Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 17 septembre 2004 et 12 janvier 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés par Mme Nadine A, demeurant ... ; Mme A demande au Conseil d'Etat l'annulation pour excès de pouvoir de la décision, en date du 9 juillet 2004, par laquelle la procureure générale près la cour d'appel d'Orléans a rejeté le recours gracieux qu'elle avait formé contre sa lettre du 23 avril 2004, ensemble de ladite lettre ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mlle Maud Vialettes, Maître des Requêtes,
- les conclusions de M. Mattias Guyomar, Commissaire du gouvernement ;
Sur la fin de non-recevoir opposée par le garde des sceaux, ministre de la justice :
Considérant qu'aux termes de l'article 44 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature : « En dehors de toute action disciplinaire, l'inspecteur général des services judiciaires, les premiers présidents, les procureurs généraux et les directeurs ou chefs de service à l'administration centrale ont le pouvoir de donner un avertissement aux magistrats placés sous leur autorité. / L'avertissement est effacé automatiquement du dossier au bout de trois ans si aucun nouvel avertissement ou aucune sanction disciplinaire n'est intervenu pendant cette période. » ; que par cette disposition, le législateur organique a entendu investir les autorités ainsi énumérées du pouvoir de prendre, à l'égard des magistrats, des mesures qui ne sauraient être assimilées aux simples observations qu'il est, en tout état de cause, loisible à tout supérieur hiérarchique d'adresser aux personnes placées sous son autorité ; qu'il ressort des dispositions précitées que les avertissements doivent être versés aux dossiers des magistrats auxquels ils sont infligés ;
Considérant que si, ainsi qu'il vient d'être dit, il est loisible à tout supérieur hiérarchique d'adresser aux personnes placées sous son autorité des observations portant sur leur manière de servir et sur d'éventuels manquements aux devoirs de leurs fonctions, lorsque, comme en l'espèce, sont relevés, dans la lettre du 23 avril 2004, confirmée sur recours gracieux, que la procureure générale près la cour d'appel d'Orléans a adressée à Mme A, substitute placée auprès d'elle, non seulement des « insuffisances professionnelles » mais aussi des « manquements » aux devoirs de ses fonctions, qu'il lui est indiqué que s'il n'y était pas mis fin serait engagée une action disciplinaire et qu'en outre, cette lettre serait, en l'état versée à son dossier administratif si de nouvelles difficultés se présentaient, celle-ci doit être regardée comme un avertissement au sens de l'article 44 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 et comme étant, dès lors, de nature à être déférée au Conseil d'Etat par la voie du recours pour excès de pouvoir ; qu'il suit de là que la fin de non-recevoir opposée par le garde des sceaux, ministre de la justice et tirée de ce que les décisions attaquées auraient trait à une mesure d'ordre intérieur insusceptible de recours ne peut qu'être écartée ;
Sur la légalité des décisions attaquées :
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ;
Considérant que la décision du 23 avril 2004, confirmée le 9 juillet 2004, par laquelle la procureure générale près la cour d'appel d'Orléans a infligé un avertissement à Mme A est intervenue pour des motifs touchant à la personne de cette dernière et ne pouvait, par suite, être légalement prise sans que Mme A ait reçu la communication de son dossier ; qu'il n'est pas contesté que la procureure générale a refusé de communiquer à la requérante le texte du rapport la concernant établi par la procureure de la République près le tribunal de grande instance de Blois qui a motivé l'avertissement contesté ; qu'alors même que Mme A avait eu connaissance de griefs qui étaient articulés contre elle et sur lesquels elle avait pu s'expliquer, notamment, lors d'un entretien du 9 avril 2004, elle est, dès lors, fondée à soutenir que l'avertissement qui lui a été adressé a été pris sur une procédure irrégulière ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme A est fondée à demander l'annulation des décisions attaquées ;
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de Mme A qui, dans la présente instance, n'est pas la partie perdante, la somme demandée par le garde des sceaux, ministre de la justice, au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : Les décisions du 23 avril 2004 et du 9 juillet 2004 de la procureure générale de la République près la cour d'appel d'Orléans adressant à Mme A un avertissement sont annulées.
Article 2 : Les conclusions présentées par le garde des sceaux, ministre de la justice, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme Nadine A et au garde des sceaux, ministre de la justice.