La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

18/01/2006 | FRANCE | N°269406

France | France, Conseil d'État, 10eme et 9eme sous-sections reunies, 18 janvier 2006, 269406


Vu la requête, enregistrée le 2 juillet 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la SOCIETE DES CIMENTS ANTILLAIS, représentée par son président-directeur général en exercice, dont le siège social est ... ; la SOCIETE DES CIMENTS ANTILLAIS demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision implicite par laquelle le Premier ministre a refusé d'annuler les 2° des articles 6 et 7 du décret n° 2003-1241 du 23 décembre 2003 réglementant les prix des produits pétroliers dans les départements de la Guadeloupe et de la Martinique et modifiant

les décrets n° 88-1046 et n° 88-1047 du 17 novembre 1988 réglementant les ...

Vu la requête, enregistrée le 2 juillet 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la SOCIETE DES CIMENTS ANTILLAIS, représentée par son président-directeur général en exercice, dont le siège social est ... ; la SOCIETE DES CIMENTS ANTILLAIS demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision implicite par laquelle le Premier ministre a refusé d'annuler les 2° des articles 6 et 7 du décret n° 2003-1241 du 23 décembre 2003 réglementant les prix des produits pétroliers dans les départements de la Guadeloupe et de la Martinique et modifiant les décrets n° 88-1046 et n° 88-1047 du 17 novembre 1988 réglementant les prix de certains produits dans les départements de la Guadeloupe et de la Martinique, en tant qu'ils reconduisent le régime administré des prix du ciment établi en 1988 dans ces deux départements ;

2°) à titre subsidiaire, à supposer que les conditions dérogatoires prévues au deuxième alinéa de l'article L. 410-2 du code de commerce soient toujours réunies, d'enjoindre au Premier ministre de modifier, dans un délai de deux mois, les dispositions des articles 2 des décrets n° 88-1046 et 88-1047 du 17 novembre 1988 réglementant les prix de certains produits dans les départements de la Guadeloupe et de la Martinique ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le règlement (CE) n° 974/98 du Conseil de l'Union europénne du 3 mai 1998 concernant l'introduction de l'euro ;

Vu le code de commerce ;

Vu le décret n° 88-1046 du 17 novembre 1988 modifié réglementant les prix de certains produits dans le département de la Guadeloupe ;

Vu le décret n° 88-1047 du 17 novembre 1988 modifié réglementant les prix de certains produits dans le département de la Martinique ;

Vu le décret n° 2001-492 du 6 juin 2001 pris pour l'application du chapitre II du titre II de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 et relatif à l'accusé de réception des demandes présentées aux autorités administratives ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Claude Hassan, Conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mlle Célia Verot, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que les décrets n° 88-1046 et 88-1047 du 17 novembre 1988 réglementent, respectivement dans le département de la Guadeloupe et dans le département de la Martinique, les prix de certains produits, notamment ceux des produits pétroliers et ceux du ciment ; que le décret du 23 décembre 2003 modifie les deux décrets du 17 novembre 1988 en tant qu'ils concernent les prix des produits pétroliers, mais laisse inchangé le régime des prix du ciment défini par leurs articles 3 ; que la requête de la SOCIETE DES CIMENTS ANTILLAIS doit être regardée comme tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle le Premier ministre a refusé d'abroger, ou à tout le moins, de modifier les articles 3 des décrets précités du 17 novembre 1988 et comme tendant à ce qu'il soit enjoint au Premier ministre de procéder à leur abrogation ou à leur modification ;

Sur le moyen tiré du défaut de consultation du Conseil de la concurrence :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 410-2 du code de commerce : Sauf dans les cas où la loi en dispose autrement, les prix des biens, produits et services (…) sont librement déterminés par le jeu de la concurrence. / Toutefois, dans les secteurs ou les zones où la concurrence par les prix est limitée en raison soit de situation de monopole soit de difficultés durables d'approvisionnement, soit de dispositions législatives ou réglementaires, un décret en Conseil d'Etat peut réglementer les prix après consultation du conseil de la concurrence ;

Considérant que ni ces dispositions ni aucune autre n'imposent qu'une décision par laquelle le Premier ministre refuse d'abroger ou de modifier une réglementation des prix, soit précédée d'une consultation du Conseil de la concurrence ;

Sur le moyen tiré de ce que le prix maximum du ciment aurait dû être exprimé en euros :

Considérant qu'aux termes des deuxième et troisième alinéas de l'article L. 711-17 du code monétaire et financier, dont les dispositions sont identiques à celles du paragraphe 2 de l'article 6 et de l'article 7 du règlement (CE) N° 974/98 du Conseil de l'Union européenne du 3 mai 1998 concernant l'introduction de l'euro : Lorsqu'un instrument juridique comporte une référence à une unité monétaire nationale, cette référence est aussi valable que s'il s'agissait d'une référence à l'euro, en appliquant les taux de conversion. / Le remplacement de la monnaie de chaque Etat membre participant par l'euro n'a pas en soi pour effet de modifier le libellé des instruments juridiques existant à la date du remplacement ; qu'il suit de là que le premier ministre n'avait pas l'obligation de modifier les articles 3 des décrets du 17 novembre 1988 en tant qu'ils fixent en francs, et non en euros, des prix maxima pour le ciment dans les départements de la Guadeloupe et de la Martinique ;

Sur le moyen tiré de ce que les conditions pour réglementer les prix ne sont plus réunies :

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier, notamment des affirmations de la société requérante elle-même, que ses parts de marché s'établissent entre 87 % et 93 % des ventes de ciment dans les départements de la Guadeloupe et de la Martinique ; que la situation de concurrence limitée par les prix qui résulte nécessairement de cette position dominante occupée sur un marché de taille réduite sur lequel l'importation de marchandises est soumise à l'octroi de mer, est de celles dans lesquelles, en application des dispositions précitées de l'article L. 410-2 du code de commerce, les prix peuvent être réglementés ; que le Premier ministre n'était donc pas tenu d'abroger les articles 3 des décrets du 17 novembre 1988 mentionnés ci-dessus ;

Sur le moyen tiré de la rupture d'égalité entre la société anonyme de raffinerie des Antilles et la SOCIETE DES CIMENTS ANTILLAIS :

Considérant que la société anonyme de raffinerie des Antilles (SARA), dont il est constant qu'elle détient une position monopolistique dans la distribution des produits pétroliers dans les deux départements d'outre-mer dont il s'agit, et la SOCIETE DES CIMENTS ANTILLAIS interviennent sur des marchés distincts ; que ces entreprises, qui connaissent toutes deux des évolutions dans la gamme des produits qu'elles commercialisent et dans leurs coûts de fabrication, notamment en raison des fluctuations, d'ailleurs très inégales, des prix des matières premières importées, sont dans des situations différentes ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que, en ne modifiant pas le régime des prix du ciment, notamment pour tenir compte, comme le fait le décret du 23 décembre 2003 pour les prix des produits pétroliers, des évolutions mentionnées ci-dessus, le Premier ministre aurait méconnu le principe d'égalité, ne peut qu'être écarté ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les conclusions de la SOCIETE DES CIMENTS ANTILLAIS tendant à l'annulation du refus du Premier ministre d'abroger ou de modifier les dispositions des articles 3 des décrets du 17 novembre 1988 et, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction, doivent être rejetées ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de la SOCIETE DES CIMENTS ANTILLAIS est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE DES CIMENTS ANTILLAIS, au Premier ministre, au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et au ministre de l'outre-mer.


Synthèse
Formation : 10eme et 9eme sous-sections reunies
Numéro d'arrêt : 269406
Date de la décision : 18/01/2006
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

COMMERCE - INDUSTRIE - INTERVENTION ÉCONOMIQUE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - PRINCIPES GÉNÉRAUX - ÉGALITÉ DE TRAITEMENT - MESURES N'Y PORTANT PAS ATTEINTE - OUTRE-MER - MARCHÉS SUR LESQUELS EXISTE UNE RÉGLEMENTATION DES PRIX (ART - L - 410-2 DU CODE DE COMMERCE) - IMPACT DE LA MODIFICATION DE LA RÉGLEMENTATION DES PRIX D'UN MARCHÉ SUR UN AUTRE MARCHÉ - PRISE EN COMPTE - CONDITIONS.

14-01-02-02 L'entreprise détenant une position monopolistique dans la distribution des produits pétroliers en Guadeloupe et en Martinique et l'entreprise disposant d'une position dominante dans la vente de ciments dans ces deux départements interviennent sur des marchés distincts. Ces entreprises, qui connaissent toutes deux des évolutions dans la gamme des produits qu'elles commercialisent et dans leurs coûts de fabrication, notamment en raison des fluctuations, d'ailleurs très inégales, des prix des matières premières importées, sont dans des situations différentes. Dès lors, en ne modifiant pas le régime des prix du ciment, notamment pour tenir compte, comme le fait le décret du 23 décembre 2003 pour les prix des produits pétroliers, des évolutions mentionnées ci-dessus, le Premier ministre n'a pas méconnu le principe d'égalité.

COMMERCE - INDUSTRIE - INTERVENTION ÉCONOMIQUE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - RÉGLEMENTATION DES PRIX - ARTICLE L - 410-2 DU CODE DE COMMERCE - POSITION DOMINANTE OCCUPÉE SUR UN MARCHÉ DE TAILLE RÉDUITE EN PRÉSENCE DE BARRIÈRES DOUANIÈRES À L'IMPORTATION [RJ1].

14-04-04 Le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie n'est pas tenu d'abroger les dispositions réglementant les prix du ciment dans les départements de la Guadeloupe et de la Martinique, dès lors qu'une entreprise dispose de parts de marché s'établissant entre 87 % et 93 % des ventes de ciment dans ces départements et que la situation de concurrence par les prix limitée qui résulte nécessairement de cette position dominante occupée sur un marché de taille réduite sur lequel l'importation de marchandises est soumise à l'octroi de mer, est de celles dans lesquelles, en application des dispositions de l'article L. 410-2 du code de commerce, les prix peuvent être réglementés.

OUTRE-MER - DROIT APPLICABLE DANS LES COLLECTIVITÉS D'OUTRE-MER ET EN NOUVELLE-CALÉDONIE - RÉGIME ÉCONOMIQUE ET FINANCIER - MARCHÉS SUR LESQUELS EXISTE UNE RÉGLEMENTATION DES PRIX (ART - L - 410-2 DU CODE DE COMMERCE) - IMPACT DE LA MODIFICATION DE LA RÉGLEMENTATION DES PRIX D'UN MARCHÉ SUR UN AUTRE MARCHÉ - PRISE EN COMPTE - CONDITIONS.

46-01-06 L'entreprise détenant une position monopolistique dans la distribution des produits pétroliers en Guadeloupe et en Martinique et l'entreprise disposant d'une position dominante dans la vente de ciments dans ces deux départements interviennent sur des marchés distincts. Ces entreprises, qui connaissent toutes deux des évolutions dans la gamme des produits qu'elles commercialisent et dans leurs coûts de fabrication, notamment en raison des fluctuations, d'ailleurs très inégales, des prix des matières premières importées, sont dans des situations différentes. Dès lors, en ne modifiant pas le régime des prix du ciment, notamment pour tenir compte, comme le fait le décret du 23 décembre 2003 pour les prix des produits pétroliers, des évolutions mentionnées ci-dessus, le Premier ministre n'a pas méconnu le principe d'égalité.


Références :

[RJ1]

Rappr., s'agissant du régime de l'ordonnance du 1er décembre 1986, 3 mars 1993, Cofiroute, T. p. 635.


Publications
Proposition de citation : CE, 18 jan. 2006, n° 269406
Publié au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : Mme Hagelsteen
Rapporteur ?: M. Jean-Claude Hassan
Rapporteur public ?: Mlle Verot

Origine de la décision
Date de l'import : 04/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2006:269406.20060118
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award