents mentionnés ci-dessus et qui, ainsi qu'il a été dit, sont dépourvus de caractère probant ; qu'ainsi le moyen invoqué ne peut être retenu ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le PREFET DE L'EURE est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé son arrêté du 19 mai 2004 décidant la reconduite à la frontière de M. Y à destination de la Turquie ;

Sur les conclusions aux fins d'injonction présentées par M. Y :

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que ces conclusions ne peuvent qu'être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la SCP Laugier-Caston, avocat de M. Y, demande au titre des frais exposés par cette dernière et non compris dans les dépens, ainsi que la somme demandée en première instance par M. Y ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le jugement du 24 mai 2004 du magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Rouen est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. Y devant le tribunal administratif de Rouen et ses conclusions présentées devant le Conseil d'Etat tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au PREFET DE L'EURE, à M. Bilal Y et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 16 nov. 2005, n° 269120
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Président : M. de Vulpillières
Rapporteur ?: Mme Charlotte Avril
Rapporteur public ?: M. Vallée
Avocat(s) : SCP LAUGIER, CASTON

Origine de la décision
Formation : 9eme sous-section jugeant seule
Date de la décision : 16/11/2005
Date de l'import : 05/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 269120
Numéro NOR : CETATEXT000008237357 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2005-11-16;269120 ?
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