La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

23/02/2006 | FRANCE | N°289580

France | France, Conseil d'État, Juge des referes, 23 février 2006, 289580


Vu la requête, enregistrée le 30 janvier 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par le DÉPARTEMENT DU NORD, représenté par le président du conseil général, domicilié en cette qualité, hôtel du département, ..., (59047) Lille ; le DÉPARTEMENT DU NORD demande au juge des référés du Conseil d'Etat de suspendre le décret n° 2005-1499 du 5 décembre 2005 relatif à la consistance du réseau routier national, dans ses dispositions concernant le Nord et le Nord Est ;

il soutient que le décret contesté en tant qu'il ne conserve pas certaines rout

es nationales dans le domaine routier national, porte une atteinte grave et imm...

Vu la requête, enregistrée le 30 janvier 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par le DÉPARTEMENT DU NORD, représenté par le président du conseil général, domicilié en cette qualité, hôtel du département, ..., (59047) Lille ; le DÉPARTEMENT DU NORD demande au juge des référés du Conseil d'Etat de suspendre le décret n° 2005-1499 du 5 décembre 2005 relatif à la consistance du réseau routier national, dans ses dispositions concernant le Nord et le Nord Est ;

il soutient que le décret contesté en tant qu'il ne conserve pas certaines routes nationales dans le domaine routier national, porte une atteinte grave et immédiate à l'intérêt financier de la collectivité départementale de nature à caractériser l'urgence du prononcé d'une suspension ; qu'en effet, les travaux de remise en état des 398 kilomètres de routes ou sections de routes nationales transférées engendreront au total des dépenses estimées à 430 millions d'euros ; que l'urgence se justifie également au regard du nombre de marchés publics contractés par l'Etat et transférés en cours d'exécution avec les routes ou sections de routes nationales auxquelles ces marchés sont liés, ce qui entraîne des conséquences financières et fonctionnelles aux fins d'assurer la parfaite sécurité des usagers ; qu'enfin, le transfert de la voirie doit s'accompagner de transferts de personnel à hauteur de 200 emplois en équivalent à temps plein ainsi que de transferts de services ou parties de services qui se traduiront, avant la fin du premier semestre 2006, par des conséquences financières et organisationnelles importantes ; que le décret contesté est entaché d'erreur de qualification juridique au regard de l'article L. 121-1 du code de la voirie routière dans sa rédaction issue de l'article 18 de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 ; que tel est le cas pour trois sections de routes nationales importantes ; que, tout d'abord, alors que le décret intègre dans le domaine public routier national la partie de la RN 42 qui relie l'autoroute A 26 et l'autoroute A 16 (liaison Boulogne - Saint-Omer), il en exclut à tort la partie reliant l'autoroute A 26 à l'autoroute A 25 bien que cet itinéraire assure une liaison essentielle entre les deux autoroutes et supporte un trafic de 10 930 véhicules par jour entre le Pas-de-Calais et Hazebrouck et de 14 310 véhicules par jour entre cette dernière localité et l'A 25 ; que tout aussi critiquable est l'exclusion de la RN 352 du domaine public routier national ; qu'en effet, cette section de route nationale assure le contournement Ouest de Lille entre l'A 22 et l'A 25 et présente des caractéristiques autoroutières ; qu'elle supporte un trafic de 63 500 véhicules par jour ; qu'elle constitue avec le RN 41, la liaison Amiens - Lille - Belgique, en préfiguration de la future section d'autoroute A 24 prévue pour 2015 ; que cette rocade est d'ailleurs dénommée « tracé historique de l'autoroute A 24 » ; qu'elle fait également partie du réseau routier compris dans le cadre du projet d'aide à la gestion du trafic sur le réseau structurant de l'agglomération lilloise (ALLEGRO) ; que, c'est encore à tort que la RN 49 entre l'autoroute A 2 et le contournement Ouest de Maubeuge n'est pas intégrée au domaine public routier national alors qu'il s'agit d'une section à deux fois deux voies qui supporte un trafic de 21 800 véhicules par jour et qui assure la liaison Nord - Picardie - Lorraine ; qu'au demeurant, c'est la seule section de route nationale, entre Dunkerque et la Lorraine qui soit classée grande liaison d'aménagement du territoire (GLAT) et qui ne soit pas conservée par l'Etat ;

Vu le décret dont la suspension est demandée ;

Vu, enregistré le 17 février 2006, le mémoire en défense présenté pour le ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer qui conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge du DÉPARTEMENT DU NORD le paiement de la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; le ministre souligne liminairement que la requête du DÉPARTEMENT DU NORD est irrecevable en tant qu'elle concerne des voies autres que celles situées sur son territoire ; que la requête est pour le surplus mal fondée car font défaut aussi bien la condition tenant à l'urgence que celle relative à l'existence d'un doute sérieux ; que le requérant fait état d'un préjudice financier qui résulterait des travaux de remise en état des routes transférées pour un montant de 430 millions d'euros, sans pour autant étayer ses allégations ; que le transfert de voirie opéré sur le fondement de la loi du 13 août 2004 entraîne une obligation d'entretien qui, par son caractère limité, n'est pas de nature à créer un préjudice tel que soit justifiée la suspension du décret contesté ; que la nouvelle charge financière consécutive au transfert n'est pas, eu égard au budget du département qui est de 2,4 milliards d'euros, dont 5,45 p 100 affectés à la voirie, de nature à lui causer un préjudice d'une particulière gravité ; que les voies dont le transfert est contesté ne représentent qu'une infime partie du total des voies transférées ; que le transfert des charges s'accompagne d'un transfert de recettes ; qu'un acompte de 5,3 millions d'euros a été versé le 15 février 2006 ; que les conséquences dites organisationnelles du transfert ne justifient pas davantage de l'urgence à suspendre le décret eu égard aux mécanismes de transfert de personnel et de services prévus par les articles 104 et 109 de la loi du 13 août 2004 ; qu'à titre subsidiaire, aucun des moyens n'est propre à créer un doute sérieux quant à la légalité du décret ; que si la RN 42 entre la limite du département et l'A 25 accueille un trafic non négligeable, celui-ci n'est que très minoritairement national ou européen ; que le seul fait que la RN 352 se situe dans le prolongement de la future autoroute A 24 ne suffit pas à établir son caractère national, d'autant que ce projet ne verra pas le jour avant dix ans ; qu'au demeurant, la RN 352 ne permet pas, à elle seule, d'assurer d'un seul trait le contournement de Lille ; que le simple fait que la RN 49 est à deux fois deux voies ne lui donne pas vocation à rester dans le domaine de l'Etat dès lors qu'elle n'assure pas et n'assurera pas demain, une fonction nationale ou européenne ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution, notamment son article 72-2 ;

Vu la loi organique n° 2004-978 du 29 juillet 2004 relative à l'autonomie financière des collectivités territoriales ;

Vu le code général des collectivités territoriales, notamment ses articles L. 1612-11, L. 3312-1 et L. 3321-1 (16°) ;

Vu le code de la voirie routière, notamment son article L. 121-1 ;

Vu l'article 69 de la loi n° 89-935 du 29 décembre 1989 de finances pour 1990 ;

Vu la loi n° 92-1255 du 2 décembre 1992 relative à la mise à disposition des départements des services déconcentrés du ministère de l'équipement et à la prise en charge des dépenses de ces services ;

Vu la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales ;

Vu le décret n° 92-379 du 1er avril 1992 approuvant le schéma directeur routier national modifié par le décret n° 2001-845 du 17 septembre 2001 ;

Vu le décret n° 2005-1509 du 6 décembre 2005 pris en application de l'article 119 de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales ;

Vu le décret n° 2005-1628 du 23 décembre 2005 relatif à la maîtrise d'ouvrage de certaines opérations d'investissement en cours sur le réseau routier national transféré ;

Vu le décret n° 2005-1711 du 29 décembre 2005 relatif à la compensation financière des charges liées aux routes nationales transférées aux départements et aux régions ;

Vu le code de justice administrative, notamment ses articles L. 511-2, L. 521-1 et L. 761-1 ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le DÉPARTEMENT DU NORD, d'autre part, le ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du mercredi 22 février 2006 à 9 heures 30 au cours de laquelle ont été entendus :

- les représentants du DÉPARTEMENT DU NORD ;

- Maître X..., avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation pour l'Etat ainsi que les autres représentants du ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer ;

Considérant qu'aux terme du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : « Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision » ;

Considérant que l'article L. 121-1 du code de la voirie routière range dans le domaine public routier national à la fois les autoroutes et les routes nationales ; que le II de l'article 18 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales a ajouté à l'article L. 121-1 des dispositions aux termes desquelles « Le domaine public routier national est constitué d'un réseau cohérent d'autoroutes et de routes d'intérêt national ou européen » tout en spécifiant que « Des décrets en Conseil d'Etat, actualisés tous les dix ans, fixent parmi les itinéraires, ceux qui répondent aux critères précités » ; que par son III l'article 18 de la loi, après avoir prescrit par son premier alinéa le transfert dans le domaine public routier départemental des routes classées dans le domaine public routier national à la date de sa publication, exception faite des routes répondant au critère prévu par l'article L. 121-1 du code, a fixé les modalités essentielles de ce transfert ; qu'à cet égard, l'avis des départements intéressés est requis sur le projet de décret en Conseil d'Etat prévu à l'article L. 121-1 ; que le transfert doit être en principe constaté par le représentant de l'Etat dans le département ; qu'il est précisé que cette décision emporte, au 1er janvier de l'année suivante, « le transfert aux départements des services, droits et obligations correspondants, ainsi que le classement des routes transférées dans la voirie départementale » ; qu'outre le décret en Conseil d'Etat dont l'intervention est prévue par l'article L. 121-1 du code de la voirie routière, le III de l'article 18 de la loi dispose dans son dernier alinéa qu'un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions d'application dudit III ; qu'indépendamment de ces mesures, sont applicables au transfert des routes nationales les dispositions de portée générale de la loi du 13 août 2004 relatives respectivement aux mises à disposition des services et des agents de l'Etat ainsi qu'à la compensation sur le plan financier des transferts de compétence ;

Considérant que la définition du réseau routier national au sens et pour l'application de l'article L. 121-1 du code de la voirie routière a fait l'objet du décret du 5 décembre 2005 pris en Conseil d'Etat ; qu'au vu de ce décret, le préfet du département du Nord a par un arrêté du 27 décembre 2005 pris sur le fondement du troisième alinéa du III de l'article 18 de la loi du 13 août 2004 constaté le transfert à ce département des routes nationales qu'il énumère ; que les modalités de la compensation financière des charges liées aux routes nationales transférées ont été définies par le décret n° 2005-1711 du 29 décembre 2005, publié au Journal Officiel du 30 décembre 2005, pris sur le fondement du dernier alinéa du III de l'article 18 de la loi précitée ; qu'il est spécifié à l'article 4 de ce décret que « l'attribution des ressources prend effet, pour chaque département métropolitain, le 1er janvier suivant la publication de l'arrêté préfectoral constatant le transfert des routes … » ;

Considérant qu'après avoir introduit une requête en annulation du décret du 5 décembre 2005, le DÉPARTEMENT DU NORD en sollicite la suspension en tant que ce texte est applicable à sa circonscription territoriale et dans la seule mesure où il a pour effet de lui transférer la route nationale 42 dans sa partie reliant l'autoroute A 26 à l'autoroute A 25, la route nationale 352 et la route nationale 49 entre l'autoroute A2 et le contournement ouest de Maubeuge ;

Considérant qu'en vertu des dispositions précitées de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, le juge des référés peut prononcer la suspension d'une décision administrative à la condition notamment que l'urgence le justifie ; que cette condition doit être regardée comme remplie lorsque la ou les décisions administratives contestées préjudicient de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre ; qu'il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue ; que l'urgence doit être appréciée objectivement au vu de l'ensemble des circonstances de l'affaire ;

Considérant, en premier lieu, que le département requérant soutient qu'il y a urgence à ce que le juge des référés ordonne la suspension du décret contesté, dans la limite de ses conclusions, en raison de l'importance de la charge financière que représente pour lui l'entretien des routes dont il conteste le transfert ; qu'il évalue cette charge à la somme de 430 millions d'euros ; que toutefois, ainsi que l'audience de référé l'a mis en évidence, une telle évaluation ne correspond nullement à la charge liée à l'entretien du réseau transféré et a fortiori des seules voies pour lesquelles la légalité du transfert est contestée ; qu'elle englobe en réalité, des charges qui seraient liées aux coûts de développement de l'ensemble de la voirie pour une période de plusieurs années ; qu'en outre, il ressort d'une lettre en date du 13 février 2006 du ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer au président du conseil général du Nord qu'une somme de 5,3 millions d'euros a été versée au département au titre de la compensation des charges pour l'année 2006 en application du décret du 29 décembre 2005 susvisé ; que, dans ces conditions, l'argumentation tirée des incidences financières du transfert ne permet nullement de caractériser une situation d'urgence ;

Considérant que si le département fait valoir, en deuxième lieu, que le transfert aura des incidences sur nombre de marchés publics passés par l'Etat et transférés en cours d'exécution avec les routes ou sections de routes auxquelles ces marchés sont liés, le changement de contractant qui découle des termes de la loi, dont les modalités de mise en oeuvre ont été précisées par le décret du 23 décembre 2005 susvisé, et qui s'est accompagné de l'information des cocontractants de la puissance publique à l'initiative de la personne responsable du marché, n'est pas davantage constitutif d'une situation d'urgence ;

Considérant enfin, que si le département requérant souligne la complexité du processus conduisant au transfert des personnels mis à sa disposition pour l'exercice des compétences transférées et si, comme cela ressort de l'instruction, subsiste un désaccord entre lui et l'Etat pour ce qui est du nombre des agents concernés, il n'est pas établi qu'une telle situation entraîne dans l'immédiat pour les personnels dont il s'agit des effets irréversibles ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède qu'il n'est pas satisfait à la condition d'urgence ; qu'ainsi et sans qu'il y ait lieu pour le juge des référés de prendre position sur le sérieux des moyens invoqués, les conclusions aux fins de suspension doivent être rejetées ;

Sur les conclusions de l'Etat tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que, dans les circonstances de l'affaire, il y a lieu de faire droit aux conclusions présentées par l'Etat sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge du DÉPARTEMENT DU NORD le paiement à l'Etat de la somme de 4 000 euros au titre des frais de procédure qu'il a exposés ;

O R D O N N E :

------------------

Article 1er : La requête de DÉPARTEMENT DU NORD est rejetée.

Article 2 : Le DÉPARTEMENT DU NORD versera à l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée au DÉPARTEMENT DU NORD et au ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer.


Synthèse
Formation : Juge des referes
Numéro d'arrêt : 289580
Date de la décision : 23/02/2006
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 23 fév. 2006, n° 289580
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Genevois
Rapporteur ?: M. Bruno Genevois
Avocat(s) : BALAT

Origine de la décision
Date de l'import : 04/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2006:289580.20060223
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award