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06/03/2006 | FRANCE | N°289947

France | France, Conseil d'État, Juge des referes, 06 mars 2006, 289947


Vu la requête, enregistrée le 6 février 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour l'ASSOCIATION UNITED SIKHS, dont le siège est ... et M. A, demeurant ... ; ils demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution de la circulaire n° 2005-80 du 6 décembre 2005 par laquelle le ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer a prescrit la fourniture d'une photo d'identité tête nue pour l'établissement ou le renouvellement d'un

permis de conduire ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3...

Vu la requête, enregistrée le 6 février 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour l'ASSOCIATION UNITED SIKHS, dont le siège est ... et M. A, demeurant ... ; ils demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution de la circulaire n° 2005-80 du 6 décembre 2005 par laquelle le ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer a prescrit la fourniture d'une photo d'identité tête nue pour l'établissement ou le renouvellement d'un permis de conduire ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3000 euros, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

ils soutiennent que leur demande est recevable dès lors que la circulaire attaquée qui crée une nouvelle norme non prévue par les textes en matière de permis de conduire, présente un caractère impératif ; que la mesure contestée, qui porte atteinte de manière grave et immédiate aux intérêts propres de M. comme à ceux que l'ASSOCIATION UNITED SIKHS a pour objet de défendre, est constitutive d'une situation d'urgence ; que plusieurs moyens sont, en l'état de l'instruction, susceptibles de créer un doute sérieux quant à la légalité de la circulaire litigieuse ; que la communauté sikhe se trouve dans une situation particulière, d'ordre culturel et religieux qui justifie un traitement différent pour l'application des dispositions relatives à l'apposition de la photographie d'identité sur le permis de conduire ; que cette différence est reconnue et prise en compte dans certains pays ; que la circulaire attaquée ne respecte pas le principe de proportionnalité dans l'application des stipulations de l'article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales relatif à la liberté de manifester sa religion ou ses convictions et de l'article 14 de cette même convention relatif au principe d'égalité et de non-discrimination ; qu'elle est également contraire aux article 8 et 10 de cette convention protégeant la vie privée et la liberté d'expression ; que la mesure qu'elle prévoit, n'est pas appropriée au regard de l'objectif poursuivi ;

Vu la circulaire dont la suspension est demandée ;

Vu le recours en annulation présenté à l'encontre de cette circulaire ;

Vu le mémoire en défense, présenté par le ministre des transports, de l'équipement et de la mer tendant au rejet de la requête ; il soutient que la circulaire contestée, qui a pour seul objet d'interpréter l'arrêté du 8 février 1999 du ministre des transports relatif aux conditions d'établissement et de délivrance du permis de conduire et explicite une obligation déjà existante en précisant que les personnes doivent être photographiées tête nue et de face, est dépourvue de caractère impératif ; qu'elle est conforme aux dispositions réglementaires existantes ; que la requête est, par conséquent, irrecevable ; qu'à titre subsidiaire, la condition d'urgence ne peut être considérée comme remplie ; qu'en effet, il n'est pas établi que la circulaire porte atteinte aux intérêts de toute la communauté sikhe ; que M. ne fait pas état, quant à lui, d'un besoin immédiat de se voir délivrer un duplicata de son permis de conduire, notamment pour exercer sa profession ou se rendre sur son lieu de culte ; qu'il n'existe pas, en l'état de l'instruction, de moyen susceptible de créer un doute sérieux quant à la légalité de la circulaire ; qu'en effet, la mesure qui a pour objet de limiter les risques de falsification, est proportionnée au but poursuivi ; que les dispositions de la circulaire ne méconnaissent donc pas les articles 9 et 14 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'elles ne sont pas non plus contraires aux article 8 et 10 de cette même convention ;

Vu le mémoire en réplique, enregistré le 24 février 2006, présenté pour M. et l'ASSOCIATION UNITED SIKHS qui reprennent les conclusions de leur requête et les mêmes moyens ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code de la route, notamment son article R.221-9 ;

Vu l'arrêté du 8 février 1999 du ministre des transports relatif aux conditions d'établissement et de délivrance du permis de conduire ;

Vu l'arrêté du 7 mai 1999 du ministre de l'intérieur, du ministre de l'équipement, des transports et du logement et du secrétaire d'Etat à l'outre-mer relatif à l'apposition des photographies d'identité sur les documents d'identité, les titres de voyages, les titres de séjour et les permis de conduire ;

Vu la décision de la cour européenne des droits de l'homme du 11 janvier 2005 rendue dans l'affaire PHULL c/ France ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'Association UNITED SIKHS et M. A, et d'autre part, le ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du jeudi 2 mars 2006 à 11 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Y..., avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'association requérante et de M. A ;

- le représentant de l'association requérante et M. A ;

Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : « Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision » ;

Considérant que pour demander la suspension de l'exécution de la circulaire du 6 décembre 2005 du ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer relative à l'apposition des photographies d' identité sur le permis de conduire qui prescrit que la tête de la personne doit être « nue et de face », les requérants font valoir que cette circulaire méconnaît le principe d'égalité et de non discrimination et les stipulations combinées des articles 9 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en ce que l'obligation de présenter des photographies d'identité « tête nue » constitue une ingérence dans la jouissance des droits et libertés garantis par cet article 9, notamment la liberté religieuse, et une mesure discriminatoire au regard de l'origine ethnique ; qu'ils invoquent également une atteinte au droit au respect de la vie privée et à la liberté d'expression garantis par les articles 8 et 10 de la même convention ; qu'ils font valoir en particulier que s'agissant des sikhs, la mesure n'est pas adaptée à l'objectif poursuivi, le port du turban ne faisant nullement obstacle à leur identification, et que l'obligation posée est disproportionnée compte tenu de son caractère général et absolu ;

Considérant toutefois, que les stipulations invoquées prévoient elles-mêmes que les libertés qu'elles garantissent peuvent faire l'objet de restrictions, notamment dans l'intérêt de la sécurité publique et de la protection de l'ordre ; que les dispositions contestées qui visent à limiter les risques de fraude et de falsification en permettant une identification par le document en cause aussi complète que possible de la personne qu'il représente, ne paraissent ni inadaptées ni disproportionnées par rapport à cet objectif ; qu'ainsi, et sans qu'il y ait lieu de se prononcer sur les irrecevabilités invoquées par l'administration, les moyens présentés par les requérants ne sont pas, en l'état de l'instruction, propres à créer un doute sérieux quant à la légalité de la circulaire du 6 décembre 2005 du ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer ; que par suite et sans qu'il y ait lieu de se prononcer sur la condition d'urgence, leur demande de suspension de l'exécution de cette circulaire doit être rejetée ainsi que celle tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête présentée par l'Association UNITED SIKHS et M. X...

est rejetée .

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à l'ASSOCIATION UNITED SIKHS et à M. A et au ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer.


Synthèse
Formation : Juge des referes
Numéro d'arrêt : 289947
Date de la décision : 06/03/2006
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

54-035-02-03-01 PROCÉDURE. - PROCÉDURES INSTITUÉES PAR LA LOI DU 30 JUIN 2000. - RÉFÉRÉ SUSPENSION (ART. L. 521-1 DU CODE DE JUSTICE ADMINISTRATIVE). - CONDITIONS D'OCTROI DE LA SUSPENSION DEMANDÉE. - MOYEN PROPRE À CRÉER UN DOUTE SÉRIEUX SUR LA LÉGALITÉ DE LA DÉCISION. - ABSENCE - MOYEN TIRÉ DE CE QUE L'OBLIGATION D'APPOSER UNE PHOTOGRAPHIE TÊTE NUE ET DE FACE SUR LE PERMIS DE CONDUIRE MÉCONNAÎT LES ARTICLES 8, 9 ET 10 DE LA CEDH [RJ1].

54-035-02-03-01 Circulaire du 6 décembre 2005 du ministre chargé de l'équipement et des transports imposant la production de photographies tête nue et de face pour la délivrance du permis de conduire. Les stipulations des articles 8, 9 et 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, invoquées par les requérants, prévoient elles-mêmes que les libertés qu'elles garantissent peuvent faire l'objet de restrictions, notamment dans l'intérêt de la sécurité publique et de la protection de l'ordre. Les dispositions contestées qui visent à limiter les risques de fraude et de falsification en permettant une identification par le document en cause aussi complète que possible de la personne qu'il représente, ne paraissent ni inadaptées ni disproportionnées par rapport à cet objectif. Ainsi, les moyens présentés par les requérants ne sont pas, en l'état de l'instruction, propres à créer un doute sérieux quant à la légalité de la circulaire du 6 décembre 2005 du ministre chargé des transports et de l'équipement.


Références :

[RJ1]

Rappr. 5 décembre 2005, Mann Singh, n°278133, à publier, feuilles roses p. 53 ;

CEDH, 11 janvier 2005, Phull c/ France ;

Cour suprême du Canada, 2 mars 2006, Multani c/ Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys.


Publications
Proposition de citation : CE, 06 mar. 2006, n° 289947
Publié au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : Mme Hagelsteen
Avocat(s) : SPINOSI

Origine de la décision
Date de l'import : 04/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2006:289947.20060306
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